Archives de catégorie : Rencontres inter culturelles

Lettre de Shila : “Les copains d’abord”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Emmanuel me dit que parfois vous fuguez, partez de votre Maison parce qu’il y a quelque chose ou quelqu’un qui ne va pas, et dans ces moments, vos chers éducatrices et éducateurs se font beaucoup de soucis pour vous.

Emmanuel m’a expliqué que très rares sont ces situations où vous ne revenez jamais ; quand vous fuguez, si j’ai bien compris, vous vous absentez pour mieux retrouver le lieu de votre accueil.

Mes chers enfants, je vous comprends. Parfois il faut savoir mettre de la distance pour avancer. Le lien ne se rompt pas, même s’il peut se distendre.

Cela me rappelle une belle chanson, que mon cher voisin Henri aime de temps à temps écouter le soir à la nuit tombée dans son patio. Comme je me pointe dès que j’entends les premières notes de cette chanson, Henri m’a expliqué que cela raconte l’histoire d’un papa qui envoie une lettre à sa fille sans assurance qu’elle la lise ; ce papa n’a pas vu sa fille depuis longtemps et espère qu’il existe encore dans sa mémoire :

Moi, l’éléphante philosophe, me dis que peu importe la fragilité des relations, elles sont comme des lignes qui sont parfois continues, parfois en pointillé, parfois droites, parfois en courbe.

Cela me rappelle une rencontre : je me permets de vous la raconter car je pense qu’elle est intéressante à méditer tous ensemble.

En juillet 2018, je ne me rappelle plus exactement de la date, des personnes marchaient sur le bord de mon petit pré. Comme vous me connaissez, moi l’éléphante curieuse de tout, je suis venue à leur rencontre pour les saluer. Ces humains avaient un large sourire et la tête encore pleine de souvenirs merveilleux. Ils m’ont raconté qu’ils revenaient d’un endroit dans mes montagnes, et ont vécue là-bas une expérience extraordinaire : ils ont sauté dans le vide.

Dans le vide ? Mais ces humains sont fous !

Comme ces personnes voyaient ma confusion, elles m’ont montré le film de ces grands sauts :

Ah, d’accord, j’ai compris. Pas si fous les humains : un élastique permet de revenir sain et sauf une fois la chute accomplie. En fait c’est un peu comme le chat qui va sur la toiture de mon cher voisin Henri :

Grâce à ce fil élastique, vous retombez sur vos pattes comme si de rien n’était. L’imprudence est d’autant plus raisonnable que l’on s’y essaye en confiance.

Henri et Emmanuel me disent que c’est une belle histoire, pleine d’enseignements pour tout le monde. Henri, passionné de tout ce qui roule, m’a raconté que les humains avaient beaucoup réfléchi à cette question, et inventé ce que vous appelez « la ceinture de sécurité ».

Si j’ai bien compris, ce lien qui vous permet d’avancer en camion, en voiture, a eue une histoire mouvementée. Ce n’est que bien après l’invention de cette ceinture que vous vous êtes dit qu’il fallait la rendre obligatoire.

Hummm, je comprends la tension entre liberté et responsabilité, ce n’est jamais évident de trouver l’équilibre.

Emmanuel m’a raconté que, pas loin de chez vous, il y a bien longtemps, un humain a tenté de voler au-dessus de votre mer pour réunir votre pays et celui d’en-face, que vous appelez « l’Angleterre ».

Emmanuel me dit que ce Monsieur, Monsieur Louis Blériot, a dû essuyer de nombreux échecs, la plupart lors de l’atterrissage en Angleterre : si ses envols n’ont pas posé de problèmes, c’est l’arrivée sain et sauf, condition de la réussite qu’il s’était donnée à accomplir, qui l’a souvent contrariée.

Emmanuel m’a aussi raconté qu’en ce moment, le club de football non loin de chez vous est le premier du classement, mais que son entraîneur, Monsieur Christophe Galtier, n’est pas rassuré car il a peur que son équipe se désunisse avant la fin du championnat.

Hummm, je comprends que rien n’est jamais joué d’avance.

Chers enfants, l’important n’est pas de savoir partir, mais de savoir revenir, l’important n’est pas de savoir revenir, mais de savoir partir :

Eléphante philosophe, je me dis que l’imprudence ne rime pas nécessairement avec le danger ; être imprudent, c’est tenter, c’est vouloir découvrir l’aventure de la vie.

Evidemment, on a tous besoin d’être bien accompagné pour que ces expériences oh combien importantes puissent se réaliser dans de bonnes conditions. L’important n’est pas de faire tout et n’importe quoi, l’important est d’être bien entouré à chaque fois pour que cela se vive bien.

Je vous propose cette chanson pour nous en souvenir, et vous embrasse très fort :

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Quelques nouvelles de ma famille pachyderme après une année de pandémie Covid-19”

Chers enfants,

Il y a juste une année, je profitais du premier confinement pour entrer en lien épistolaire avec vous et je profitais de votre confinement pour avoir des échanges avec plusieurs d’entre vous, et particulièrement avec la maison du cirque.

Je vous expliquais ma vie d’éléphante à Kurichithanam, au Kerala, et celle de ma famille, de mes cousins qui vivent dans la montagne des western ghats, à 100 kms de chez moi, ainsi que la vie de mes frères qui sont attachés au service des temples.

Le rapport entre les éléphants et les humains est parfois compliqué, comme j’ai pu vous l’expliquer. De mon côté, vous savez que je suis plutôt gâtée par Kuttan, qui est très attentif à moi.

Le virus Covid-19 n’a pas touché les éléphants directement, mais il a sérieusement modifié l’activité humaine.

Les fêtes des temples, où les éléphants sont en vedette, ont été annulées.

Le plus grand festival hindou du Kerala, la fête de Pooram à Thrissur, qui devait avoir lieu le 3 mai 2020, a été annulé.

Il en est de même pour  les montagnes du Kerala où vivent mes cousins, la baisse importante du tourisme a eu pour conséquence directe le retour des éléphants sauvages dans les zones où  ils se promenaient autrefois librement.

La diminution de la circulation automobile, de la présence humaine même à Munnar, a incité quelques uns de mes cousins, dont les noms sont connus, Padayappa, Ganesham, Hosekombam, Sugunam et Arikombam à visiter la ville et les environs dans le but de chaparder des fruits, du riz et de visiter les magasins…

Je vous fais remarquer que tous mes cousins sont nullement agressifs, mais très heureux de ces espaces momentanément retrouvés. Quoi qu’il en soit cela n’améliore pas les relations entre les les humains et ma famille. L’état du Kerala rembourse cependant les frais causés par les incursions de ces beaux mâles éléphants.

Loin de chez moi, en Afrique, j’ai entendu parler de ces éléphants sauvages qui vivent en bon voisinage avec un hôtel voisin,  venant en visite amicalement pour y déguster quelques mangues sur l’arbre au moment des fruits.

Ils traversent l’hôtel et se rendent gentiment dans le jardin sous le manguier :

À 2000 kms de la Zambie, nous avons le Kenya où la situation de mes cousins s’est beaucoup améliorée, en trente ans, la population des éléphants a doublé, suite à une protection contre les braconniers et à la lutte contre le commerce de l’ivoire.

En 2020, il y a eu de nombreuses naissance d’éléphanteaux, cela n’a rien à voir avec la Covid-19, car il faut 20 mois de gestation pour un petit éléphant, mais en 2018, la saison des pluies a été abondante et généreuse, et aurait eu un impact sur la vie des éléphants :

Plusieurs parcs kényans enregistrent des records de natalité cette année, selon France Info : plus de 170 éléphanteaux sont nés, par exemple, pendant les trois premiers trimestres de 2020 rien qu’à Amboseli, le parc situé au pied du Kilimandjaro. Il y a deux ans (le temps de gestation chez les éléphants), le pays a connu des pluies abondantes, la végétation s’est densifiée et les femelles étaient donc en meilleure forme pour mener à terme leurs grossesses. Et comme une bonne nouvelle arrive rarement seule : les autorités ont annoncé que la population d’éléphants du pays avait doublé en trente ans, se portant aujourd’hui à 34 000 individus. De bons résultats obtenus grâce à la lutte contre le braconnage, alors que l’espèce, chassée pour son ivoire, était en voie d’extinction sur le territoire national.”

Vous comprenez, chers enfants, pourquoi je me réjouis de toutes ces bonnes bonnes nouvelles, mais il y a encore du travail à faire pour améliorer nos conditions de vie et j’ai su que chez les humains nous avons des militants qui luttent pour notre cause.

Sangita Iyer en est un parfait exemple : cette journaliste indo-canadienne, née au Kerala, réalise des documentaires où elle plaide pour la conservation de la faune et faune , en particulier pour les éléphants sauvages et contre les mauvais traitements infligés aux éléphants dans les temples.

Sangita Iyer, bien sûr, ne se fait pas que des amis en critiquant les propriétaires d’éléphants, mais son action et celle de nombreux militants de la cause animale amènent quelques changements.

Des centres de soins et de cure pour les éléphants ont été créés dans le sud de l’Inde, au Tamil Nadu et au Kerala. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article racontant ce havre de paix :

La clinique où les éléphants des temples indiens viennent récupérer :

De nombreux temples en Inde gardent des éléphants car ils sont considérés comme sacrés.

Les fidèles recherchent des bénédictions de leur part. Ils sont également tenus de participer aux rituels du temple.

Mais les militants disent que garder les animaux loin de leur habitat naturel les stresse.

Aujourd’hui, un «camp de rajeunissement», le premier du genre en Inde, a été mis en place dans l’État du Tamil Nadu pour choyer les éléphants avec leur nourriture préférée et leurs bains relaxants“.

Au Kerala, depuis février 2021, se met en place le plus grand centre au monde, de soins et de cure pour les éléphants à Kottur, près de Thiruvananthapuram. Ce centre est reparti sur 176 hectares de zone forestière, il peut accueillir pour une cure 50 éléphants et plus de 250 humains y sont employés pour nous soigner !!

Je suis partante pour y aller en cure.

Une autre bonne nouvelle, en ces moments de pandémie, c’est le travail des scientifiques qui, à partir d’images thermiques, développent une nouvelle technologie pour aider à réduire les conflits homme-éléphant, dans les pays où les éléphants se promènent librement.

Tout ceci m’inspire une musique célébrant les instruments à vent, air joyeux que ma trompe aurait à cœur de siffloter en compagnie de mes cousines et cousins :

Voilà, chers enfants, les nouvelles de ma famille pachyderme en Inde et en Afrique. Comme quoi, la pandémie n’a pas que des côtés négatifs, mais il nous faut rester vigilants pour nos droits et notre bien-être soient respectés.

Je vous fais de gros bisous.

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Chemin faisant”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Emmanuel m’a raconté que la semaine dernière, vous vous promeniez par monts et par vaux dans vos jolis paysages :

Moi aussi, j’adore me dégourdir les pattes après avoir mangées mes chères pousses de bambou apportées par Mister Kuttan ; quel plaisir, quel voyage.

Cela fait plusieurs semaines que Kuttan ne me mène pas dans mes montagnes du Kerala, en raison de ce satané virus.

Moi l’éléphante qui ai une mémoire d’éléphant, je dois vous dire qu’en discutant avec mon cher voisin Henri de son périple là-bas avec sa famille en 2013, je me suis souvenue de ma dernière venue dans les contreforts de « Chembra peak », montagne raide à deux mille cents mètres de hauteur.

Je n’en menais pas large.

C’était en 2017, j’ai marché aux côtés de Kuttan pour nettoyer la forêt de cette montagne, charger les arbres morts sur le camion, mais je dois vous dire que je n’étais pas rassurée tant les pentes étaient impressionnantes, pour moi qui pèse près de trois tonnes. Quand je me rappelle de cette expédition, je me dis après coup que Kuttan fut mon cher cornac, mon cher sherpa :

Kuttan m’a guidé pas à pas durant cette expédition extraordinaire.

Heureusement je ne dois pas aller si haut d’habitude ; Kuttan m’emmène à quelques kilomètres de mon petit pré, et souvent les collines ne sont pas aussi ardues. Mais cette expérience reste importante pour moi, et j’ai pensé qu’elle serait, chers enfants, intéressante à méditer tous ensemble. Aussi je me permets de vous la faire partager.

Entre mon petit chez moi, et la montagne qui m’a donnée tant de mal, j’ai parcouru avec Kuttan trois cents kilomètres, et Kuttan m’a avertie dès les premiers kilomètres de notre expédition que ce serait long. Kuttan a déposé le camion au pied de la montagne, et nous avons commencé à gravir les contreforts pour rejoindre la forêt.

Hummm, j’ai eu peine à avancer, aussi j’ai ralenti le rythme de ma marche.

Et bien mes chers enfants, d’adapter ma cadence au dénivelé de la pente fut une expérience spirituelle qui m’a bien plu.

Henri, grand marcheur s’il en est, me dit qu’en France vous avez un proverbe qui dit : « Rien ne sert de courir, il faut savoir arriver à point ». Si j’ai bien compris, cette phrase décrit exactement l’intelligence du randonneur de longue distance : l’important n’est pas d’arriver le plus rapidement possible, il s’agit plutôt de savoir se ménager pour être sûr d’y parvenir.

Emmanuel m’a envoyé pour vous un célèbre chemin qui passe non loin de chez vous du côté de Wissant, Guînes et Thérouanne, et qui va d’Angleterre jusqu’en Italie sur près de deux milles kilomètres.

Ouille ouille ouille, deux milles kilomètres à pieds !

Emmanuel m’a dit que ce parcours, appelé « via francigena » a été créé il y a bien longtemps, au cours de ce que vous appelez « le Moyen Age », bien avant Vasco de Gama dont je vous parlais lundi.

Quelle aventure merveilleuse chers enfants : ces personnes il y a plus de mille ans ont tracé un chemin que, vous autres, les humains, continuez à pratiquer aujourd’hui. Marcher si longtemps, c’est comme écrire une épopée chemin faisant.

Henri m’a raconté que le Moyen Age est une période de votre Histoire durant laquelle des grands récits furent racontés sur des mètres et des mètres de longueur :

Hummm, lire cette saga est comme marcher à son pas pour rallier des endroits lointains, réputés difficiles d’accès.

Mes chers enfants, que je suis heureuse de fêter avec vous les bienfaits du cheminement. Voici un air de musique entraînant qui, j’en suis sûre, nous aidera à tailler la route avec joie :

A lundi,

Bisous,

Shila

Lettre de Shila : “Le phare”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Ce matin mon cher Kuttan m’a promenée sur la plage. J’ai vu le phare que vous autres les humains avez construit non loin de chez moi.

C’est impressionnant cette tour qui va haute dans le ciel.

Mon cher voisin Henri m’a dit qu’à Boulogne, par chez vous, a existé le second plus grand phare de l’ère romaine, voici près de deux mille ans.

Ouillie ouille ouille, ce n’est pas croyable de si grandes constructions d’humains depuis tant d’années. Mais pourquoi tant d’efforts ? Cela ne sert à rien. Moi, l’éléphante, n’ai aucune barrière autour de mon petit pré pour dire qui peut entrer, qui peut sortir.

Henri et Emmanuel m’ont raconté qu’effectivement, vous autres, les enfants, n’êtes comme moi pas sûrs d’une si grande tour construite il y a très longtemps pour gardienner les bateaux et leur permettre d’aller et venir au large de votre contrée.

Henri m’a expliquée que cela est d’autant plus difficile à croire que cette tour aurait été construite sous les ordres d’un fou, nommé Caligula.

Humm, l’éléphante philosophe que je suis me dis qu’un fou ne peut construire un tel point de repère, visible à des kilomètres, pour aider les humains à ne pas faire n’importe quoi. 

Voyant ma confusion, Henri m’a dit que si, effectivement, Caligula a été connu comme fou, il a pu quand même de temps en temps avoir un soupçon de raison, très important pour l’histoire des humains.

Si j’ai bien compris, Caligula était le chef d’un peuple et sa décision de construire un immense phare par chez vous a été essentielle, tant elle permet de surveiller que tout se passe bien en mer.

Depuis deux mille ans, me dit Henri, vous veillez comme Caligula à ce que tous les bateaux puissent aller à bon port.

Ah d’accord, donc il suffit de construire un phare pour que tout aille bien. J’en suis très heureuse, chers enfants, moi qui ne connaît l’eau de mer qu’en me promenant sur la plage avec Kuttan.

Emmanuel m’a dit que je n’avais pas tout à fait raison.

Malgré les phares pour les guider à bon port, de nombreux bateaux ont hélas coulé. Ainsi, me dit Emmanuel, des magnifiques bateaux ont coulé sous les yeux du Roi à peine sur les flots.

Henri m’a raconté aussi l’histoire d’un bateau réputé pour ne jamais couler, qui a coulé cependant. Ce fut pour les humains une catastrophe qui reste dans leur mémoire.

Humm, moi l’éléphante philosophe, me dit qu’il ne suffit pas d’avoir un point d’ancrage, aussi grand et majestueux soit-il, pour être sûr de rejoindre sain et sauf les êtres aimés.

Je me dis, chers enfants, que l’important n’est pas tant de savoir partir, mais d’en savoir revenir, l’important n’est pas de savoir revenir, mais d’en savoir partir. Ruminant ces pensées au long cours, j’ai pensé pour vous à ce Monsieur qui ne voit pas mais chante si bien le pays de son cœur :

Bisous,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Kind of Blue (entre chien et loup)”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Mon cher voisin Henri m’a dit que très tôt en ce moment, vous pouvez contempler les magnifiques lumières de la Lune, éclairant la mer.

Henri m’a expliqué que ces lumières bleues sur vos rivages sont exceptionnelles, à raison de deux fois dans l’année, à la mi-saison au sortir de l’Automne en novembre et à l’entrée du Printemps en Mars. Si j’ai bien compris, ces couleurs bleutées dans votre paysage sont dues à la proximité de Madame la Lune. J’en suis ravie chers enfants, quel bonheur de voir de plus près ma copine :

Ce que j’aime bien avec elle, c’est qu’on peut faire des bons dodos.

La couleur bleue est une couleur calmante, propice aux rêves :

Ce matin, comme vous j’ai vue la couleur bleue ; des chiens de couleur bleue. Je me suis dit que c’était en raison de la Lune, mais en fait c’est plus compliqué que cela. Henri m’a expliqué que mes amis chiens peuvent avoir cette couleur surnaturelle en raison de la pollution.

Ah que je ne suis pas contente.

Kuttan et Henri, informés de mon agacement, ont appelé Emmanuel. Emmanuel m’a expliqué que le mystère des chiens bleus n’était pas hélas l’exclusivité de l’Inde.

Ainsi, m’a dit Emmanuel, des chiens bleus ont récemment aussi été vus en Russie, à des milliers de kilomètres de chez moi, eux-aussi victimes de la pollution.

Hummm, je n’aime plus le bleu ; cette couleur fait trop de mal à nous autres, les animaux.

Kuttan, Henri et Emmanuel m’ont dit qu’il ne fallait pas en vouloir à cette couleur : elle n’y est pour rien. Henri m’a expliqué que pour les humains, la couleur bleue est la couleur de l’incertitude, capable de rassurer comme de déranger.

Si j’ai bien compris, cette incertitude sur le message que nous dit cette couleur bleue ne date pas d’hier. Ainsi, m’a raconté Emmanuel, des humains ont trouvé récemment des objets bleus dans le sol, qui montreraient qu’un continent loin de chez moi n’a pas été découvert comme vous avez très longtemps pu le croire. Tout cela n’est pas encore sûr et demande à être vérifié.

Ouille ouille ouille, que cette couleur bleue est troublante.

Henri m’a dit que vous autres, chers enfants, en aviez le pressentiment, petits filous que vous êtes, et aviez célébré « L’heure bleue » devant votre Maison pour célébrer ce moment magique durant lequel tout peut être possible, même l’impossible :

Ah que je vous comprends mes enfants, rien de mieux pour s’ouvrir l’esprit quand les temps sont incertains que de vivre, comme les humains aiment à dire, entre « chien et loup » ; à la fois les pattes bien posées sur Terre, à la fois les pattes prêtes à gambader.

Chers enfants, moi l’éléphante poète, je rêve avec vous de ces moments hors du temps, durant lesquels nous ne sommes pas assurés de nos repères habituels et apprenons de la vie comme elle vient.

Vive la couleur bleue, vive l’aventure, vive le tournis :

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Bisous,

Shila

Lettre de Shila : “Les merveilleuses mamies indiennes, Nanammal et Papammal”

Chers enfants,

J’espère que la rentrée se passe bien pour vous, malgré les restrictions de sorties pendant les week-ends dans le Pas-de-Calais.

Comme je vous l’ai déjà dit, chez nous, dans la montagne, les éléphants vivent en groupe avec à la tête ou à la direction du groupe, la grand-mère éléphante. C’est elle qui dirige la troupe de façon douce et ferme à la fois. C’est une vraie manageuse, protégeant les plus faibles, très attentive à tous.

Aujourd’hui je vais vous parler de deux grand-mères qui ont reçu le Padma Shri, ce prestigieux prix indien reconnaissant l’exemplarité de femmes ou d’hommes qui se sont distingués dans divers domaines, tels que l’éducation, les arts, la science, la culture, l’industrie, les sciences, la santé etc…

Ces deux mamies sont Nanammal et Papammal, toutes deux habitantes de Coimbatore, à 210 kms de chez moi, dans l’état voisin du Tamil Nadu.

Nanammal est née le 24 février 1920 et décédée le 26 octobre 2019, à la veille de ses cent ans.

Nanammal a reçu le Padma Shri, il y a trois ans, le 26 janvier 2018, journée du Republic Day.

Nanammal était la plus vieille professeure de yoga du monde.

« Nanammal a été parmi ceux choisis pour le prix Padma Shri par le gouvernement central. Elle a enseigné le yoga à des milliers de personnes et répandu l’ancienne pratique traditionnelle à travers le Tamil Nadu. « Je suis très heureux d’avoir été choisi pour ce prix », a déclaré Nanammal, avec un enthousiasme enfantin. « Je suis plus heureuse que cette reconnaissance soit venue pour faire en sorte que toutes les personnes à qui j’enseigne le yoga restent en bonne santé », a-t-elle déclaré depuis sa maison à Ganapathy à Coimbatore.

Née dans une famille d’agriculteurs à Zameen Kaliayapuram, elle a déménagé à Negamam après le mariage et plus tard à Ganapathy. Ayant appris le yoga à l’âge de huit ans de son père, elle a maîtrisé plus de cinquante asanas. Au cours des cinq dernières décennies, Nanammal a formé plus d’un million d’étudiants et continue d’enseigner à cent étudiants par jour au centre de yoga Ozone qu’elle dirige. Plus de six cents de ses étudiants, dont trente-six membres de sa famille, sont devenus des « instructeurs de yoga » à travers le monde.

« C’est un grand honneur pour nous », a déclaré son fils V Balakrishnan, également professeur de yoga.

Nanammal a cinq enfants, 12 petits-enfants et 11 arrière-petits-enfants. Elle est également experte en silambattam.

La journée de Nanamma commence à 5 heures du matin, bien avant le lever du soleil… »

La plus vieille professeure de yoga du monde, Nanammal, porte toujours des habits simples en coton, elle utilise un tapis simple, elle est vraiment aux antipodes de l’industrie du yoga dont le but est le profit. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article racontant son quotidien :

Mais vous ne trouverez pas de pantalon de yoga Lululemon ou de tapis de yoga spécialisés ici. Nanammal ne porte que des vêtements et des pratiques traditionnels sur un simple tapis. Son style de vie est tout aussi minimaliste : des repas simples de porridge à base de millets pour le petit-déjeuner, de légumes verts et de riz pour le déjeuner, et de lait et de fruits pour le dîner. Elle demande également à ses élèves d’éviter la viande, les cigarettes et l’alcool.

Tout cela la distingue de l’industrie du yoga d’un milliard de dollars telle qu’elle existe en Inde urbaine et dans le monde. L’engouement pour le power yoga, avec ses mouvements intenses et rapides, et même le yoga chaud, pratiqué dans des conditions humides, a alimenté un boom des cours, des vêtements et des accessoires, en particulier aux États-Unis. Mais pour les traditionalistes comme Nanammal et sa famille, ces pratiques ne sont que de l’exercice et ont très peu à voir avec la vraie forme de yoga. Par exemple, Nanammal soutient que les asanas de la routine surya namaskar (la salutation au soleil) ne devraient pas être exécutées plus que les douze fois traditionnelles. Et pourtant, les amateurs de yoga le font parfois comme un exercice, en répétant les asanas autant qu’ils le peuvent.”

L’autre merveilleuse mamie de Coimbatore est Papammal, un joli nom aussi qui ressemble à Nanammal, vous changez le N par la lettre P !!

Papammal est encore plus âgée, née en 1916, âgée de 105 ans, elle continue son travail d’agricultrice bio, cultivant des bananes biologiques et accueillant des étudiants en lien avec l’université du Tamil Nadu.

Je ne vous cache pas, chers enfants, que je voudrais tant la rencontrer, cette mamie Papammal, il paraît qu’elle est très gentille et généreuse, distribuant des fruits à ses visiteurs. Je crains que mon cornac adoré, Kuttan, ne me conduise jusqu’à Coimbatore !! Je ne peux cependant pas m’empêcher de saliver !!

Papammal vient d’être honorée en recevant le prix prestigieux du Padma Shri, le 26 janvier dernier, la distinguant pour son engagement dans l’agriculture biologique et son rôle éducatif auprès des étudiants de l’université du Tamil Nadu. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article racontant cette belle histoire :

Pappammal était l’un des récipiendaires de Padma Shri, le prix civil, que le gouvernement avait annoncé. Quelques heures avant l’arrivée des médias, elle était à sa ferme, arrosant ses cultures de bananes. Lorsque son petit-fils de cinquante ans, R. Balu, lui a parlé du prix et de la présence des médias, elle a d’abord exprimé son incrédulité.

Le gouvernement lui a décerné la Padma Shri pour son rôle de femme agricultrice modèle et sa contribution remarquable à la promotion des femmes dans l’agriculture. Elle était particulièrement connue pour ses compétences en ingénierie sociale – organiser les femmes dans des programmes de vulgarisation agricole et pour être une ardente agricultrice biologique tout en adaptant les technologies modernes et en introduisant de nouvelles pratiques agricoles.”

Je sais, chers enfants, que chez vous, c’est la fête des grand-mères, ce 7 mars, même si c’est un peu commercial tout cela, j’avoue que je suis prête à fêter toutes les grand-mères éléphantes et humaines, quand je vois cette belle vitalité :

Quoi qu’il en soit, je vous invite à suivre leur exemple, en faisant quelques postures de yoga, et en vous intéressant à jardiner dès que l’occasion se présentera.

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Sur les routes du bout du monde, de l’antiquité à nos jours”

Chers enfants,

J’espère que vous allez bien et que vous avez passé de bonnes vacances avant de vous retrouver encore une fois confinés à Boulogne-sur-mer.

Au Kerala, la situation sanitaire ne me permet pas encore de me déplacer avec mon cornac Kuttan, mais ça me laisse le temps de m’intéresser à l’histoire des échanges entre mon pays, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe qui remontent à la nuit des temps :

Un livre écrit en grec ancien par un auteur anonyme, au tout début de notre ère, raconte avec précision la route que suivaient les commerçants qui faisaient les échanges entre nos pays, il y a 2000 ans !!

Ce livre incroyable est Le Périple de la mer Érythrée, il décrit avec précision la navigation et les opportunités commerciales entre les ports romains, égyptiens, ainsi que les ports de l’Afrique orientale et de l’Inde.

Les marins, il y a 2000 ans, savaient utiliser les vents de la mousson et les courants pour naviguer entre la corne de l’Afrique et l’Inde et le Kerala, où il achetait le poivre :

Moi, l’éléphante philosophe, voilà que je commence à m’intéresser à l’histoire. Les historiens nous aident à mieux comprendre le but de tous ces voyageurs qui sillonnent les mers pour le commerce, mais aussi pour échanger sur les savoirs et s’étonner des similitudes et des différences entre les peuples.

Dans mon pays, la conservation des livres est très difficile en raison de l’humidité très importante, accentuée par les moussons de sud-ouest, de juin à septembre et de nord-ouest, d’octobre à novembre, chaque année. Les historiens n’ont plus les manuscrits qui les auraient instruits. Mais, par contre, l’archéologie peut être très instructive et là, en Inde, le champ est immense.

Il y a 2000 ans, le port très important était le port de Muziris, qui se situait près de Cochin, à Pattanam, près de la rivière Periyar. Des recherches archéologiques ont lieu sur l’emplacement de ce port. Les archéologues n’en sont qu’au début de leur recherche, mais ils commencent à découvrir de très beaux vestiges.

Les voyageurs, navigateurs et commerçants échangeaient dans le respect des règles, aucune arme n’a été retrouvée par les archéologues de Pattanam, port d’échange avec l’Afrique, le golfe persique et l’Europe, au début de notre ère !!

Malheureusement, l’arrivée des navigateurs portugais, avec leur commandant, Vasco de Gama, qui a contourné l’Afrique par le cap de bonne espérance et atteint Calicut en 1498, au Kerala, ne s’est pas faite sans violence.

Bien sûr, il faut reconnaître que Vasco de Gama, en ouvrant cette nouvelle voie maritime vers l’Inde, ne découvrait pas un nouveau monde, mais allait permettre aux européens de commercer avec l’Inde sans passer par les intermédiaires.

Un grand historien indien, Sanjay Subhramaniam, écorne sérieusement l’image de Vasco de Gama, en apportant l’éclairage des archives trouvées dans d’autres pays. La violence, l’appât du gain ont marqué de son empreinte sa découverte d’une nouvelle route de l’Inde et ses relations commerciales avec mon pays :

Il est vrai que l’histoire est une interprétation. Les portugais considèrent Vasco de Gama comme un héros mythique, fierté de leur pays, mais comme vous le savez, travaillant sur le thème En vérités, il faut remettre en question la perception des exploits de Gama.

La mise au jour de l’incendie criminel du navire égyptien, Rimi, en 1502, tuant femmes et enfants, après les avoir dépouillés, rentrant du pèlerinage de la Mecque, jette le doute sur les qualités humaines de ce navigateur.

Les scientifiques, les historiens, les ethnologues nous aident à mieux appréhender la réalité.

Aujourd’hui, comme hier, nous tentons de mieux connaître le dessous des cartes, il est vrai que l’arrivée des navigateurs européens en Inde n’a pas été de bonne augure pour mon pays ; le commerce fait partie des échanges qui ont toujours existé, mais la domination coloniale et le pillage de nos richesses pendant plus de deux siècles restent une blessure qui demandera du temps à se cicatriser.

Sanjay Subhramaniam et ses collègues historiens ont encore du travail pour renverser cette image fallacieuse et paradoxale, qui associe colonisation et bienfaisance.

Chers enfants, ma lettre est une invitation à avoir un regard critique sur ce qui nous est conté et à poursuivre la réflexion sur le thème bien choisi de votre saison culturelle, qui disserte sur le statut de la vérité. 

Je me suis dite que cette chanson serait pas mal pour tracer la route, en réfléchissant à qui nous sommes et de qui nous le devons avec le regard critique qui sied :

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “L’atelier”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Emmanuel m’a dit que mercredi, comme chaque mois cette année, vous avez rejoint l’atelier de Fabrice, Thierry, et Christophe pour construire une charrette d’il y a six cents ans :

Génial, bravo les enfants ; je vous admire. J’espère être avec vous pour voir rouler cette charrette quand vous l’aurez terminée, vous connaissez ma passion pour tout ce qui roule :

Du coup, je me suis rapprochée de l’atelier qui est à deux pas de la maison bordant mon petit pré.

Quel foutoir !

Son occupant était très affairé à l’établi. Je n’ai pas osé le déranger. Je me demande comment il sait s’y retrouver dans son atelier avec tout ce bric-à-brac.

Mon cher Kuttan, qui me portait mes chères pousses de bambous, m’a raconté qu’un jour, cette personne l’a invité à bricoler avec elle dans son atelier. Kuttan m’a dit que cet humain a tout le temps plein d’idées en regardant ces amoncellements d’objets. 

Je ne sais pas comment il fait : c’est bien mystérieux tout ça.

Kuttan a appelé Emmanuel pour lui expliquer mon embarras.

Emmanuel m’a dit au téléphone qu’il ne fallait pas que je rumine plus que de raison ; souvent des ateliers incroyablement dérangés furent au cœur du génie de la création humaine. Mais il y aussi des ateliers un peu plus rangés. Et aussi des ateliers dépouillés, où ne se trouvent que l’humain et son seul outil désiré :

Emmanuel, entre deux coupures de téléphone, a réussi à me dire que le cerveau des êtres vivants est fait pour apprendre, mais qu’il a besoin d’être aidé pour réussir ces apprentissages, et c’est pour ça que les objets, les lieux, sont si importants :

Hummm, très intéressant.

Le propriétaire de l’atelier, sortant de sa cabane, a écouté avec Kuttan la discussion au téléphone que j’avais avec Emmanuel. Mon cher voisin Henri, remarquant dans le pré notre attroupement, nous a rejoint.

Henri nous a dit que la créativité pour utiliser des choses qui n’ont pas de relations entre elles n’était pas l’apanage des humains ; moi aussi, l’éléphante, je serais capable de trouver un sens à tout ce qui se présente devant moi, chemin faisant. Le monsieur de l’atelier a répondu qu’Henri avait raison.

Ouille ouille ouille, je ne me sens pas à ma place dans ces discussions entre humains. Certes je m’étais regardée dans le miroir et m’y suis reconnue, mais je ne savais pas que vous autres les humains considérez que mon intelligence se manifeste aussi par ma capacité à trouver des objets pour les faire miens.

Henri et Kuttan, voyant mes joues rougissantes, ont voulu me réconforter et m’ont aussi expliqué qu’un Monsieur ; Monsieur Duchenne, ayant vécu à Boulogne-sur-mer pas loin de chez vous, avait inventé dans son atelier la technique pour lier les émotions et la pensée. Kuttan m’a expliqué que les plantes sont toutes aussi créatives pour trouver des solutions à partir du lieu où elles vivent.

L’atelier est bien le lieu pour faire naître les idées.

Merci chers Monsieur de l’atelier, Kuttan, Henri, Emmanuel : je reprends mes esprits grâce à vous. Chers enfants, est-ce que cette façon de penser appelée « la fabrique de l’atelier » est aussi la vôtre ?

Henri m’a dit que les jeunes indiens étaient passionnés de jeux vidéo qui font appel à la capacité de développer des villages, ou des stratégies pour gagner des matchs tout au long de la saison :

Emmanuel m’a dit que vous étiez tout aussi fans que mes compatriotes de jeux pour construire des Maisons.

Hummm, je m’en réjouis : la créativité est la capacité à créer des associations d’idées, d’objets, de personnes, et vous êtes fortiches pour ce faire.

Belles vacances bien méritées chers enfants, je vous envoie cette rêverie fruit de tant de travail dans des ateliers du monde entier :

Au lundi 8 mars,

Bisous,

Shila

Lettre de Shila : “Un jour sans fin”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Emmanuel me dit que vous aimez regarder avec vos éducatrices et éducateurs des films de science-fiction avant d’aller vous coucher. Je vous comprends, ces histoires incroyables sont des explorations qui éveillent la conscience et permettent de faire des aventures incroyables durant le dodo.

Hier soir, mon cher voisin Henri regardait devant sa télé un film, et je me suis permise d’aller le regarder avec lui :

Si j’ai bien compris, le film racontait des voyages dans le temps. Cela m’a passionné.

Henri m’a dit que vous autres les humains, avaient inventées beaucoup d’histoires dans les livres et au Cinéma pour raconter ce que cela fait d’être transporté dans un autre temps que celui que nous vivons.

Parmi les films que vous autres, les humains, regardez beaucoup depuis un an et l’apparition du satané virus, il y en a un, me raconte Henri, auquel vous pensez tous les jours. Il raconte que chaque jour est comme un jour sans fin.

Humm… Très intéressante cette histoire d’un Monsieur qui ne cesse de vivre exactement les mêmes situations jour après jour, alors que les jours passent, et qui ne comprend pas pourquoi il a le sentiment que rien ne change, alors que son réveil, sa montre, le Soleil dans le ciel, indiquent le contraire. Il y a de quoi devenir fou !

Mon cher Kuttan m’a expliqué que les humains avaient repéré ce problème et l’avait appelé la « boucle temporelle » ; l’impression d’être enfermé dans un moment que rien ne peut changer, même le temps qui passe.

Ah oui, maintenant que Kuttan me le raconte, parfois moi aussi j’ai l’impression d’avoir déjà vécues des situations alors que je me suis levée pour un nouveau jour.

Comme j’étais toute tourneboulée, Henri est venu pour me parler de votre Conseil scientifique, d’un Monsieur qui s’appelle Pierre, et qui réfléchit beaucoup avec vous à comment fonctionne le cerveau de tous les êtres vivants. Henri, pour me rassurer, m’a expliqué que mon cerveau, votre cerveau, le cerveau des créatures douées de mémoire, ont un fonctionnement qui régulièrement analyse ce dont nous nous souvenons parfois au moment même où nous vivons d’autres choses tellement différentes, et que cela n’est pas un signe de maladie, mais de vitalité.

Oufff, cela me rassure. J’avais l’impression de perdre la tête.

Mais, est-ce que cela veut dire que tout cela n’appartient qu’à nous, les êtres vivants de la planète Terre ?

Emmanuel, alerté par Kuttan et Henri sur mes prises de tête, m’a envoyée une lettre racontant que vous autres, les humains, êtes sur le point de découvrir un phénomène incroyable dans l’Espace, mais qui n’a pas encore été prouvé. Si j’ai bien compris, cela s’appellerait « les trous de ver », des sortes de passages cosmiques entre deux galaxies qui fait qu’on a tel âge si l’on vit proche de cette étoile-là, et tel âge si on vit une fois aller dans son véhicule spatial pour rejoindre telle étoile par un raccourci :

Oulalala, ouille ouille ouille, que c’est bien mystérieux. En même temps, chers enfants, j’aime bien cette idée selon laquelle des jumeaux terriens, extraterrestres, nés au même moment, n’auront plus le même âge selon que l’un reste sur sa planète et l’autre voyage dans l’Espace :

J’aime bien aussi de me dire que si je voyage dans l’Univers à bord d’une des fusées que mon pays fabrique, je pourrais être plus jeune à mon retour qu’un éléphanteau.

Henri me dit que dans le pays à côté de chez moi un enfant a un corps bien plus vieux que son âge, et que dans un pays à cinq milles kilomètres de chez moi, en Corée du Sud, un adulte a un corps d’enfant.

Chers enfants, que la conscience du temps est dynamique.

C’est chouette de se sentir faire moins ou plus que son âge selon les circonstances : ça montre que nous vivons. Je me sens tout d’un coup comme Alice au Pays des Merveilles :

Bisous,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Idée renversante”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Henri et Emmanuel m’ont dit que par chez-vous la semaine dernière, vous avez eu froid comme rarement. J’espère que vous n’avez pas eues trop les pattes gelées. Ouille ouille ouille, ça brûle aux extrémités, ça pique.

Chez moi, dans mon petit pré, les températures de ce début de février sont comme chez vous toutes aussi exceptionnellement basses.

J’ai pensé à vous en regardant un chat tombé de la toiture de la maison de mon cher voisin Henri. Il me faut vous dire que ce chat m’intrigue beaucoup.

Il adore aller sur le toit de la maison d’Henri pour se dorer la pilule au Soleil quand le sol est froid, mais à chaque fois qu’il en a marre de cette séance de bronzage, il décide de se jeter en l’air, et, Hop !, il fait des galipettes invraisemblables jusqu’à retomber parterre comme si de rien n’était.

Les chats sont fous.

Nous autres, les éléphants, savons bien qu’il ne faut pas faire n’importe quoi pour éviter de se faire mal. J’en ai parlé au chat, mais il continue de venir sur le toit d’Henri pour bronzer, puis de sauter dans le vide quand il en a assez. Grrrr… Que ce chat m’agace ! Il n’écoute rien, quel casse-cou.

Henri a vu mon agacement et m’a expliqué que si la famille chats fait si souvent de telles galipettes inconsidérées, c’est qu’elle sait par instinct qu’elle saura de toutes façons retomber sur ses pattes :

Ouaaaa, les chats sont des artistes de l’art du renversement. Chapeau les chats. Tête à l’envers, ils savent se remettre la tête à l’endroit. Hummm, je pense que ce don n’appartient qu’aux chats. C’est trop surnaturel.

Emmanuel me dit que comme moi, les humains sont fascinés par cette capacité de savoir se remettre à l’endroit, quand tout parait à l’envers. Henri m’a rappelé que, pas loin de chez vous, à Equihen, des humains avaient eue l’idée de renverser leur bateau pour créer la maison qu’ils avaient perdue en raison de conditions de vie terribles :

Quelle bonne idée, bravo les humains. J’ai l’impression que comme nous autres, les animaux, vous les humains parfois trouvez des solutions invraisemblables grâce à l’instinct de survie.

Henri et Emmanuel m’ont raconté qu’en effet les humains réfléchissent à ce qui est improbable, et pour ce faire au cas où, explorent des façons de s’en sortir malgré tout. Emmanuel m’a dit, chers enfants, que vous aimiez regardé ces dessins animés qui racontent l’inconcevable pour mieux apprécier des histoires qui finissent bien.

Si j’ai bien compris, vous autres les humains vous intéressez beaucoup à ce qui ne devrait pas avoir lieu  ; vous imaginez que vous êtes dominés par les animaux (hummm… N’importe quoi !)… Vous dites à l’enfant l’inverse de ce qu’il attend de vous, car vous pensez que du coup l’enfant va faire ce qui est attendu… Vous construisez des jardins verticaux alors que je sais très bien que mes amies les plantes vivent sur mon sol à l’horizontal.

Ouais, bon. Vous n’avez pas toute votre tête chers humains. Notre Terre est quand même mieux faite que vos idées irréalistes. Bon, je préfère retrouver mes chères pousses de bambous pour les brouter : ça, au moins, c’est pas fou fou.

Mon cher Kuttan, qui me les a apportées, a vu combien j’étais agacée par votre inconséquence et m’a montré pour me raisonner des endroits de la planète où l’on voit combien nos repères habituels peuvent être chamboulés.

Un lac qui montre mieux ce qu’il y a dessous sa surface que ce qu’il y a au-dessus :

Une rivière dont l’eau monte dans le ciel, et pas vers son sol :

Le plus grand humain du monde qui sert la main au plus petit humain du monde :

Oui… Bon…

Chers enfants, excusez-moi alors. Moi l’éléphante philosophe, je vois bien que trouver du sens à l’aventure de la vie nous autorise à penser y compris ce que nous croyons ne pas être raisonnable.

Je trouve cela formidable à la réflexion, et vous propose de méditer ensemble les idées renversantes de cette incroyable performance. J’en suis sûre, vous ferez de beaux rêves cette nuit et retomberez sur vos pattes demain comme si de rien n’était :

A demain chers enfants,

Bisous,

Shila