Madame, Monsieur,
Chers collègues, chers amis,
Faits d’hiver et sainte famille.
Avant les vacances de Noël, certains membres de l’institution ont vécu une période difficile : un adolescent s’est plaint d’être battu par un éducateur. Plus exactement, un adolescent s’est plaint qu’il serait battu par un chef de service si la directrice du collège allait au bout de sa décision : exclure l’enfant pour violences sur un autre camarade de sa classe, fait qui lui avait déjà été reproché.
Pensant faire son devoir en voulant protéger un jeune de maltraitance, la directrice effectue un signalement au procureur de la république, sans prendre le soin d’appeler le directeur de la maison d’enfants pour éventuellement protéger le jeune de tels risques en son sein.
Bien sûr, il n’en était rien. Le chef de service fut entendu par la police. A la demande des inspecteurs de porter plainte contre l’éducateur, les parents ne manquèrent pas d’ailleurs de signaler toute la confiance qu’ils accordaient à l’institution et refusaient de soutenir le fils dans ses mensonges.
Le même jeune, d’ailleurs, était suivi dans un service de soins, à qui il ne manqua pas de raconter la même histoire. Et croyez le si vous le voulez, le spécialiste ne fut point mieux averti qu’un autre. D’une parole, sans précautions, il en déduisit l’acte.
S’il devient si facile de dénigrer la parole d’un adulte en lui réglant son compte par adolescent interposé, nous ne sommes pas sortis d’affaire !
Au fait, vous ne le croirez sûrement pas, l’adolescent menteur ne fut pas sanctionné pour ces faits de violence à l’égard de son camarade. Nous étions dans la rubrique : comment fabriquer des criminels ? Rassurez-vous, nous envoyons un courrier à la directrice pour lui demander le droit à être sanctionné pour cet adolescent.
Il est des cas où la parole de l’enfant doit être questionnée, et d’autres ou elle mériterait d’être entendue : cela fait la énième tentative de suicide de cette jeune fille. Il y a un an, déjà, puis plusieurs fois dans l’année. Puis ces jours-ci, et toujours cette difficulté à accepter de dénoncer ses violeurs.
Un autre jeune vient nous trouver en pleurs, lui le dur à cuir, d’apparence : « Monsieur, je crois que ce que j’ai vécu avec mon frère s’appelle un viol ».
Durant cette même période, E., 15 ans, a fugué, pour se rendre chez son père. Les travailleurs sociaux n’y étaient pas opposés, mais lui ont demandé de respecter le protocole et l’autorisation du juge : le faire en présence d’un éducateur. Lui, de cela, il n’en voulait pas. C’est seul qu’il le fit. Sans autorisation. En tête à tête. D’homme à homme, si j’ose dire.
L’adolescent fait son travail d’adolescent. Il a besoin de rencontrer son père. Il le fait. Que pourrions nous en redire ?
Bien sur nous lui rappelons la méthode qui eut été préférable à mettre en œuvre : courrier au juge, appel téléphonique au travailleur social, discussion avec le chef de service ou l’éducateur référent. Oui, et nous lui avons dit. Mais ce que nous avons valorisé, d’abord, au cours de cette courte discussion, c’est sa capacité à prendre des risques, à faire ce qu’il avait à faire, en sa qualité de fils.
Cette formule surprendra encore, bien qu’elle soit employée depuis plusieurs décennies, lorsqu’il est question du travail du fils. Il en est pourtant ainsi, et c’est ce que nous apprennent ces jeunes qui sont séparés de leur père ou mère depuis de longues années.
La période de Noël y est propice pour les raisons que chacun comprendra : c’est le temps marqué de l’absence ou de la carence de ce lien. C’est aussi le temps pour le réveiller, en produire du sens, prendre position et faire décision.
Ce faisant E. sait qu’il ne pourra vivre chez lui, qu’il sera peut être déçu de nouveau par un lâchage éprouvant, que ce sera compliqué le week-end prochain lorsqu’il rentrera chez sa mère, qui, en étant informé, lui reprochera. Peu importe. Oui, peu importe. E . se donne ainsi les moyens de devenir père un jour et de pouvoir assumer une filiation en pouvant habiter une place qui aura été travaillée pour lui même.
Je reçois un appel téléphonique la veille de Noël par un jeune majeur aujourd’hui sorti de l’institution. Je ne peux répondre dans l’instant et mon téléphone me signale quelques minutes après l’arrivée d’un SMS. Je voulais juste vous appeler et vous souhaiter un joyeux Noël. Je reste sous le choc et me rappelle les horreurs perverses que l’enfant de moins de six ans subit lorsque son père lui a demandé de regarder des cassettes pornographiques. A chaque Noël, je renoue avec le tragique.
Nous sommes parfois quelques uns à regarder du côté de la toiture de la ferme et de son inscription en tuiles noires de l’année de sa réfection : 2000. Un millénaire, cela se marque.
Un jeune de l’institution, que nous appellerons François, et qui a participé à ce travail, est décédé quelques jours après la naissance d’un fils. Ces retrouvailles avec le père n’avaient pu s’effectuer. Prendre place de père lui a été impossible.
Pendant les vacances, une jeune éducatrice accueille avec son mari quelques enfants de l’institution avec ses propres jeunes enfants. C’est vraiment une fête pour les jeunes de l’institution. Une vraie confiance, un vrai plaisir d’être la grande sœur ou le grand frère. Pour L., moins de 10 ans, ce sont d’ailleurs des retrouvailles, et il ne manque pas de le dire à ses camarades qui participent pour la première fois à ce camp et cet encadrement. Il est protecteur de la petite fille, qui accepte ses bizarreries, son envahissement, tout en sachant le remettre à sa place lorsque cela déborde. Un matin, il se réveille en disant : « j’ai la gale », ce qui arrive parfois, bien sûr. L. en a plein le visage, non de la gale, mais d’un eczéma. Sa mère fut sauvagement défigurée par un homme aujourd’hui incarcéré.
Chacun trouve le chemin pour dire, pour faire, pour décider. Rien ne pourra remplacer ces manques. Faire semblant de le faire est dérisoire.
Ce dimanche de la galette des rois sonne le retour des camps de Noël. Les enfants sont heureux de leurs séjours d’en parler avec leurs amis, et de se retrouver. L’on reparle aussi de la fête qui a rassemblé plus de 180 personnes, adultes et jeunes réunis aussi pour l’occasion autour du départ à la retraite d’un chef de service.
Faire communauté. Voilà ce que nous essayons de faire, pendant ces quelques jours de fête, que nous ne refusons pas de vivre. Toutes et tous sont joyeux de se retrouver, de parler de leurs bonnes vacances, de se souhaiter la bonne année.
La communauté se rassemble. La communauté reconnaît ses passages, ces humanisations. Et oui, c’est cela une institution, un foyer, une maison des enfants de la culture.
Aujourd’hui, rentrée des classes.
Eric Legros, directeur.