Comment allez-vous depuis notre dernier échange du 21 février cette année, où je vous envoyais de gros câlins de mon petit village de Kurichithanam au Kerala ?
Je sais que vous êtes actuellement en train de terminer vos vacances tant méritées après une année merveilleuse que vous avez terminée par un spectacle grandiose, où chacune et chacun de vous a pu exprimer ses talents, en musique, en danse, en yoga, en cirque et autres arts martiaux que vous pratiquez si bien.
Si j’ai bien compris le message sur l’utopie, thème de votre année, c’est tout le contraire du chacun pour soi… c’est ensemble que vous pouvez créer un monde enchanté.
Ma lettre aujourd’hui concerne la maison qui frissonne, cette structure artistique, que vous avez réalisée avec Viliina Koivisto et Mark Nixon dans le jardin de votre maison au 130, boulevard Raymond Splingard, à Outreau.
Emmanuel m’a gentiment invitée à l’inauguration et je me suis sentie très honorée, d’autant que j’ai l’habitude d’officier dans les temples avec mes parures en or.
Kuttan, mon cornac de rêve était prêt à faire le grand voyage par avion jusqu’à l’aérodrome d’Alprech, au Portel… mais Sassi et Apu mes cornacs très terre à terre m’ont dit que là c’était vraiment utopique !!
Votre maison qui frissonne me fait penser aux temples de mon pays adoré, le Kerala. À Kurichithanam, petit village où j’ai mon petit pré, nous avons deux très jolis temples, avec des fêtes magnifiques chaque année.
Nous avons de grands temples, comme celui de Thrissur ou celui de Thiruvananthapuram, dont je vous ai déjà parlé, mais nous avons aussi des milliers de petits temples, de la taille de votre jolie maison qui frissonne.
J’ai aussi un petit temple à quelques mètres de mon pré, dédié au dieu serpent : c’est le Sarpa Kavu (qui signifie Demeure du Dieu Serpent), avec une petite forêt traditionnelle attenante.
Cette petite forêt intacte abrite généralement des idoles de Naga Devatas et de Naga Devas (dieux serpents) et les gens les adorent. Cela faisait partie du Nagaaradhana (culte du serpent) qui est toujours répandu parmi les Kéralais. Nous n’entrons pas dans ces petites forêts afin de laisser en paix nos amis les serpents que nous respectons, ils font partie intégrante de notre environnement.
Aussi la maison qui frissonne attire le regard des gens qui passent à côté. Des questions se posent :
Qu’est-ce que c’est…. Quelle est l’utilité d’une telle réalisation ???
Pour moi, l’éléphante philosophe de Kurichithanam, la question ne se pose absolument pas : je suis très fière de vous, car, en plus d’être une œuvre artistique, la maison qui frissonne est un hommage au vent qui, m’a-t-on dit, fait partie de votre environnement, dans votre joli pays du Boulonnais, c’est un formidable hommage à Éole, le dieu du vent.
Chez nous, Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, est honoré avec beaucoup de ferveur, comme je vous l’ai déjà dit dans une ancienne lettre :
J’ai une joie immense de m’associer à vous, chers enfants pour honorer Éole, aussi je lève ma trompe en son honneur, et vous félicite pour votre très beau temple dédié au vent, cette belle maison qui frissonne.
À quelques jours de la rentrée, j’en profite pour vous souhaiter une bonne fin de vacances et une bonne rentrée, et comme on dit dans le milieu marin : “BON VENT”…
Voilà quelques semaines que je suis sans nouvelles de vous et de vos maisons, aussi je reviens vers vous pour vous envoyer des “Big hugs”, des gros câlins, de gros bisous avec ma trompe et de gentilles caresses avec mes oreilles…
Vous allez dire “notre chère Shila fait preuve de beaucoup d’affection en ce début d’année 2024″… et vous avez raison, je suis une éléphante pleine d’empathie et je tiens à vous le manifester.
Aussi Kuttan, mon cornac de rêve, m’a montré les vidéos que vous avez réalisées avec Rémy Boiron, je vous admire vraiment et je lève ma trompe en votre honneur.
Pour moi, la petite éléphante philosophe de Kurichithanam, Utopia c’est un univers où la relation entre les animaux, la nature et les humains est une relation vraie de respect et d’affection.
Quand j’ai reçu en novembre dernier une délégation venant de votre part, composée d’Isabelle du petit journal de l’Inde et d’Elisabeth et d’Henri de Boulogne sur Mer, j’en ai profité pour faire un gros bisou avec ma trompe sur le nez d’Elisabeth et une douce caresse avec mon oreille sur la tête d’Henri… sous l’oeil ravi de mes cornacs Sassi et Apu… Sassi leur avait demandé de marcher à mes côtés…
Notez bien que ces bisous et câlins s’adressaient aussi à vous, chers enfants de Boulogne.
C’était lors de la fête du temple de Kumaranalloor Devi :
Elisabeth et Henri étaient tellement surpris de mes marques d’affection qu’ils en ont parlé avec Hari Namboodiri, mon ami qui m’héberge à Kurichithanam…Hari leur a répondu que les éléphantes particulièrement peuvent être approchées comme cela et s’exprimer …par contre il est déconseillé de s’approcher des éléphants mâles qui sont imprévisibles. Rappelez -vous ma lettre sur Ramachandran :
Ils étaient bien sûr très heureux et surpris par ces gestes affectueux et ils étaient surpris de voir comment tout au long de la procession en l’honneur de la déesse Devi, les gens me donnaient des fruits que j’appréciais doublement, car j’adore les fruits et l’affection qui s’exprime par le cadeau.
Je sais que vous allez être en vacances ce vendredi, aussi je vous souhaite de bonnes vacances, vous les avez bien méritées, et quitte à me répéter je vous fais de gros câlins et de gros bisous et surtout prenez bien soin de vous.
Je sais que vous pensez sérieusement aux fêtes de Noël et du nouvel an qui approchent, et aussi aux vacances bien méritées.
Ici, au Kerala, les fêtes sont très nombreuses, la plus importante reste la fête d’Onam qui a lieu fin août début septembre, cependant chaque ville et chaque village a sa fête.
Les fêtes, par milliers au Kerala, ont lieu de septembre à juin. Nous sommes dans un pays qui adore la fête.
Je suis personnellement invitée à participer à de nombreuses festivals, ils occupent une grande partie de ma vie bien remplie.
J’ai su que mes admiratrices et admirateurs, grands et petits, viennent de loin pour me voir, de France, de Bombay… Je les en remercie, soit avec un gros bisou du bout de ma trompe, ou d’une petite caresse sur la tête avec mon oreille, ils en sont tous ravis.
Sassi m’a informée qu’Isabelle du petit journal de Bombay, ainsi qu’Elisabeth et Henri ont reçu un accueil royal chez Mister Hari Namboodiri, leur donnant des clés pour comprendre notre culture multi millénaire, leur faisant visiter sa maison de plus de trois cent ans et son jardin plein de symboles ainsi que mon petit pré.
Cette chance est grande, car dans un passé récent, la maison des brahmanes n’était pas accessible aux non brahmanes.
Hari leur a donné les explications pour bien comprendre les festivals, celui du Temple de Devi à Kumaralanoor, où ils m’ont retrouvée et celui du Temple de Shiva à Vaikom où il leur a conseillés de se rendre en ce moment du festival.
Ils ont suivi à la lettre les conseils de Mister Hari, je peux vous dire qu’ils ont été complètement émerveillés par le faste et la beauté de ce festival, l’un des plus grands du Kerala.
C’était le 7e jour de la fête qui dure 12 jours… Des indices permettent de le savoir : il y avait sept éléphants mâles, avec leurs superbes défenses, participant à la procession, tous richement habillés.
Les murs qui entourent le temple avaient 7 rangées de lampes à huile toutes allumées, indiquant aussi que nous étions bien le 7ème jour. Les yeux de tous brillaient d’admiration.
Il était judicieux que leur venue soit le 7ème jour, car le 12ème et dernier jour, celui où participent 12 éléphants mâles et où les 12 rangées de lampes sont toutes allumées, couvrant l’ensemble des 4 murs du temple, il est très difficile d’approcher car la foule est trop dense.
Ce temple de Vaikom est historique car, il y aura cent ans l’année prochaine, il a été le lieu d’une des premières luttes non violentes en Inde pour que tous puissent rentrer dans le temple, même les “dalits” ou intouchables, comme on disait à l’époque… Que tous sans exception aient accès au temple.
Cette manifestation a duré plus de 600 jours, et même le mahatma Gandhi est venu soutenir cette action non violente.
Je vous ai compté cette belle histoire dans une précédente lettre.
Autant vous dire qu’Isabelle a beaucoup apprécié cette immersion dans la culture et dans l’histoire du Kerala.
Elle souhaitait me rencontrer, elle a pu en même temps se plonger dans notre si beau pays, si vert et plein de couleurs, ce Kerala appelé le “god’s own country“.
Cette rencontre a permis de renforcer les liens de partenariat et d’amitié qui nous unissent depuis plus de deux ans.
J’ai été, bien sûr, très honorée de recevoir Isabelle, de voir l’intérêt qu’elle nous porte.
Elle nous a présenté dans un très bel article en septembre 2021, les enfants de Boulogne, les maisons et moi l’éléphante philosophe.
Ce temps de rencontre est une réelle richesse car, pour moi, la richesse est avant tout dans la qualité de nos relations.
Je vous souhaite, chers enfants, de très belles fêtes de Noël et du nouvel an.
Grâce à Hari Namboodiri et à sa famille, qui nous ont reçus royalement, dans leur maison traditionnelle, nalukettu, de plus de 300 ans, à Kurichithanam… tout près de leur bois sacré dédié aux serpents et du pré de Shila…
Petite explication sur cette maison.
Nalukettu signifie quatre blocs et une maison typique construite de cette manière serait divisée en un bloc nord, sud, est et ouest.
Le naalukettu était une caractéristique typique de la tradition tharavadu du Kerala, où des familles communes vivaient ensemble pendant des générations avec un patriarche et une matriarche supervisant toutes leurs affaires. Au centre de la maison se trouve un nadumuttam, qui est une cour ouverte qui servait de point central des interactions entre la famille ainsi que de diverses activités et festivités ménagères. Les familles les plus nombreuses et les plus riches avaient des maisons ettukettu ou, plus rares, pathinaarukettu, composées de huit et 16 blocs avec respectivement deux et quatre cours. Toutes ces maisons ont été construites selon les principes de l’ancien thachu shastra ou la science de la menuiserie et se sont développées aux XVIIIe et XIXe siècles, une époque où les Nairs et les Namboodiris dominaient la société par leur pouvoir et leur richesse.
Ces familles aristocratiques, fières de leur lignée et du nom de leur tharavadu, construiraient de vastes maisons naalukettu qui comprendraient un bosquet avec un monticule de serpents pour faciliter le culte populaire des serpents, une installation de feuilles de basilic en pierre ou en brique, et même un étang à l’usage exclusif de la famille. Naalukettus peut être tentaculaire, entièrement construit au rez-de-chaussée ou peut atteindre trois étages.
C’était un très grand et beau moment que nous avons eu la chance de vivre avec Elisabeth et Isabelle de lepetitjournal.com Bombay.
Hari nous a expliqué que Shila officiait pour la fête du temple de Kumaranalloor Devi. Ce temple est considéré comme l’un des temples Devi les plus importants parmi les 108 Durgalayas (temples Devi) du Kerala. Le temple aurait plus de 2 400 ans, selon des preuves historiques et mythologiques ainsi que d’autres sources d’informations.
Elle participe pendant plusieurs jours à la fête qui honore la déesse Devi ou Bhagawati, déesse mère.
Pour honorer la déesse, le temple n’accepte que les éléphantes, les éléphants mâles n’y sont pas autorisés.
Nous avons rencontré Shila et deux de ses cornacs, Sassi et Apu, qui nous ont accueillis chaleureusement.
Shila était accompagnée de deux autres éléphantes, et participait à la procession qui va du temple à la Meenachil River, où l’idole, en or, qui pèse 80 kilos, est baignée, avant de retourner au temple.
La fête se poursuit toute une partie de la nuit.
Nous sommes rentrés avant la nuit, très heureux d’avoir rencontré Shila sous un autre décorum, ce n’était pas elle qui portait l’idole… chacune son tour.
Comme l’avait justement remarqué Matthieu et “petit Poilu”, Shila est la plus petite des éléphantes rencontrées. C’est aussi ce qui explique sa grande proximité avec les enfants…
Depuis quelques jours, j’étais informée par Sassi, l’un de mes quatre cornacs, de la visite de petits français : Lisa et Matthieu et de mon ami Henri, entre autres.
Je me suis dit que j’allais les faire travailler un peu en les obligeant à mener leur enquête.
Grâce à l’aide de Mister Hari Namboodiri, le propriétaire du petit pré de Kurichithanam où je passe mes congés et grâce à l’aide de Sassi, un de mes cornacs, ils ont finalement réussi à me retrouver sur un chantier forestier à quelques kilomètres de là.
Mon travail ici consiste à tirer des troncs d’arbres dans des espaces inaccessibles aux engins mécaniques et à les approcher de la route, là où ils prennent le relais.
Les enfants sont arrivés avec une grande joie m’apportant quelques bananes et sucreries, très heureux de me voir pour de vrai. Matthieu m’imaginait plus grande, comme mes cousines africaines.
Mes cousines sont plus grandes et elles ont des défenses, comme les éléphants mâles : voilà les grandes différences entre les éléphantes d’Asie et d’Afrique.
Henri m’a donné de vos nouvelles et transmis votre amitié. Je vous remercie de cette belle amitié qui se prolonge au-delà de la période de confinement due au satané virus.
Matthieu m’a présenté “Petit Poilu”, la mascotte de sa classe à Lille, il doit présenter ses découvertes en Inde pendant son voyage, avec Petit Poilu sur la photo. Je trouve cette idée absolument géniale.
Petit Poilu est également un excellent enquêteur, il oblige nos amis à pousser plus loin leurs recherches afin mieux me connaître et de bien connaître mon environnement.
Petit Poilu a pu être aussi témoin de mon dur labeur dans le transport de troncs d’arbres. J’aurais souhaité qu’il soit aussi témoin de mon rôle dans les temples où je suis très différente. Il va devoir se contenter de regarder ma page Facebook : Channanikattu Sheela.
Les enfants et adultes ont pu passer un long moment avec moi, rencontrer deux de mes cornacs, Apu, le plus jeune, celui qui est sur mon dos et qui me guide pour chaque tronc d’arbre à descendre sur plusieurs centaines de mètres.
Il faut voir Apu me piloter si joliment et habilement. J’ai l’impression qu’il danse sur mon dos.
Sassi, plus âgé, lui, reste plus en retrait. Il est là pour superviser l’ensemble des travaux.
Petit Poilu et les amis visiteurs ont pu constater que bien qu’étant une star, je travaille durement… Une vidéo ci-dessous filmé par Henri peut vous le faire comprendre.
Comme beaucoup de stars, j’ai un taxi personnel avec mon nom inscrit sur le pare-brise et j’ai toute une équipe qui m’entoure. Quatre cornacs, un chauffeur, un responsable de la programmation de mes interventions : Mister Raghavnath Sreedhar et des amis chez qui je suis hébergée, par exemple Mister Namboodiri.
Mon travail en tant que ouvrière du bois m’oblige à rester les pieds sur terre sinon je pourrais me considérer comme une petite Ganesh.
Je vais arrêter mon bavardage et demander de vos nouvelles car j’ai su que vous subissez une véritable mousson à Boulogne sur Mer. Je vous souhaite beaucoup de courage car certains d’entre vous sont obligés de manquer l’école.
Voici presque deux semaines que nous sommes arrivés à la maison Kerala…
Il semblait urgent d’aller saluer notre chère Shila, mais comme elle adore se faire désirer, son petit pré pleurait son absence.
Nous avons donc décidé d’aller voir Mister Hari Namboodiri, propriétaire du pré, et grand ami de Shila. Nous avions déjà rencontré Hari, auprès de Shila, il nous avait alors préparé quelques pousses de bambou pour un contact plus rapproché…
Il nous a reçu royalement et est très heureux que Shila la star de notre petit quartier soit aussi une star en France, avec ses nombreux petits et grands admirateurs. Le propriétaire de notre amie Shila a aussi deux ou trois autres éléphants, il habite à une trentaine de kms. Hari a appelé l’un des cornacs de Shila, Sassi, qui est très au courant du programme de Shila, afin de nous informer sur son programme.
Compte tenu de l’évolution des métiers et de la mécanisation, Shila a de moins en moins de travail dans le domaine du bois et de la forêt. Par contre, elle est très prise dans les festivals des différents temples. Actuellement, elle parade dans le festival d’un temple à une dizaine de kilomètres de son petit pré… elle sera de retour mercredi prochain.
Il sera très heureux de nous accueillir le mois prochain. Je vous joins la photo de Shila, avec Hari sur son dos, photo affichée face à Ganesh, dans la maison de notre brahmane. Rappelons que Ganesh a eu un rôle primordial dans l’écriture du Mahabharata, elle devait écrire très rapidement sous la dictée de Vyasa, devant s’arracher une défense après avoir cassé sa plume, afin de poursuivre la dictée… Shila est en quelque sorte notre petite Ganesh !?
Cette petite cachotière adore, comme à l’habitude, se faire désirer, tant pis, nous allons prendre notre mal en patience. Il faut dire que, selon Hari, il n’y a que 60 ou 70 éléphantes domestiquées dans le Kerala !!
Je viens d’apprendre par Emmanuel et Henri que vous venez toute juste de reprendre le chemin de l’école, du collège ou du Lycée. Cela m’étonne toujours, car ici, en Inde, les vacances scolaires sont en mai et juin, pendant la saison très chaude, et les enfants de Kurichithanam passent tous les jours, depuis début juillet, devant mon petit pré, tous fiers de leur uniforme et de leur cartable… ils me disent toujours des mots gentils.
J’ai appris que vous avez fait un film, où avec votre parrain d’association, Patrick Bourdet, certains d’entre vous ont pu s’exprimer sur plusieurs thèmes, bravo à vous, je suis très fière des belles réflexions que vous avez… L’une des réflexions porte sur le monde idéal que vous souhaitez construire.
Emmanuel m’a bien dit que c’est le thème de cette année 2023-2024, Utopia, et il m’a demandé de m’exprimer sur le monde idéal que je souhaiterais voir exister ou qui a déjà existé dans mon si beau pays, l’Inde. Vous savez que je suis une éléphante philosophe et que j’adore réfléchir à tout cela…
J’ai beaucoup aimé vos réflexions sur un monde sans pollution, ça me parle, nous qui avons une capitale parfois irrespirable et de très grandes villes polluées… Un monde où il n’y a pas de différence de richesses, où elles sont partagées équitablement…. Un monde où le verbe aimer a toute sa place…tout cela me fait rêver… Merci les enfants pour vos si belles réflexions.
De mon côté, en voyant passer tous les jours de nombreux enfants se rendant à l’école, en excellente santé, je me suis dit que j’habite un petit pays de rêve, où la santé et l’éducation sont des priorités, où les arbres sont merveilleux, mais je suis toujours très chauvine, et mon Kerala est un peu mon Utopia, mon pays rêvé.
Comme c’est la rentrée scolaire, je veux vous présenter une école et une université, Shantiniketan, ainsi qu’une très ancienne université, Nalanda, qui sont ou ont été des modèles et qui restent des références en Inde et dans le monde.
Le premier exemple est l’école de Tagore à Shantiniketan, qui signifie “demeure de la paix“. C’est plutôt loin de mon petit village, à près de 2500 kms, dans l’état du Bengale Occidental.
“Situé à environ 158 km au nord-ouest de Calcutta, dans l’arrière-pays rural du Bengale, Santiniketan incarne la vision de Rabindranath Tagore d’un lieu d’apprentissage libéré des barrières religieuses et régionales. Fondée en 1863, par le père de Tagore, dans le but d’aider l’éducation à dépasser les limites de la salle de classe, Santiniketan est devenue l’Université Visva Bharati en 1921, attirant certains des esprits les plus créatifs du pays…
“L’éducation la plus élevée est celle qui ne se contente pas de nous donner des informations mais qui rend notre vie en harmonie avec toute existence.” Tagore
Située au cœur de la nature, l’école visait à combiner l’éducation avec un sentiment d’obligation envers la communauté civique dans son ensemble. Mélangeant le meilleur des systèmes éducatifs occidentaux et orientaux traditionnels, le programme s’articulait organiquement autour de la nature avec des cours dispensés en plein air. Tagore voulait que ses élèves se sentent libres malgré le fait qu’ils se trouvent dans l’environnement d’apprentissage formel d’une école, car lui-même avait abandonné l’école lorsqu’il se sentait incapable de penser et se sentait claustrophobe entre les quatre murs d’une salle de classe…
Des promenades et des excursions dans la nature faisaient partie du programme, une attention particulière était accordée aux phénomènes naturels et les étudiants étaient encouragés à suivre les cycles de vie des insectes, des oiseaux et des plantes. Outre ces matières quotidiennes, l’accent a également été mis sur l’enseignement professionnel. Des horaires de cours flexibles permettaient de s’adapter aux changements de météo et aux festivals saisonniers créés par Tagore pour les enfants.”
Shantiniketan compte parmi ses anciens élèves des personnes devenues célèbres : ” le peintre pionnier Nandalal Bose, le célèbre sculpteur Ramkinkar Baij, l’économiste lauréat du prix Nobel Amartya Sen, le cinéaste de renommée mondiale Satyajit Ray et le principal historien de l’art du pays, R. Siva Kumar. . L’Université compte également plusieurs anciens élèves internationaux éminents, parmi lesquels le peintre indonésien Affandi, l’asiatique italien Giuseppe Tucci, l’historien chinois Tan Chung, l’éminent indologue Moriz Winternitz et l’artiste sri-lankais Harold Peiris, entre autres.”
À sa fondation, Shantiniketan était un terrain de la même superficie que le jardin d’Élisabeth à la ferme de Bertinghen… Je suis sûre que d’ici peu votre jolie petite forêt sera aussi une superbe école hors les murs, où vous pouvez apprendre et observer, vous rencontrer dans la clairière au beau milieu de ce lieu magique, c’est Utopia…
Le second exemple est l’université de Nalanda, l’une des plus vieilles université du monde, fondée en 427 de notre ère, plus de 500 ans avant l’université d’Oxford ou de Bologne, la plus ancienne université d’Europe !! Elle se situe à 2700 kms de chez moi, dans l’actuel état du Bihar.
Nalanda est considérée comme la première université résidentielle au monde. Elle accueillait 10000 étudiants de toute l’Asie qui venaient là pour apprendre les maths, l’astronomie, la logique…, la médecine traditionnelle indienne, l’ayurveda, y était largement enseignée. Il y avait 2000 enseignants à l’époque. L’université Nalanda possédait 9 millions de livres.
Aryabhata, le père des mathématiques indiennes, aurait dirigé l’université au 6e siècle de notre ère. C’est lui qui aurait découvert le chiffre zéro…il aurait été aussi le premier à attribuer l’éclat de la lune à la lumière du soleil réfléchie…
Malheureusement, Nalanda a connu une fin dramatique, attaquée par des envahisseurs sous le commandement de Bakhtiyar Khalji en 1193. La grande bibliothèque de l’Université de Nalanda était si vaste qu’elle aurait brûlé pendant trois mois après que les Moghols y eurent mis le feu, pillèrent et détruisirent les monastères bouddhistes et chassèrent les moines du site.
Cette histoire nous montre malheureusement que cette université de rêve, avec son rayonnement international, a connu une fin dramatique. Cependant le rêve de faire revivre Nalanda est toujours d’actualité. C’est un peu comme Phénix, cet oiseau qui ressemblait à un aigle, avec un beau plumage rouge feu n’existait qu’en solitaire. Cet animal vivait 500 ans et il n’y en avait qu’un seul. En effet, c’est un oiseau qui ne pouvait pas de reproduire donc quand il était proche de la fin de sa vie, il se consumait donc dans les flammes pour renaître….
Aujourd’hui, l’université de Nalanda est en train de renaître, suite à la volonté du 11e président de l’Inde, Abdul Kalam, grand scientifique, il a proposé cette renaissance en 2006. L’université a revu le jour par la loi du 25 novembre 2010…
Cela signifie que l’utopie se prolonge au-delà de la barbarie et au-delà des siècles, c’est incroyable.
Mon rêve à moi, l’éléphante philosophe, reste quand-même plus terre à terre, et je vous rejoins dans vos préoccupations sur l’environnement …. Mon rêve rejoint la réalité, ici, dans mon village de Kurichithanam, où je suis à l’ombre d’arbres merveilleux, où mon cornac adoré, Kuttan, veille à ma nourriture de qualité et prévoit chaque année ma cure de médecine ayurvédique… Cependant s’il pouvait faire un effort en veillant à ce que je mange davantage de bananes, d’ananas et aussi de pousses de bambou, j’en rêve toutes les nuits…. Je rêve aussi de mes cousins, les éléphants sauvages dans la montagne, pour une cohabitation heureuse avec les humains, que les droits de tous soient protégés. Mon bonheur aussi c’est l’amitié que me montrent les enfants et aussi les adultes qui me saluent tous les jours… C’est aussi mon cher pays du Kerala, où très souvent je vois les citoyens manifester pour faire avancer leurs droits à la liberté et à un bien être de tous… C’est mon Utopia.
Chers enfants, je vous fais de gros bisous et vous souhaite une très belle année pleine de rêves.
Je sais que vous êtes très occupés en cette fin d’année scolaire par l’école, bien sûr mais aussi par la préparation de votre spectacle, “L’audace d’un excentrique“, où vous allez exprimer vos talents artistiques et sportifs.
J’ai bien reçu l’invitation que Claire a eu la gentillesse de m’envoyer pour l’inauguration du “Jardin d’Elisabeth” ce 2 juillet 2023, cette forêt que vous avez plantée et qui suscite toute mon admiration.
Emmanuel m’a expliqué que la forêt prend le nom de “jardin d’Elisabeth”, pour honorer la mémoire de Madame Elisabeth Moronval qui a servi l’association des enfants de la marine pendant 63 ans.
J’ai demandé, sans trop d’illusions à Kuttan, mon cornac adoré, de me rendre à Boulogne-sur-mer pour répondre à votre invitation. Celui-ci m’a répondu que, d’une part, mon programme de travail dans la forêt est réellement trop chargé, et d’autre part, que l’aéroport d’Alprech est trop petit pour accueillir une gentille éléphante de près de trois tonnes….
Je ne peux cependant m’empêcher de vous parler aujourd’hui d’une autre forêt, plantée dans le sable, il y a un peu plus de 40 ans, par un jeune garçon, Jadav Payeng.
Il vit sur l’île de Majuli, au Nord-Est de l’Inde, à l’opposé de mon village de Kurichithanam, situé au Sud-Ouest du sous-continent indien ; c’est à plus de 3500 kilomètres de chez moi.
La famille de Jadav fait partie de la tribu des Mising, pour qui la nature est considérée comme notre mère, dont il faut absolument prendre soin.
En juin 1979, Jadav, ce garçon de 16 ans, découvre de nombreux serpents morts sur le sable après une mousson très forte. Ils sont morts de chaleur, faute d’arbres pour les protéger.
Jadav demande conseil pour protéger les animaux et les humains vivant sur son île. Le service des forêts lui répond que rien ne pousse dans le sable… Les anciens de son village lui disent que les bambous sont résistants et peuvent s’adapter à leur sol.
Pendant des années, Jadav va planter des bambous, puis à l’ombre des bambous, il plante d’autres arbres…des manguiers, des flamboyants…
Vingt ans plus tard, tous les arbres plantés chaque jour par notre ami forment une très belle forêt.
La forêt de Jadav se peuple petit à petit de nombreux animaux, oiseaux, daims, tigres, et même des rhinocéros viennent y vivre…
Un jour un troupeau d’éléphants, mes cousins, arrivent dans la forêt, après avoir écrasé quelques récoltes chez les voisins… Furieux, des villageois décident de brûler la forêt, 10% des arbres sont détruits.
Tout cela n’arrête en aucun cas la détermination de Jadav à continuer de planter quotidiennement des arbres…
En 2010, Jitu Kalita, photojournaliste, navigant sur l’un des cours d’eau de l’île Majuli, découvre la merveilleuse forêt de Jadav.
Son article sur un journal local connait un succès inattendu, et comme une traînée de poudre, l’information sur la forêt dépasse les frontières de l’Inde et des journalistes du monde entier viennent l’interroger.
En 2015, Jadav Payeng reçoit le Padma Shri, qui est comparable à la légion d’honneur chez vous, pour son action en faveur de la protection de la nature. Il est nommé “the forest Man of India” ou Molai Payeng, dans sa langue, l’homme de la forêt.
Sa forêt couvre aujourd’hui 550 hectares, soit l’équivalent de 882 terrains de football, qui ont ainsi été sauvés de l’érosion…
Il intervient dans les écoles pour dire aux enfants l’importance des arbres qui sauvent notre planète. Il continue à en planter tous les jours et invite les enfants à planter…
Merci, chers enfants, pour votre action pour la planète, en soignant le jardin d’Elisabeth, très belle fête pour ces jours à venir, dont Emmanuel m’a dit que le thème est “Énergie(s)”.
Je vous envoie de gros bisous et encore regrette de ne pouvoir être présente pour l’inauguration. Je lève ma trompe en votre honneur et en l’honneur d’Elisabeth, de Jadav et des créateurs de forêts.
On se retrouve pour votre nouvelle saison culturelle à partir de septembre, je me permettrai de ruminer avec vous le nouveau thème joliment intitulé « Utopia ».
J’ai toujours un immense plaisir à vous envoyer ma petite lettre pour prendre de vos nouvelles et vous donner des miennes, de mon petit village de Kurichithanam où il fait très chaud en ce mois d’avril.
Je n’arrête pas de battre mes oreilles et de lever la trompe tellement je suis transportée de joie par les nouvelles qui m’arrivent actuellement.
Emmanuel et Henri m’ont raconté que vous avez terminé la plantation des mille arbres à la ferme de Bertinghen et que le jardin des maisons va nous faire rêver pendant de nombreuses années.
Une nouvelle extraordinaire m’a été annoncée par Kuttan, mon cornac adoré : un reportage sur mes petits cousins Raghu et Ammu, les éléphanteaux sauvés par l’amour de Bomman et Bellie, un couple de la tribu des Kattunayakan, vivant en communion avec les animaux sauvages, les arbres et les plantes, “à l’intérieur de la réserve de tigres de Mudumalai. La réserve est située dans le district de Nilgiris au Tamil Nadu et répartie sur la tri-jonction de trois États, Karnataka, Kerala et Tamil Nadu. La réserve de biosphère de Nilgiris, la première en Inde, est située ici.
À l’intérieur de cette réserve naturelle se trouve le plus ancien camp d’éléphants d’Asie, le camp d’éléphants de Theppakadu, établi il y a environ 100 ans. Situé sur les rives de la rivière Moyar, ce camp est l’exemple parfait de la coexistence de la nature humaine.”
Leur histoire a été contée par la jeune réalisatrice Kartiki Gonsalves et son merveilleux reportage a reçu l’oscar 2023 du meilleur court-métrage documentaire (Documentary Short Film)
Lauréats : The Elephant Whisperers – Kartiki Gonsalves et Guneet Monga
Les porte-paroles de cette histoire d’amour sont deux jeunes femmes, ce qui, vous le savez, me réconforte doublement, moi l’éléphante marquée depuis la nuit des temps par ma famille matriarcale… Kartiki Gonsalves dont la sensibilité et les compétences ont permis de réaliser un documentaire mondialement reconnu et Guneet Monga qui a produit le film.
Cette histoire me rappelle ma propre histoire, née dans la montagne des Ghâts occidentaux et recueillie bébé il y a près de 50 ans déjà.
Cette histoire est aussi notre histoire à tous, montrant le besoin d’attention, d’affectation et tout simplement d’amour pour se construire.
J’ai déjà parlé avec vous de ces besoins fondamentaux depuis notre naissance dans les lettres précédentes :
Il vous faut absolument voir ce merveilleux reportage, chers enfants, si vous en avez la possibilité, il exprime toute la complicité qui peut exister entre le monde des humains et celui des animaux, lorsqu’il existe une relation de confiance et d’amour. Dame Bellie est appelée “la mère des éléphants” par ses amis de la tribu adivasie des Kattunayakan…
Je veux saluer Kartiki Gonsalves, la jeune réalisatrice qui a obtenu la confiance totale de Raghu et Ammu ainsi que de Bellie et Bomman, elle est une porte-parole merveilleuse.
“Le documentaire « The Elephant Whisperers » est un drame émotionnel qui se concentre sur l’éducation d’un éléphanteau orphelin et les liens forts qu’il tisse avec la communauté humaine qui le soigne et l’éduque. Le documentaire examine également la manière dont les populations tribales coexistent depuis des siècles avec les éléphants. Humains et éléphants partagent de nombreux de traits de caractère : intelligence, liens sociaux forts, humour, jeu, chagrin, etc.”
Elle raconte son histoire d’amour avec les animaux et la forêt, qu’elle visitait enfant, avant de marcher, portée sur le dos de ses parents… à moins de 300 kms de chez moi, dans la montagne bleue des Nilgiris.
Elle a passé une année complète pour bien connaître l’éléphanteau Raghu et tout son environnement dans le camp de Theppakakadu.
Elle a bien fait connaissance avec Raghu est très intelligent et très bon acteur, avec des talents innés, mais comme tous les enfants il adore faire des bêtises et il ne s’en est pas privé devant la caméra… Il avait besoin d’être recadré avec tact et amour, ce que Kartiki Gonsalves a su si bien faire, merci à elle pour ce témoignage de vie ensemble au milieu d’une forêt si joliment protégée.
Il lui a fallu cinq ans pour parfaire son chef-d’œuvre.
Chers enfants, en suivant l’exemple de Bomman et Bellie, je vous invite à chuchoter à l’oreille des animaux qui vous entourent, d’écouter le chant des oiseaux et de dire des mots d’encouragement aux jeunes arbres du jardin des maisons.
Comment allez-vous depuis nos derniers échanges ?? Bien j’espère…
Mon ami Henri m’a informée qu’une chaîne de télévision, Arte, a présenté, avec beaucoup d’humour, Irinjadappillyraman, le premier éléphant robot du Kerala.
Je suis très heureuse que cet éléphant robot fasse une entrée remarquée tant en Inde que dans le monde entier.
J’ai déjà évoqué ces éléphants robots, dans une de mes nombreuses lettres, mais j’ignorais à l’époque que le Kerala se lancerait dans une telle aventure….
J’apprécie l’humour et la présentation de la journaliste, mais je ferai deux petites remarques :
La première concerne notre cher Ramu appelé aussi Ramachandran, Thechikottukavu étant son propriétaire, que l’on peut suivre sur sa page Facebook (Thechikottukavuramachandran). Oui c’est notre grande vedette, et nous l’aimons malgré ses coups de folie, car nous savons qu’il a été victime de violences et qu’il doit absolument être canalisé…. Irinjadappillyraman si parfait soit-il, ne remplacera jamais notre Ramu dans l’affection que, malgré tout, nous lui portons.
La seconde remarque concerne l’évocation par la journaliste du petit temple petit temple de Thrissur qui aurait peu de moyens. je voudrais tout simplement vous rassurer à ce sujet, Thrissur, capitale culturelle du Kerala a un temple important et ne manque pas de moyens. La fête de Pooram, mondialement connue, est tout simplement grandiose . Je l’ai évoquée dans une de mes lettres :
Quoiqu’il en soit, Irinjadappillyraman, l’éléphant robot est le bienvenu pour parler de mon beau pays, le Kerala, littéralement ” le pays des cocotiers”, mais aussi le pays qui aime les éléphants.
J’ai du mal à me projeter dans une fête de Pooram où il n’y aurait que des éléphants robots… Cependant si ce nouveau venu, Irinjadappillyraman, permet d’améliorer nos conditions de vie, alors pourquoi pas !!!!
Irinjadappillyraman me permet de revenir vers vous pour vous rappeler que vous êtes toujours les bienvenu (e)s à Kurichithanam et j’en profite pour vous faire de gros bisous.