Trame d’entretien Patrick Bourdet – Claire Beugnet, Paris, 11 mars 2016

Nous mettons en ligne la trame qui a servi pour structurer l’entretien que Monsieur Bourdet, Président Directeur Général de l’entreprise “Aeva Med.”, va accorder le 11 mars à Madame Beugnet dans le cadre de la préparation des Journées d’Enfance 2016.

Monsieur Bourdet parraine le festival.

L’entretien sera filmé et comme, chaque année, le montage résultant de cet entretien sera diffusé dans l’amphithéâtre en prologue du colloque “Chemin faisant” qui se tiendra le 8 juillet prochain dans les locaux de l’Université Littoral Côte d’Opale, antenne Saint-Louis de Boulogne-sur-mer.

Dans cette trame, chaque thème initié par Madame Beugnet et présenté dans la partie intitulée « Ouverture » donne lieu à un développement spécifique et son ou ses questionnements afférents, dont on trouve les contenus dans la partie intitulée « Discussions ».

Ouverture :

Présentation par Madame Beugnet des avancées de « L’aventure de la vie », programme éducatif et culturel de l’institution « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale ».

Trois thèmes :

1. L’association se donne pour objectif d’être reconnue institution de référence dans le champ de l’Aide Sociale à l’Enfance. Pour ce faire, elle développe particulièrement deux axes complémentaires.
En interne, l’institution essaie de construire différents espaces, dans lesquels la relation individuelle pourra se déployer autour de figures parentales nouvelles pour les enfants, les jeunes, avec les éducateurs, pris toujours ici au sens large, de tous ceux qui partagent leur vie quotidienne. Ces nouvelles figures parentales ne viennent pas se substituer aux parents ou tuteurs. Elles viennent s’y adjoindre, autour d’un pacte d’alliance à la famille d’origine ou au tuteur, ce qui sera toujours recherché. Cette approche spécifique du travail éducatif se fait au quotidien et bénéficie à présent d’un espace réflexif permanent : un Conseil scientifique composé des membres du conseil d’administration, d’un représentant des enfants et des jeunes de l’association, d’une représentante des personnels de l’association et de chercheurs et d’ingénieurs en sciences dures et en sciences humaines et sociales, et de professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance, a été créé. La même détermination d’articuler systématiquement le travail éducatif au quotidien, avec des instances qui permettent de prendre le temps d’y réfléchir et de dialoguer ensemble, façonne le « Conseil de la Vie Sociale ». Cette instance intègre notamment la notion d’usagers, avec des représentants élus des parents et tuteurs des enfants et des jeunes de l’association.
En externe, l’essor de partenariats culturels avec la Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France, la DRAC Nord Pas-de-Calais Picardie, le FRAC Nord Pas-de-Calais, l’Institut National de Recherches en Archéologies Préventives, la Fondation SEED (Schlumberger Excellence in Educational Development), l’association « Les Chalcophore » (archéologie expérimentale), le « Boulogne Canoë Kayak », nourrit aussi cette volonté de l’association d’être reconnue comme établissement éducatif et culturel d’excellence ;

2. La pensée de long terme qui oriente la politique de notre institution se manifeste aussi par la mise en œuvre d’un dispositif en son sein, dédié à la disponibilité permanente des personnels pour accueillir, conseiller et aider les enfants et les jeunes devenus adultes, y compris bien après leur passage dans l’institution. Cette initiative, appelée « Les grandes tables de la ferme », et qui chaque 2 juillet propose un grand rassemblement sur le site du « Petit déjeuner sous l’herbe » en croise une autre – l’étude menée par le Conseil scientifique avec les anciennes et les anciens de l’institution, et qui porte sur la durée longue des existences les parcours de vie ;

3. La saison culturelle n’est pas encore terminée (« Journées d’Enfance 2016 » du 2 juillet au 8 juillet 2016), que s’annonce déjà la prochaine, à partir de septembre, et qui sera caractérisée par une réflexion encore plus soutenue sur le thème de la capacité à trouver en soi les ressources pour se dépasser (le thème annuel sera « Quel est ton courage ? »).

Discussions :

1. Les enjeux de savoir « habiter le monde » :

Lors de la « conférence du jeudi » accordée par M. Bourdet aux Maisons le 4 février 2016, M. Bourdet avait contribué à étayer les bases de la réflexion menée cette année sur la valeur des rencontres égrenant les parcours de vie, liant très fortement la capacité de celui qui chemine à discerner les opportunités offertes par celui qui vient à soi pour grandir et créer de nouveaux devenirs. M. Bourdet insistait lors de cette conférence et à ce sujet sur les bienfaits d’être sensible, c’est-à-dire de savoir sentir le potentiel de la situation de rencontre comme point d’appui existentiel, moment d’ouverture pour de nouveaux attachements, de nouveaux engagements, de nouvelles manières d’être au monde.

Dans leur lecture commentée de l’ouvrage Une brève histoire des lignes écrit par Tim Ingold et traduit en français en 2011 aux Editions Zones Sensibles, Yves Citton et Saskia Walentowitz insistent sur la nécessité de redéfinir la notion d’« habiter le monde ». Citton et Walentowitz écrivent : « L’anthropologue britannique Tim Ingold nous aide à sortir de l’alternative binaire entre « nomades » et « sédentaires » habituellement utilisée pour saisir les manières d’habiter nos modernités d’hier et d’aujourd’hui. Il précise ce que veut dire « habiter un territoire », d’une façon particulièrement stimulante qui court-circuite ces fausses dichotomies ‒ et qui permet d’apporter un éclairage nouveau sur la vie. (…) Les théories d’Ingold reposent sur un principe simple : « le cheminement itinérant (wayfaring) est le mode fondamental par lequel les êtres vivants habitent la terre. Chacun de ces êtres doit ainsi être imaginé comme la ligne de son mouvement ou, plus réalistement, comme un ensemble de lignes » ».

Ce cadrage théorique pose avec acuité la question de savoir équilibrer les espaces de la relation éducative dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il souligne aussi les enjeux fondamentaux portés par la dynamique de mouvements, de déplacements insufflée par notre programme culturel « L’aventure de la vie », fondé sur l’art de multiplier les rencontres entre l’enfant et des personnalités des arts, des lettres, des sciences, des sports et des techniques, dans une association construite cependant sur le concept de « maison », c’est-à-dire l’idée d’être là et non pas ailleurs (« Maison d’enfants à caractère social »).

Questions à M. Bourdet :

• Diriez-vous que la question de l’habiter – que nous venons de mobiliser en reprenant la grille de lecture anthropologique à propos des problématiques de sédentarisation et de nomadisme, est une question cruciale pour le grandissement des êtres, qu’ils aient l’âge de l’enfance ou l’âge adulte ?

• Comment concilier cet élan ambivalent pour le grandissement des êtres, qui mise à la fois sur la force de se poser quelque part, et de rester néanmoins ouvert au souffle d’aller vers de possibles ailleurs que la rencontre avec le monde instille ?

2. Les enjeux d’agir pour être reconnue en tant que personne digne de respect, de confiance et d’intérêt :

Lors de la conférence du jeudi accordée par M. Bourdet aux Maisons le 4 février 2016, M. Bourdet avait contribué à étayer les bases de la réflexion menée cette année sur la valeur des apprentissages pour renforcer l’estime de soi, et ainsi se préparer au mieux à se confronter aux incertitudes inhérentes au désir de construire une vie bonne. M. Bourdet insistait lors de cette conférence et à ce sujet sur les bienfaits d’apprendre, c’est-à-dire d’accroître sa capacité à savoir pour contenir et éloigner le sentiment de vulnérabilité issu d’expériences de vie à l’orée de celle-ci.

Dans son ouvrage La lutte pour la reconnaissance, réédité en 2013 aux Editions Folio/Essais, le philosophe allemand Axel Honneth relie indéfectiblement l’amour, le droit et la solidarité comme registres qui, séparément et ensemble, sont à même d’offrir aux individus des reconnaissances intersubjectives. D’abord, la reconnaissance est affective et restreinte au cercle familial : l’individu, par l’amour qu’il reçoit, voit ses besoins concrets reconnus (on parle de « confiance en soi »). Ensuite, la reconnaissance est juridique : la personne se voit dotée de droits et se trouve ainsi reconnue par la société civile (il faut dire dès lors la notion de « respect de soi »). Enfin, l’Etat reconnaît la personne et celle-ci prend place dans les liens de solidarité qui constituent la vie éthique (il s’agit d’« estime de      soi »). L’amour, le droit et la solidarisation dessinent, autrement dit et selon ce philosophe, les étapes par lesquelles chacun se trouve reconnu comme une personne autonome et singulière.

Si ce cadrage théorique proposé par Axel Honneth ne nomme pas le savoir comme pivot pour se reconnaître et être reconnu, votre expérience personnelle et le programme de notre association : « L’aventure de la vie » placent pourtant comme essentielle la quête de savoirs pour se construire, s’ouvrir aux autres, et entreprendre.

Question à M. Bourdet :

• Comment faire entendre malgré leur image de soi dégradée aux enfants de nos Maisons qu’ils sont non seulement aptes à apprendre, mais aussi capables d’enrichir la collectivité des savoirs qu’ils acquièrent et dont ils peuvent se servir pour fonder des projets personnels ?

3. Les enjeux de trouver en soi le courage de vivre :

Dans l’ouvrage Rien n’est joué d’avance dont vous êtes co-auteur, publié aux Editions Fayard en 2014, vous écrivez :

« Au plus profond de moi, il en reste encore des traces (de la prison émotionnelle façonnée par les expériences vécues au commencement de sa vie ; NDLR). Elles ne disparaîtront jamais. Après avoir cherché à les refouler, sans y parvenir, je les observe désormais. Je les connais et les reconnais comme autant de boules sombres qui resteront inamovibles mais dont la taille diminue à mesure que mes regards pèsent sur elles. La plus massive d’entre elles n’est faite que de violence. Depuis que je l’ai repérée, je la surveille de près. Même si je la sens grossir parfois lorsque le monde se tend autour de moi, j’ai le sentiment d’en avoir pris le contrôle. La violence fait partie de moi. Elle aura été mon seul héritage, comme un legs irrécusable. »

Cette citation pose avec acuité la question de savoir comment se libérer des entraves initiées par les situations de maltraitance ou de carence éducative, soient autant d’expériences vécues personnellement par les enfants de notre association.

Questions à M. Bourdet :

• A quelles conditions la phase initiale, qui est celle de trouver instinctivement ses manières de survivre, peut-elle être dépassée pour que s’ouvre cette nouvelle ère de l’existence tant espérée dans nos activités éducatives et culturelles ; vivre, créer, partager ? ;

• La notion de cheminement, travaillée par les problématiques concourant à la rencontre (thème 1), formalisée par celles relevant de reconnaissance (thème 2), doivent-elles être pensées à l’aune de ces ressources si personnelles et que l’on nommera à l’occasion de la nouvelle saison culturelle 2016-2017 de notre programme : « le courage » ?

Conclusion :

Pendant plusieurs jours, du 2 juillet au 8 juillet 2016, Boulogne-sur-Mer va actualiser sa conscience des bienfaits du « chemin faisant » au fil d’épopées vécues par les habitants et par les enfants et les jeunes des « Maisons des Enfants de la Côte d’Opale ». Pendant plusieurs jours d’animations en public et sous votre haut patronage M. Bourdet, les enfants et les jeunes, aidés par des éducateurs, des sportifs, des philosophes, des psychanalystes, des danseurs, des acteurs de théâtre, des acrobates, des archéologues, des ingénieurs physiciens, des universitaires, des cinéastes, des spécialistes de la mise en patrimoine, vont réengendrer l’espace et le temps de leur existence.

• Quel message voulez-vous leur adresser ?