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La maison des enfants du cirque et du théâtre

Lettre de Shila : “Sols vivants”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Emmanuel me dit que souvent, lorsque vous vous promenez avec vos éducatrices et éducateurs sur les plages non loin de vos Maisons, vous aimez dévaler les dunes et faire des galipettes. C’est rigolo de sentir le sol se dérober sous les pieds n’est-ce pas ?

Par chez moi, les reliefs ne sont pas aussi mouvants, vous avez de la chance.

Mes chers Henri et Kuttan m’ont dit que, certes, si le Kerala n’avait pas beaucoup de déplacements à proposer sous mes pattes, il reste qu’il y a très très longtemps, mon pays était une île, qui a vogué pour se joindre au reste du monde, et devenir aujourd’hui le paysage que je connais.

Ah bon ? Comment se peut-il ? Je n’ai rien senti ces derniers jours d’un mouvement de mon sol.

Henri et Emmanuel m’ont expliqué que c’était normal ; ce trajet jusqu’à d’autres terres a pris des millions d’années. Henri m’a dit que vous autres les humains n’avez compris ce phénomène que récemment, il y un siècle, et l’avez appelé « la tectonique des plaques ».

Hummm, c’est intrigant cette idée selon laquelle mon petit pré n’était pas à la même place voici bien longtemps.

Emmanuel me dit que cela est vrai aussi pour vos Maisons, et pour tous les endroits où vivent les animaux, les humains, les plantes.

Henri et Emmanuel m’ont expliqué que ce phénomène universel concerne tous les astres du système solaire, et sans doute bien des endroits dans l’univers :

Mais, à quoi ressemblera notre Terre, si elle bouge tant ses sols au fil des millions d’années ? Emmanuel me dit que cela reste encore un mystère, mais que vous autres les humains en avez une petite idée.

Si j’ai bien compris, du côté du passé, mon pays, alors île, s’est déplacé lentement, jusqu’à rencontrer d’autres terres, et ce lent, très lent mouvement, explique les très très hautes montagnes au Nord de chez moi.

Kuttan et Henri me disent que ce déplacement des sols existe toujours et qu’il en sera de même dans les millions d’années à venir, tant que la Terre existe.

Kuttan m’a expliqué que si, par chez nous, nous n’avons pas subi beaucoup la catastrophe du Tsunami dans mon océan, l’Océan indien, c’est parce que mon sol était du bon côté de l’onde de choc. Henri m’a dit que, par contre, quand la Terre a bougé fort, beaucoup d’autres endroits non loin de chez moi en ont souffert.

Ouille ouille ouille, que cela est terrible.

Henri et Emmanuel m’ont raconté qu’en effet, beaucoup d’animaux, d’humains, de plantes, de sols, avaient dramatiquement subi ce mouvement brutal de notre planète. Comme j’étais inquiète, Emmanuel m’a rassuré ; les humains sont très aux aguets pour essayer de prévenir tout le monde si cela devait à nouveau se reproduire.

Henri m’a précisé que, parmi les alliés permettant d’y réfléchir, les « éléphants de mer » sont de bons informateurs.

Un éléphant de mer ? Et puis quoi encore ?

Bon, certes, il y a une pieuvre qui peut un tout petit peu me ressembler, et puis oui, parfois les éléphants nagent à la surface de l’eau… :

… Mais de là à dire qu’il y a des éléphants de mer ? Non non non, c’est impossible.

Henri m’a expliquée que vous autres, les humains, avaient nommé une bestiole « éléphant de mer » car elle a un nez, certes petit, mais qui fait penser à notre trompe.

Emmanuel me dit que ces bestioles habitent notamment loin, bien loin, au Sud de mon océan, en Antarctique, et que les humains observent attentivement leurs déplacements sur des milliers de kilomètres car c’est une bonne indication de comment la Terre va :

Mes chers enfants, que nous vivons dans un monde extraordinaire ; les sols bougent, les animaux ont des ressemblances où qu’ils soient. Tout ceci me fascine, je suis si heureuse de partager avec vous ces découvertes.

Vive le mouvement perpétuel :

Je vous embrasse,

A lundi,

Shila

Lettre de Shila : “La pieuvre-éléphant-robot”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Ce matin avec Kuttan, je marchais sur les bords de l’eau pour chercher des bouteilles à la mer. Je n’ai rien trouvé. Par contre j’ai vu une drôle de bestiole échouée, au corps vraiment bizarre. Kuttan m’a dit que c’était une pieuvre.

Etrange, on dirait qu’elle a beaucoup plus de trompes que moi.

Kuttan m’a expliqué que ce n’était pas des trompes, mais des tentacules.

De retour dans mon petit pré, j’ai racontée à mon cher voisin Henri ma drôle de découverte. Henri m’a signalé une pieuvre repérée dans mon océan que les humains disent ressembler à un éléphant ; la « Grimpoteuthis ».

Hummm, un éléphant de cette forme et vivant si profondément sous l’eau ? Vous êtes décidemment bizarres chers humains.

Henri et Emmanuel m’ont expliqué que, tout comme les éléphants, les pieuvres ont depuis longtemps inspirées des visions extraordinaires. Si j’ai bien compris, nous autres les éléphants, les pieuvres, vous impressionnons par notre aspect surnaturel. Ah d’accord, je me souviens de cette lettre que je vous ai envoyée à ce sujet :

Emmanuel m’a dit que, au sein de la famille pieuvres, existe selon les humains un animal légendaire que vous appelez le « kraken », animal hors du commun dont les marins honorent l’existence depuis très très longtemps et jusqu’à ce jour.

Oui bon, encore des balivernes. Vous autres, les humains, avez une capacité à inventer des sornettes, c’est impressionnant :

Henri m’a expliqué que ce n’était pas du tout une fausse vérité : des humains ont découvert que cette pieuvre géante existe bel et bien.

Bon. D’accord, mais ce sont des bestioles qui habitent dans la mer. Rares sont les moments où les terriens peuvent les rencontrer. Pas de quoi en faire un fromage.

Henri et Emmanuel m’ont raconté que si en effet les pieuvres restent pour vous autres, les humains, des animaux un peu mystérieux, vous vous intéressez à leurs mouvements gracieux dans l’eau et les étudiez attentivement pour créer des robots :

Ah d’accord, c’est donc un peu comme nous autres les éléphants : notre corps vous a donné des idées tant et si bien que vous avez inventées des machines tentant de reproduire nos qualités :

Henri et Emmanuel m’ont confirmé que votre passion pour nous autres les éléphant ainsi que pour les pieuvres avait enfanté le robot « éléphant / pieuvre ».

Hummm… Moi et ma copine des profondeurs rougissons devant tant d’intérêt.

Kuttan, voyant mon embarras, m’a dit que les éléphants et les pieuvres ne sont pas les seuls à fasciner les humains au point d’essayer de reproduire leurs caractéristiques en inventant des objets intelligents.

Ainsi des baleines, des fourmis, des martin-pêcheur, des termites, des plantes, bref du vivant :

Kuttan m’a expliqué que mon pays, l’Inde, est parmi ceux les plus en pointe pour repérer ce qui, dans la nature, peut inspirer les humains afin de trouver des solutions pour que la vie soit plus facile à vivre pour tous.

Henri m’a raconté que par chez vous, à Boulogne-sur-mer, vous aviez aussi inventée une méthode révolutionnaire pour donner de l’énergie à toutes les maisons en observant le mouvement des anguilles, des algues :

Génial.

Chers enfants, j’espère vous donner quelques idées à votre tour pour que vous créiez le monde d’après. Pourquoi pas des nouveaux téléphones souterrains ?

Je vous embrasse,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Capsule temporelle”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Avez-vous trouvé lors de vos ballades en bord de mer des messages arrivés sur le rivage ?

Je sais par mon cher voisin Henri que par chez vous, la mer charrie régulièrement des choses venues de l’horizon qui demandent à être interprétées. Cela m’intéresse beaucoup, d’autant plus depuis qu’Henri m’a dit que la plus ancienne bouteille à la mer a parcouru mon océan, l’Océan indien.

J’avais bien remarqué des drôles d’objets quand Mister Kuttan m’a proposé de me dégourdir les pattes sur la plage non loin de chez moi. Je ne savais pas que parfois, l’on peut tomber sur des messages envoyés par des humains espérant raconter leur passage bien au large, à des époques pas forcément celles de notre vie présente. Depuis qu’Henri m’en a expliqué la démarche et son importance, je redouble d’attention pour repérer des bouteilles et autres flacons quand je marche sur le sable.

Moi, l’éléphante philosophe et curieuse de tout, je me demande pourquoi vous autres, les humains, avaient inventé cette drôle de pratique consistant à envoyer un message, très peu sûrs qu’il soit lu par quelqu’un, quelque part. Je me dis que cela doit être comme écrire les lettres que je vous envoie ; l’important est d’écrire, pas tant d’être lue.

Henri et Emmanuel m’ont expliqué que ces messages pour l’éternité sont une vieille pratique des humains, ainsi des découvertes récemment trouvées non loin de chez vous, à Dijon et à Rouen.

Hummm… Passionnant. En somme, vous autres les humains, tout comme nous les animaux, laissons des traces pour signifier que nous sommes passés par-là. Serait-ce donc une question de territoire ?

Emmanuel m’a dit que j’avais raison, pour partie ; ainsi de ce message envoyé par vous à l’attention d’éventuels extraterrestres, pour les avertir que vous habitez sur la Terre.

Mais Emmanuel me dit aussi qu’il y a d’autres messages à découvrir, qui ceux-là n’ont pas été envoyés avec l’intention d’être trouvés. Ce sont, si j’ai bien compris, les « découvertes archéologiques ». Si j’ai bien compris, ce sont des objets qui sont dans le sol, et que l’on trouve de temps en temps mais le plus souvent par hasard même si on fait vœu de trouver des trésors.

Ouille ouille ouille, c’est bien compliqué tout cela.

Kuttan, qui a remarqué que je broutais mes chères pousses de bambous un peu plus nerveusement que d’habitude depuis cette conversation avec Henri et Emmanuel, m’a expliqué que pour me simplifier la vie, je dois me dire que quand on trouve des messages d’humains envoyés intentionnellement à des inconnus d’un autre temps, cela s’appelle une « capsule temporelle ».

Henri m’a dit que par chez-vous, fabriquer des capsules temporelles était devenu très courant… :

Et que cet acte était devenu comme un rituel d’initiation pour aider à passer d’un âge à un autre :

Ah oui d’accord : Ok, J’ai compris.

Autant les trésors archéologiques concernent surtout ceux qui vivaient à l’époque des objets de leur vivant, autant la capsule temporelle concerne surtout ceux à qui l’on pense bien après notre passage sur Terre pour qu’ils reçoivent, peut-être, les messages.

Emmanuel m’a expliqué que vous aviez fabriqué autrefois, vous autres, petits filous, quelque-chose à la fois trésor archéologique et capsule temporelle :

Hummm, cela ne m’étonne pas de vous.

J’adore ruminer avec vous ; les idées ne sont jamais toutes faites. Et bien chers enfants, laissons l’avenir décider ; peut-être les générations futures sauront-elles interpréter vos messages ?

Je vous embrasse,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Le plus gros fruit du monde, le jaque, passe du mépris à la célébrité”

Chers enfants,

Quoi de meilleur qu’un bon fruit !! Pendant l’hiver, je suppose que vous mangez quelques fruits, pommes, mandarines, bananes, tous ces fruits qui peuvent être conservés ou transportés facilement. En attendant de manger les fruits de saison, à commencer par les fraises de Samer !!

Je ne vous cache pas ma gourmandise énorme pour les fruits, les bananes et les ananas que Kuttan m’apporte en abondance les jours de fête !!

Aujourd’hui je vais vous parler d’un fruit du Kerala qui a la cote depuis plusieurs années, c’est le jaque appelé chakka en malayalam (ma langue du Kerala). Il est aussi connu sous le nom anglais de “jackfruit“. C’est le plus gros fruit du monde :

Le jaque est le fruit du jacquier, “plavu” en malayalam et jackfruit tree en anglais.

Comme l’éléphant est l’animal national, emblème du Kerala, le jaque a été désigné le fruit national emblématique du Kerala, il y a à peine trois ans :

Le jaque déclaré le fruit officiel de l’état du Kerala; déclaration le 21 mars 2018 

L’éléphant est l’animal de l’État du Kerala, tandis que le «grand calao» est l’oiseau et le « kanikkonna » la fleur officielle. L’État avait récemment déclaré Pearl Spot, populairement connu sous le nom de “karimeen”, comme son poisson officiel .”

Moi, l’éléphante fière de mon pays, je suis très heureuse de voir que le Kerala reconnaît  un oiseau, une fleur, un poisson et maintenant un fruit comme étant emblématiques de notre bel état du Kerala, venant me rejoindre dans ce club honorifique !! 

Ce que je tiens à vous dire, chers enfants, c’est que ce fruit, le plus gros du monde, revient de loin, tellement il était abandonné et dénigré, considéré comme laid et très puant, lorsqu’il est trop mûr !! Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article racontant cette injustice.

Je suis d’autant plus fière que le jaque était jusqu’à présent considéré comme le fruit du pauvre et qu’aujourd’hui il est même recherché par des grands cuisiniers.

C’est un fruit que l’on peut manger de différentes façons et comme vous dites à Boulogne-sur-mer d’après ce que me dit mon cher voisin Henri : “Dans le cochon, tout est bon“, on peut dire pareillement que dans le jaque tout est bon !! 

Le fruit, attention quand vous le portez, en plus de son poids, il pleure, comme l’hévéa, une sorte de lait ou de latex, qui colle et tache !! 

Pour ouvrir le jaque, il faut un grand couteau bien solide, et à l’intérieur vous y trouvez une multitude d’arilles, enveloppes jaunes, bien charnues, entourant un noyau brun. Les fruits jaunes sont très sucrés, lorsque le jaque est mûr, et le noyau est mis de côté, il sera préparé pour faire un excellent curry,  chakkakuzhu. 

Avec les fruits jaunes moins mûrs, on peut faire un plat traditionnel appelé chakka puzhukku. 

Coupés en lamelles, on obtient des frites de jaque, chakka varuthathu… 

Autant vous dire que mon ami Henri fait chaque année une cure de chakka !! 

Comment le jaque, fruit négligé est devenu un fruit vedette ?? 

Pour répondre à cette question, je crois qu’il a été aidé par des conseils scientifiques, comme celui que vous avez pour vos Maisons, mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article qui explique bien tout cela : 

Le sort du jaque est cependant en train de changer. Les 15 et 16 mai 2014, une centaine de chercheurs du monde entier se sont réunis à Bangalore (Inde) pour faire le tour des connaissances et explorer les moyens d’augmenter la production. Car celui qu’on surnomme en Inde le “fruit du pauvre” pourrait aider à résoudre les problèmes de malnutrition dans nombre de pays tropicaux. 

 À Bangalore, les chercheurs ont donc échangé sur la diversité génétique de cette espèce, sur les biotechnologies qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer sa productivité, sur la recherche agronomique à financer pour ouvrir la voie à une intensification de sa culture, et sur les moyens d’augmenter sa diffusion, en boîtes de conserve par exemple… 

Le fruit contiendrait de nombreuses vitamines et il est réputé être riche en minéraux comme le phosphore, le fer, le potassium et le calcium, indispensables à l’équilibre alimentaire. Mais il a un gros défaut : il émet une odeur très désagréable.”

Très demandé à l’international, le jaque, devenu vedette doit pouvoir être exporté, mais je ne vous dis pas que l’odeur du fruit trop mûr va poser problème !! 

La proposition des scientifiques réunis à Bangalore d’augmenter la diffusion des jaques, en boîtes de conserve, a été une superbe idée. 

Regardez le reportage que m’a envoyé pour vous mon cher voisin Henri et qui explique comment le jaque a révolutionné nos assiettes, grâce à de nouvelles techniques de conservation du jaque.

Le jaquier, “plavu”, est un arbre qui se plaît beaucoup au Kerala, vous en voyez un peu partout, dans la cour des maisons, au milieu des plantations diverses. Arbre à feuilles non caduques, il reste toujours vert, ses feuilles se renouvellent en permanence, si bien qu’il faut balayer la cour tous les jours, si vous en avez un devant votre maison, ce qui est le cas pour mon ami Henri !!

Le jaquier est très résistant à tout, même aux saisons sèches et ne demande aucun apport en engrais ou autre. 

Son bois bien jaune est très prisé des menuisiers et charpentiers. Il sert à faire des meubles, des portes et fenêtres, ainsi que les charpentes. Les termites très ravageuses et envahissantes du Kerala se cassent les dents sur le bois du jaquier !!

Vous comprenez, chers enfants, pourquoi je suis très fière de ces arbres et de leurs fruits devenus emblèmes de mon pays.

Même les étudiantes et étudiants sont fiers de faire la promotion du chakka :

Le conseil que je vous donne, même si vous ne pouvez pas manger de jaque, mangez des fruits et continuez à prendre bien soin de vous. 

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila 

Lettre de Shila : “La culture des hévéas, arbres qui pleurent, autour de moi, produisant le caoutchouc”

Chers enfants,

Je sais que vous utilisez beaucoup d’objets en caoutchouc, des gommes pour effacer les erreurs de crayon, les jouets, les bottes, que essuyez sur le tapis en caoutchouc… , des gants de protection, des ustensiles de cuisine… , des matelas en latex, etc.

Les voitures et les minibus que vous prenez ont des pneus et de nombreuses pièces (durites, joints, silent blocs ,… ), ; tout en caoutchouc.

Par contre, pour ce qui est des doudous, je pense que le caoutchouc n’est pas aussi doux que la laine !!

Je ne vous ai pas dit que je suis entourée de plantations d’hévéas, arbres produisant le caoutchouc.

En langue quechua, langue amérindienne, “cao” (bois) et “tchu” (qui pleure) : voilà l’origine du mot caoutchouc. Ici au Kerala, on l’appelle “rubber” (en anglais) et l’hévéa est appelé “rubber tree“.

Le bois qui pleure, c’est une belle description de ce pauvre arbre que l’on saigne pour en tirer le latex !!

Mon village de kurichithanam fait partie du Kottayam district, qui est mondialement connu pour la culture du caoutchouc naturel.

Le siège du Rubber Board of India est à Kottayam, à vingt-huit kilomètres de chez moi. C’est l’institut indien pour la recherche et le développement global de l’industrie du caoutchouc en Inde. L’institut indien de recherche sur le caoutchouc (RRII) se trouve sur une colline à quelques minutes de Kottayam à Puthuppally.

Autant vous dire, chers enfants, que je suis bien placée pour vous donner des explications sur les hévéas qui pleurent un lait blanc, le latex, qui est la base du caoutchouc naturel.

L’hévéa est arrivé en Inde par Mister Henry Wickam, à la fin du dix-neuvième siècle, puis au Kerala, par Mister Murphy.

L’hévéa brasiliensis, comme son nom l’indique, nous est arrivé d’Amérique du Sud, du Brésil où les européens l’ont découvert suite aux expéditions de Christophe Colomb.

L’hévéa a besoin d’un climat tropical, il est heureux de vivre avec une température variant entre vingt-cinq et trente-cinq degrés et beaucoup d’eau !!

L’hévéa aime les collines du Kerala, on le trouve jusqu’à environ neuf cents mètres d’altitude, puis il laisse la place aux plantations de thé au dessus de mille trois cents mètres d’altitude !

Le Kerala est un climat idéal pour sa culture.

Le Kerala produit actuellement plus de quatre-vingt-dix pour cent du caoutchouc naturel en Inde. La culture de l’hévéa a commencé en 1902, et s’est surtout développée à partir des années 1940. Les plantations d’hévéas couvrent vingt pour cent de la surface de l’état . Si on dit que le poivre est l’or noir du Kerala, le caoutchouc en est l’or blanc (la couleur du latex) :

Le caoutchouc a littéralement  révolutionné  le secteur agricole du Kerala depuis sa création au début des années 1900. Le caoutchouc était plus ou moins synonyme de stabilité financière pour une population qui avait du mal à subsister avec les récoltes et les prix alors disponibles. Sans oublier que les hévéas n’ont pas trouvé très difficile de prendre la place des cocotiers et d’occuper leurs espaces dans et autour de la partie centrale du Kerala.”

Comme je vous l’écrivais, Kerala signifie littéralement “pays des cocotiers “.

Je peux vous dire qu’autour de chez moi, c’est aussi le pays du caoutchouc, avec toutes ces plantations d’hévéas !!

https://youtu.be/vTF9EO8Rj3Q

Joy, le beau frère de mon cher voisin Henri, cultive les hévéas, et comme vous pouvez le voir sur la vidéo, il saigne l’écorce de l’arbre, tôt le matin, pour en récolter la sève, qui est le fameux latex.

Le latex va ensuite être mélangé à l’eau et à une dose d’acide formique, et ainsi se coaguler.

Joy va ensuite prendre cette pièce coagulée pour la passer dans une presse, et obtenir une plaque (“sheet”) de caoutchouc. Les plaques de caoutchouc seront ensuite séchées au soleil, plusieurs jours avant d’être fumées et noircies à la fumée de bois.

Si vous venez me visiter, vous verrez ces feuilles de caoutchouc, sécher sur un fil à linge, devant les maisons voisines.

Lorsque les plaques de caoutchouc naturel sont sèches et fumées, elles sont vendues au prix du marché fixé à un niveau international.

Joy ne vend pas les plaques de caoutchouc naturel qu’il a récoltées car il a son atelier artisanal où il fabrique des pièces automobiles.

Pour cela, il doit faire un savant mélange en mixant les plaques de caoutchouc naturel bien noircies à du souffre, du carbone et à une dizaine de produits chimiques. C’est à partir de cette mixture qu’il obtient de nouvelles plaques bien noires et prêtes à la cuisson ou vulcanisation.

Joy, dans son atelier, est équipé d’une machine outil et d’une centaine de moules lui permettant de faire, à la commande, différentes pièces automobiles, allant de joints aux “silent blocs” en passant par les pièces en caoutchouc qui couvrent les pédales de freins…

Le caoutchouc a été une aubaine pour beaucoup de keralais, la demande de caoutchouc naturel était très forte et les  prix étaient très intéressants.

Le caoutchouc a même modifié la carte agricole du Kerala. En 2000, la superficie des plantations de caoutchouc était estimée à onze fois la superficie des années 1960. Les gens ont osé risquer leurs six à sept ans de vie (le temps nécessaire à un jeune arbre en caoutchouc pour devenir un arbre prêt à être exploité) dans l’espoir de jours meilleurs. La prospérité et la richesse du caoutchouc apportées au Kerala se reflètent même dans la littérature et le cinéma. Pas seulement les grands propriétaires et les groupes de plantations, même les petits agriculteurs et  ouvriers  profitaient du caoutchouc.

Il faut savoir, en effet, que la culture des hévéas est un long processus, entre le moment où l’on plante les petits pieds d’hévéas greffés et le moment où l’exploitant commence à le saigner, il faut attendre six ou sept années !! Il va ensuite donner son lait, le latex, pendant vingt à vingt-cinq ans !! “Mais pour faire un arbre mon dieu que c’est long” :

Au cours de la longue croissance de l’hévéa, les agriculteurs cultivent des plants d’ananas entre les arbustes : autant vous dire que j’en profite bien, car mon cornac adoré, Kuttan, m’apporte des kilos de ce fruit délicieux.

Mon cher ami Henri est émerveillé, chaque mois de janvier, de voir les hévéas, cet arbre à feuilles caduques, perdre ses feuilles qui rougissent, deviennent rousses, tombent… , et se parer de ses nouvelles feuilles.. , le tout en un temps record de deux semaines !!

Il me dit que chez vous, à Boulogne-sur-mer, les arbres restent dévêtus pendant plusieurs mois, je n’en reviens pas !

Mais depuis quelques années, les prix du caoutchouc ont chuté, les bénéfices ne correspondent pas aux dépenses. Certains agriculteurs commencent à se décourager et à abandonner cette culture.

C’est aussi le problème de la monoculture qui réduit la biodiversité, appauvrit les sols… :

Au Kerala, les plantations d’hévéas ont remplacé la végétation naturelle et ont été repoussées dans des régions peu propices à l’environnement. Des études ont lié cela à une réduction de la biodiversité, du débit des rivières et des nutriments du sol. «Nous devrions nous inspirer de ces études et adopter une approche de précaution», a déclaré TR Shankar Raman, scientifique à la Nature Conservation Foundation, une ONG basée à Bengaluru.”

 La baisse des prix du caoutchouc naturel, le prix élevé de la main d’œuvre au Kerala, les inondations de 2018 et pour couronner le tout, la pandémie du Covid-19 font que les agriculteurs sont en train de modifier leurs cultures, plantent moins d’hévéas et plus d’arbres fruitiers, dont le fameux jacquier, qui donne les plus gros fruits du monde…

Les agriculteurs au Kerala et en Inde vivent des moments difficiles, vous pouvez le constater en écoutant les informations sur les événements actuels, les manifestations importantes à Dehli…

Moi, l’éléphante qui vit au milieu des arbres et de la nature, je suis très sensible à tout ce qui m’entoure et cela me rend soucieuse. Mon voisin Mister KR Reghu est parti manifester à Delhi, il fait la route avec son scooter (2800 kilomètres) !!

Je vous parlerai dans une prochaine lettre du jacquier et de ses fruits, les jaques, qui font plus de 30 kilos et de leur grande qualité nutritive.

En attendant, chers enfants, je vous dis de faire bien attention à vous, car j’ai su que le virus est très actif chez vous aussi.

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila

Un grand merci à la Fondation Marc Rohrbach

La Fondation Marc Rohrbach sous l’égide de la Fondation de France a retenu notre projet “Conservatoire botanique des Maisons”, dédié dans les années à venir à permettre aux habitants, écoliers, enfants de nos Maisons de participer à la préservation de la biodiversité.

Sur l’un des sites de notre association, lieu d’une opération archéologique et artistique réalisée ces dernières années, sera créé un parcours permettant aux familles de participer à la conservation de la biodiversité de la Côte d’Opale. Ce projet est aussi soutenu par la Fondation Daniel et Nina Carrasso sous l’égide la Fondation de France et concourt au label “Les Cités éducatives” porté par Boulogne sur-mer.

Un grand merci à la Fondation Marc Rohrbach, rendez-vous en 2023 pour l’inauguration de cette nouvelle étape sur les parcours des randonnées pédestres sillonnant nos belles collines du Boulonnais.

Lettre de Shila : “L’objet de nos attachements”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Emmanuel me dit que, dans vos chambres, vous avez souvent votre doudou préféré. Je ne sais pas ce que c’est qu’un doudou, j’ai crû comprendre que c’est un objet qui vous permet de vous sentir bien. J’en suis heureuse chers enfants, faites un gros bisou à vos doudous de ma part.

Maintenant que j’y réfléchis grâce à vous, je me dis que tout le monde a besoin de se rassurer. Cette semaine, je vous ai parlées des métamorphoses et des catastrophes. Je pense que j’étais inspirée par l’actualité de mon pays, qui a conscience des problèmes et se bat pour trouver des solutions même si cela n’est pas facile.

Il faudrait un doudou pour chacune, chacun, mais bon, cela concerne des milliards de personnes, humains, animaux, plantes, sols ; je ne sais pas si on pourrait fabriquer des doudous qui plaisent à chacune, chacun. C’est énorme.

Henri et Emmanuel m’ont expliqué qu’au-delà des doudous, les humains avaient réfléchi à ce besoin de tous à s’accrocher à quelque chose pour avancer dans la vie, malgré la difficulté. Cela s’appelle, si j’ai bien compris, la résilience.

Ainsi de ces mamans éléphants et de leur cornac, qui ont réussi à sauver des bébés mal embarqués. Je me dis que toutes et tous, quel que soit l’âge, animaux, humains, pouvons être marqués par cette épreuve :

Ah, que j’ai aimé ces mamans éléphantes : elles expriment leur sentiment maternel avec tant de force. Cela me touche beaucoup.

Il me faut vous expliquer que, contrairement à ces familles, je n’ai pas connu ma maman, mon papa. Je fais partie de ces éléphants kidnappés à leur naissance pour servir les humains.

Ce n’est pas facile à vivre.

Cela ne me console pas, mais Henri m’a expliqué que je ne suis pas la seule dans ce cas-là, et que des humains se sont organisés pour essayer de remplacer la maman éléphante absente auprès des bébés éléphants :

Si je n’ai pas connu cette Lady, Miss Sheldrick, mon cœur d’éléphante sans parents me porte à lui dire merci. On a tous besoin de câlins pour bien grandir.

Moi, j’ai eu la chance d’être confiée à mon cher Kuttan, et puis Henri et sa famille viennent souvent me voir et cela me fait plaisir.

Henri et Emmanuel me disent que vous autres, les humains, considérez les éléphants comme de grands amis des bébés. Beaucoup de parents mettent dans leur couffin des représentations de nous, et les bébés humains nous font très vite de gros câlins.

Ah, que je suis étonnée, mais en même temps heureuse que nous autres, les éléphants, puissions être des potes des bébés de vous autres, les humains.

Emmanuel m’a expliqué que les peluches d’éléphant dans les couffins sont très importantes pour l’éveil des bébés. Si j’ai bien compris, cela permet aux petits d’hommes de s’éveiller, de commencer à grandir en se pensant où qu’ils soient en sécurité. Henri et Emmanuel me disent que ces peluches sont des « objets transitionnels », terme inventé par Mister Winicott pour souligner leur importance en tant qu’objets d’attachement pour les petits êtres.

Je ne le savais pas : Henri m’a expliqué aussi que Mister Winicott s’est beaucoup inspiré d’un penseur de notre pays, Rabindranath Thakur, pour réfléchir à l’importance des doudous.

J’en suis ravie.

Emmanuel me dit que même à l’âge adulte, des humains ont besoin d’objet pour se sentir en sécurité, capable d’aller en confiance vers les autres :

C’est au point, me dit Henri, que des humains pensent que vos téléphones personnels, dont vous vous servez si souvent quel que soit l’âge, peuvent être considérés aussi comme des doudous.

Et bien chez enfants, je comprends que ces choses en peluche ou à écran sont bien importantes pour être en lien. Même s’ils furent d’une grande importance, n’oublions pas de nous en défaire ; ils sont certes des amis pour grandir mais vient un moment où la séparation est nécessaire pour devenir libres de conscience. Je vous envoie cette peinture, de Monsieur Kandinsky. On y voit la féérie de l’enfance, et son héros qui prend le parti d’aller bien haut dans le ciel malgré des astres peu engageants :

Je vous embrasse très fort,

A lundi,

Shila

Lettre de Shila : “Cata / Strophe”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Ce matin, mon cher Kuttan, après m’avoir déposé mon petit-déjeuner, a allumé quelques feux au pieds de la végétation bordant mon petit pré car elle est galopante et il faut régulièrement l’aider à ne prendre pas trop d’ampleur. Je suis habituée à ces petits incendies sous la surveillance de Kuttan, mais je dois vous dire que ce matin j’ai eu un peu peur car à un moment, les flammes se sont un peu rapprochées de la maison de mon cher voisin Henri. Henri et Kuttan ont veillé à ce que cela ne dégénère pas en catastrophe, mais bon, sur le moment je dois vous avouer que j’ai pensé que tout était fichu.

Ce qui m’impressionne beaucoup chez Kuttan, c’est qu’il sait qu’il faut régulièrement brûler des plantes pour qu’elles puissent vivre mieux ensuite.

Moi, je me dis que quand c’est brûlé, c’est brûlé, et qu’il n’y aura plus jamais mes chers bambous. En fait non ; à chaque fois je suis émerveillée de constater que les plantes repoussent si bel et bien qu’il faudra à nouveau que des feux soient allumés et ainsi de suite pour que tout le monde s’y retrouve. Henri m’a expliqué que vous autres, les humains, avez beaucoup réfléchi à ce cycle de la vie, où quelque-chose disparaît pour permettre à quelque-chose d’apparaître. Henri m’a dit que vous appeliez ce phénomène « catastrophe ». Si j’ai bien compris, c’est un mot composé de deux idées : « Cata » veut dire le grand bouleversement, la fin de ce qui était, « Strophe » veut dire un nouvel ordre, une nouvelle page à écrire.

Informé par Henri de mes émotions matinales, Emmanuel m’a envoyée une histoire vraie qui explique que souvent, on est tellement impressionné par le drame de la « Cata » qu’on ne sait pas voir ce qui viendra à sa suite, la « Strophe ». Alors c’est l’histoire de ce marin, participant à une course autour du monde au sujet de laquelle je vous avais écrite une lettre pour célébrer ensemble l’esprit d’aventure :

Ce marin, proche de la ligne d’arrivée, a compris qu’il n’allait pas gagner la course, et s’est accordé quelques instants de sommeil pour se reposer tant il était fatigué par ces mois de combats de tous les instants. Et, durant son sommeil, un bateau l’a percuté, au point qu’il a failli tout perdre.

Ouille ouille ouille, que cet événement a dû être dure à vivre. Emmanuel m’a dit que ce marin a réussi a rallier la ligne d’arrivée. Comme je n’étais pas très tranquille, Henri m’a expliqué que dans ces courses incroyables, l’art de se reposer est un élément essentiel pour espérer gagner, et qu’il ne fallait pas m’en faire.

Henri et Emmanuel m’ont dit que, par chez-vous, il y a plein d’histoires de bateaux qui ont coulé en raison de collisions soit avec des cailloux, soit avec d’autres bateaux. J’ai cru comprendre que ces disparitions catastrophiques étaient telles, que, tout comme pour les humains disparus non loin de chez vous lors d’une guerre atroce… :

… Vous aviez aussi créé un lieu de mémoire pour se souvenir de tous les marins disparus en mer.

Pauvres humains, je vois que souvent vous êtes victimes de collisions contre votre volonté. Henri et Emmanuel m’ont expliqué que j’avais raison, et que pour faire face à ce péril permanent, les humains se sont organisés et des personnes très courageuses interviennent pour sauver les marins en perdition.

Mais est-ce que la catastrophe n’arrive qu’aux humains ?

Emmanuel me dit que nous les autres, les animaux, pouvons aussi être victimes de ces accidents brutaux, et que, du coup, beaucoup de personnes se mobilisent pour essayer de nous aider :

Henri et Emmanuel m’ont aussi expliqué que certains animaux avaient dans leur vie des moments réguliers où ils percutent ce qui ne leur convient pas :

Quel choc ! Ces bisons sont fous, ils vont se tuer à rentrer dedans comme ça. Henri m’a expliqué que ces bestioles ne sont pas folles, bien au contraire. Elles font cela pour marquer leur territoire.

Ah ?

Oui maintenant, je comprends, je vous en avais parlé dans une lettre ; faire respecter son territoire est très important pour les animaux. Mais bon, de là à se taper dessus, moi l’éléphante je ne suis pas d’accord. Je vous en avais fait part ; il y a toujours des solutions pacifiques plutôt que de se battre :

Emmanuel me dit que l’on ne peut éviter les collisions, c’est un phénomène naturel au point que vous autres, les humains, avaient essayé d’établir leur principe physique.

Mes chers enfants, moi l’éléphante philosophe, comprends que si ces chocs font partie de la nature, l’important est de réfléchir pour les limiter. Je vous envoie pour y penser ensemble cette belle image, peinte par Mister Turner lors d’une tempête non loin de vos côtes, en plein Hiver. On y voit le déluge, mais aussi les éclairs de lumière :

“Tempête de Neige” exposé en 1842 de J.W. Turner Snow Storm – Steam-Boat off a Harbour’s Mouth making Signals in Shallow Water, and going by the Lead

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “Des métamorphoses”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ce matin ? La journée qui s’annonce sera-t-elle pour vous, chacune et chacun à sa façon, un moment différent de la veille ?

Je me permets de penser que cela est fort probable, ne serait-ce que parce qu’en-nous tous, quelques cellules vont changer à coup sûr du fait de cet incroyable phénomène dont je vous parlais, et qui ne cesse de nous changer :

Ce matin, comme à mon habitude depuis la semaine dernière, je regardais mon petit pré, cherchant toutes situations où quelqu’un ou quelque chose vient en aide à quelqu’un ou quelque chose d’autre :

A la surface de la mare qui se trouve à cent mètres de la charmante maison d’Henri, j’ai vu une drôle de minuscule bestiole sortir avec difficulté des eaux, puis s’envoler dans un “bzzzzzzz” que je ne connais que trop bien, et qui signale généralement que je risque d’être piquée :

Mon dieu que cette toute petite chose a eu du mal pour s’extirper de la surface de la mare ; c’est comme si elle était toute engourdie. Et puis, à force d’essayer, elle a réussi à déployer ses pattes, ses ailes, et hop ! : c’était parti pour l’envolée.

Henri m’a expliqué que ces animaux, appelés « moustiques » changent complétement de corps. Bébés, ils ressemblent à des œufs qui gigotent. Vous autres les humains les appelaient « larves ». Et puis le corps du moustique mue, et revêt quelques temps plus tard toutes les capacités d’un insecte volant.

Incroyable, cela me rappelle la lettre que je vous ai envoyée à propos des tours de magie :

Emmanuel m’a dit que cela n’a rien de surnaturel, que beaucoup d’êtres vivants sont concernés par ce que vous appelez : une métamorphose.

Ah bon ? Alors moi aussi l’éléphante, je serai appelée à me métamorphoser ?

Henri et Emmanuel m’expliquent que si ce n’est pas aussi marqué que pour le moustique, la période du musth chez l’éléphant signale aussi un changement dans son corps :

Ah, j’ai remarqué en effet que les éléphants mâles en plein musth ont un comportement différent de d’habitude, je les trouve plus nerveux.

Alors une métamorphose, c’est souvent douloureux ?

Emmanuel me dit qu’en effet, changer d’un état à un autre est souvent un effort qui a des conséquences soit physique soit mentale. Emmanuel m’a raconté qu’une dame est venue parler dans vos maisons pour raconter un film qu’elle a réalisé avec des jeunes humains durant les années de leur transformation :

C’est passionnant, je vois que les animaux, les humains, nous ruminons les mêmes questionnements à mesure que nous grandissons durant cette période de la vie où, d’enfant, nous devenons adulte.

Emmanuel me dit que certains humains, tellement chamboulés par le fait de devenir adulte, refusent même cet état de fait et continuent à se comporter comme des enfants. Cela s’appelle, si j’ai bien compris, « le syndrome de Peter Pan », vous savez ? Ce personnage que vous avez sans doute vu au cinéma.

Est-ce que ça concerne tous les humains cette frousse de grandir au point de le refuser ?

Henri et Emmanuel me disent que cela doit concerner beaucoup beaucoup de personnes, car depuis très longtemps, vous autres, les humains avaient compris ce moment décisif, et avez inventé des rituels pour aider les petits d’hommes à accepter d’être adultes :

Henri me dit que ces passages d’un âge à un autre peuvent fonctionner par chez-vous ; des enfants, dont le papa ou la maman travaille pour pêcher les poissons, ont hâte de grandir pour être à leur tour sur les bateaux afin de prendre la succession :

Mes chers enfants, moi l’éléphante philosophe me dit qu’accepter le passage à l’âge adulte, n’est jamais simple ; il faut y être encouragé par des adultes bienveillants, comme le sont vos éducatrices ou éducateurs.

Je vous envoie cette belle musique de Mister Bowie, artiste des transformations s’il en est, pour vous accompagner dans ce passage :

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila

Lettre de Shila : “De la révolution verte à l’agriculture biologique, l’Andhra Pradesh a choisi”

Chers enfants,

Je vais vous parler aujourd’hui de mon sujet préféré, l’agriculture.

Les branches de palmiers, les pousses de bambous et les fruits que j’ingurgite chaque jour me font de plus en plus saliver, tant elles sont goûteuses.

Kuttan se réjouit de me voir apprécier la nourriture de qualité qu’il me donne.

J’ai su que, chez vous, en France, de plus en plus de gens font aussi attention à la nourriture et à la qualité des fruits et légumes qu’ils mangent !! Les magasins vendant de la nourriture biologique ont le vent en poupe, comme vous dites à Boulogne-sur-Mer !!

Je dois vous expliquer que mon pays, dont je suis si fière, l’Inde, était exsangue en 1947, après plus de deux siècles de colonisation, période où les famines se sont succédées !!

Au moment de son indépendance en 1947, la situation alimentaire de l’Inde était très mauvaise, et beaucoup d’observateurs prévoyaient une évolution catastrophique du pays. Nehru, le nouveau Premier Ministre de l’Inde, déclarait en 1948 « everything else can wait but not agriculture ». Ce qui se traduit par « tout le reste peut attendre, mais pas l’agriculture. »

Le pays a cependant déjoué ces sombres pronostics, parvenant à mettre en œuvre une révolution verte qui, par une agriculture à haut rendement, a pu apporter en quelques années l’autosuffisance alimentaire au pays. De nombreux paysans ont pu profiter des progrès, tandis que des dégâts environnementaux sont déplorés.

La révolution verte a été lancée par le premier premier ministre de l’Inde, Nehru, dès le début de l’Inde indépendante, elle a pris de l’ampleur dans les années 1970 et a permis au pays d’atteindre l’autosuffisance alimentaire dès l’année 2000 !

La révolution verte repose sur trois principes fondamentaux :

– l’utilisation de semences performantes

-l’utilisation de produits phytosanitaires, d’engrais et de pesticides

-l’utilisation de beaucoup d’eau, avec des systèmes d’irrigation importants.

La révolution verte a malheureusement ses limites, Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article qui raconte bien l’histoire. Les paysans s’endettent pour acheter graines, engrais et pesticides, l’Inde connaît un taux de suicide très important chez les agriculteurs, drame accru par a pollution des eaux par les nitrates, l’empoisonnement de la population par les satanés pesticides :

Dans les années 2010, les cas mortels d’encéphalite aigüe sur les enfants se sont amplifiés en Inde, au Bangladesh au Vietnam et en Thaïlande. Au Bangladesh, le lien à un cocktail chimique de pesticides est mis en évidence en 2017. En Inde, le gouvernement local du Kerala a estimé que l’usage à tort et à travers de l’endosulfan avait empoisonné 4 270 personnes et causé la mort de 500 autres depuis 1978. Ce pesticide est interdit en Inde depuis 2012, mais une utilisation en contrebande est suspectée.”

Face à ces fléaux de l’empoisonnement du sol, des gens et aussi du taux de suicide élevé d’agriculteurs, des individus réagissent et proposent une alternative : une agriculture sans engrais, sans graines hybrides, sans pesticides, sans prêt et en limitant l’irrigation et l’arrosage.

Une figure emblématique, Mister Subash Palekara montré la voie à environ quatre millions d’agriculteurs sur la façon de cultiver de meilleures cultures plus saines, gagner plus d’argent sans être pris au piège d’un cycle d’endettement avec plus de pesticides, plus de produits chimiques, plus de prêts et plus de suicides. La plupart des agriculteurs qui utilisent les méthodes entièrement naturelles de Palekar se trouvent dans l’ouest et le sud de l’Inde.”

Mister Palekar préconise “l’agriculture à budget zéro”, inspirant de nombreux agriculteurs mais aussi des états à suivre le modèle d’une agriculture biologique. Il a été récompensé par l’Etat Indien en recevant le Padma Shri, en 2016, pour son œuvre.

L’état d’Andra Pradesh, à mille kilomètres de chez moi, a fait le choix du ZBNF (“Zero Budget Natural Farming”), qui veut dire dans votre langue : “agriculture naturelle à zéro budget”. Il a pour objectif de faire appliquer cette méthode par 6 millions d’agriculteurs d’ici 2024. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article pour vous qui dit bien les enjeux :

VISION DU GOUVERNEMENT AP

Améliorer le bien-être des agriculteurs à court et à long terme, en particulier les petits et les agriculteurs marginaux, grâce à une agriculture naturelle résiliente aux changements climatiques et à faible coût (ZBNF).”

Un autre très bel article du journal Le monde que mon cher voisin Henri a lu pour vous, explique l’engagement exceptionnel du gouvernement de l’Andhra Pradesh pour l’agriculture biologique, afin de favoriser ses agriculteurs et aussi sa population, par des gains supérieurs et une alimentation saine.

L’Andhra Pradesh, ainsi que l’état du Sikkim, à 3200 kms de chez moi, dans la montagne de l’Himalaya, sont aujourd’hui des exemples pour l’agriculture biologique en Inde.

Avec le bio, c’est un vrai bonheur de travailler la terre.

À Boulogne-sur-mer, m’a dit mon cher voisin Henri, les jardiniers sèment les carottes à côté des poireaux, car l’insecte qui attaque les poireaux est repoussé par l’odeur des carottes et réciproquement, le vers de la carotte a horreur de l’odeur du poireau.

Il en est de même dans le Sud de l’Inde, le curcuma, cette plante à rhizomes, connue pour être le safran des pauvres, dont les qualités culinaires sont très reconnues, pousse sous les papayers, l’un protégeant l’autre et réciproquement.

Sans engrais ni pesticides, les vers de terre font un travail extraordinaire.

Finis aussi les brûlis agricoles, dont souffrent les Indiens ; en effet, on utilise les paillis pour protéger la terre, et conserver la fraîcheur des arrosages. Si les agriculteurs du Nord se mettaient à l’agriculture biologique, Dehli serait moins polluée et tousserait moins !!

Le programme agricole à zéro budget, promu par le gouvernement de l’Andhra Pradesh, n’est malheureusement pas soutenu financièrement par l’état central, car les lobbies industriels sont toujours aussi puissants et influents. Mon cher voisin Henri m’a envoyé un article pour vous qui en dit long sur les enjeux pour les humains, pour les plantes, pour nous autres les animaux, pour tout le monde dans mon pays et pour la planète :

“Lobbys industriels

Le gouvernement indien en butte à une crise agricole structurelle s’est intéressé à l’expérience de l’Andhra Pradesh. Le 9 juillet 2018, le NITI Aayog (Institution nationale pour la transformation de l’Inde), qui a remplacé la Commission au plan en 2015 après l’accession au pouvoir de Narendra Modi, a invité Subhash Palekar à une présentation de l’agriculture naturelle. Selon Palekar, la majorité des participants − des scientifiques du Conseil indien de la recherche agricole et d’universités agricoles d’Etat et le ministre de l’agriculture − auraient convenu que l’agriculture naturelle était la seule alternative disponible pour doubler le revenu des agriculteurs d’ici à 2022, une promesse électorale que Narendra Modi avait faite à son arrivée au pouvoir en 2014.

Ce programme, lancé et piloté par Vijay Kumar, ancien haut fonctionnaire et conseiller à l’agriculture du gouvernement de l’Andhra Pradesh, a déjà séduit sept cents mille paysans et travailleurs agricoles.

Mais c’était sans compter les lobbys industriels. Dans un livre à paraître en mars, aux Presses des Mines, Bruno Dorin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui travaille depuis deux ans avec le RySS sur une « prospective à 2050 de l’agriculture naturelle en Andra Pradesh », raconte comment l’Académie nationale des sciences agricoles indienne a entravé la généralisation de l’agriculture naturelle en Inde.

Dans un courrier de trois pages envoyé à Narendra Modi, en septembre 2019, le président de cette académie explique que, après une journée d’étude avec soixante-dix experts comprenant des industriels, les participants ont conclu que « le gouvernement de l’Inde ne devrait pas investir inutilement des capitaux, des efforts, du temps et des ressources humaines pour promouvoir le ZBNF en raison de l’impossibilité technique du pays à explorer cette technologie non démontrée et non scientifique ».

Quelques semaines plus tard la presse rapportait que « le gouvernement Modi soutient le ZBNF mais n’a pas de budget pour le promouvoir ». Vijay Kumar connaît toutes ces résistances et sait que sa « démarche est difficile », mais dit-il « si nous ne le faisons pas, nous allons vers une catastrophe »”.

Avec tous les animaux de l’Inde, je soutiens ceux qui protègent notre nature, et quelques jours après notre Republic Day, je leur dédie notre bel hymne national :

Quoiqu’il en soit, chers enfants, je suis sûre que l’avenir de notre planète se joue ici, en Inde, comme chez vous, et aussi en Amazonie, avec cette prise de conscience que chaque plante, chaque arbre, chaque être vivant doit être protégé, soigné, choyé.

Je compte sur vous pour bien cultiver votre jardin.

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila