Compte-rendu de la réunion du 2 octobre 2020

Compte-rendu de la réunion du Conseil scientifique de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Présents :

Claire Beugnet, directrice de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Bruno Defachelle, chef de service du DMAD DARF et de la Maison de la Danse, association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Jean-Paul Demoule, professeur des universités émérite en archéologie, Université Paris 1

Olivier Martin, professeur des universités en sociologie, Université Paris Descartes

Patrick Miquel, précédemment directeur de l’Enfance et de la Famille, Conseil départemental du Pas-de-Calais

Claire Oger, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Est Créteil

Emmanuel Paris, directeur adjoint aux affaires culturelles de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Eric Parot, ingénieur physicien retraité Schlumberger Ltd, précédent coordinateur France Fondation SEED

Francis Rembotte, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Anick Traguardi-Menet, représentante du personnel de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Henri Villeneuve, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Excusés :

Marie-Christine Briatte, directrice du Pôle d’Action Municipale Solidarités et Réussites Educatives à la Mairie de Boulogne-sur-mer

Eric Legros, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

Pierre Lemarquis, neurologue, attaché d’enseignement d’éthologie à l’université de Toulon-La Garde

Philippe Richard, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »

I. Nomination de Claire Oger pour le renouvellement de la présidence du Conseil :

Emmanuel Paris informe les participants que, conformément aux délibérations du Conseil scientifique lors de sa réunion organisée le 4 octobre 2019, le Conseil d’administration de l’association a approuvé la proposition de la direction ; proposer à Claire Oger la présidence du Conseil scientifique.

Claire Oger a accepté cette nomination et en remercie l’association.

Claire Oger propose de reconduire les années à venir les axes de travail du Conseil scientifique, et encourage les membres à proposer de nouvelles contributions à l’instar des lectures commentées d’ouvrages ou d’articles initiées depuis deux ans.

Emmanuel Paris dit que l’association continuera à soutenir les projets de publication issus des études et recherches menées par le Conseil scientifique, et appuie toutes propositions de nouvelles contributions exprimées par ses membres.

Ouverture de la vingt-et-unième séance du Conseil scientifique par Madame la présidente.

II. Présentation de la saison culturelle 2020-2021, préparation du colloque « En vérités », juillet 2021 :

Emmanuel Paris distribue aux participants la note de rentrée de la saison 2020-2021.

On trouvera le détail de ce document ci-après :

Emmanuel Paris précise que ce document n’a pas vocation à diriger les acteurs du programme culturel dans la manière de s’approprier le thème de la saison, mais de proposer quelques inspirations susceptibles de mettre en mouvement les dynamiques créatives de la communauté.

Emmanuel Paris dit que cette note repose sur trois idées-clé : l’expressivité/singularité, la fabrique collective du vrai, la rationalité (savoir « faire enquête »).

Emmanuel Paris présente le programme de la saison, telle qu’il s’annonce au moment de l’organisation de la présente réunion du Conseil.

A ce jour, explique Emmanuel Paris, plusieurs établissements culturels et Fondations proposent le développement de projets en cette saison 2020-2021 :

– La Fondation Sopra Steria sous l’égide de l’Institut de France a accordé une dotation durant le confinement au mois d’avril, permettant l’acquisition d’un casque de réalité virtuelle ainsi que de contenus thérapeutiques développés par la société C2care. Dans séances avec des enfants présentant des phobies, troubles de l’attention et du comportement, comportements addictifs, seront régulièrement organisées par Alicia Gignet, psychologue de notre association ;

– La Communauté d’agglomérations du Boulonnais (CAB) organise deux résidences d’artistes en Danse auxquelles les enfants de la Maison du Cirque (compagnie “La Ruse”) et les enfants de la Maison de la Danse (compagnie “Farid’o”) collaborent de ce mois de septembre au mois de décembre 2020. Les créations issues de la première rencontre artistique seront présentées sur scène à Lille en juin 2021, et, s’agissant de la seconde rencontre, au Café-théâtre Michel Lafont, espace scénique de notre institution, le 13 novembre ;

– La Fondation Crédit Mutuel Nord Europe finance pour une deuxième année la réalisation d’ateliers à la Maison de la Musique destinés aux anciennes et aux anciens de l’institution. Il y aura tout au long de l’année une séance chaque deux semaines. L’objectif du collectif artiste (trois anciennes/anciens et le professeur de musique de la Maison de la Musique) est de produire un disque qui sera commercialisé en juin 2021 dans les espaces culturels des Centres commerciaux de Boulogne-sur-mer, ainsi qu’une prestation musicale au Café-théâtre Michel Lafont, espace scénique de notre institution ;

– Le Château d’Hardelot propose aux Maisons d’assister aux prestations du cycle “Discoveries”, et pour commencer cette saison, aux répétitions du collectif “Les cris de Paris” en train de créer en musique et en bel canto un opéra ;

– La Fondation Saint-Gobain soutient l’association dans la restauration de bâtiments (Maison du Cirque et gîtes accueillant les invités artistes et scientifiques du programme culturel). Ces chantiers ont commencé cet Eté ;

– La Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France a agréé le projet « La couleur de l’eau » porté par le Cabinet de médiation en art contemporain Artconnexion et pour lequel les enfants des ateliers en arts plastiques du Centre de Jour et de la Maison Vive sont invités à réaliser avec Nicolas Floc’h, artiste plasticien, Hubert Loisel, océanographe, et l’équipe de la station océanographique de Wimereux pour développer des représentations de la couleur de l’eau marine au fil des saisons et des lieux, et en s’appuyant pour cela sur les études et recherches scientifiques en cours. Les ateliers seront organisés par Sylvie Mestre, professeur en arts plastiques, durant la période allant de novembre à avril 2021 (novembre-février : collaboration avec Nicolas Floc’h, mars-avril 2021 : sorties en mer des enfants à bord du navire océanographique de la station de Wimereux). Cette action est financée par la Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France dans le cadre d’un plan triennal soutenant le développement du programme artistique et culturel de notre association. Autre action s’inscrivant dans ce partenariat, l’homme de théâtre et écrivain Rémy Boiron viendra de décembre à juin 2021 aux Maisons pour créer avec les enfants des prestations en public autour du thème “En vérités”, l’objectif étant d’instituer une “brigade poétique des Maisons”, allant dans l’espace public pour proposer aux passants des happenings éveillant au thème et ses considérations ;

– L’association socio-éducative du Tribunal Pour Enfants de Boulogne-sur-mer organisera en décembre une journée d’animation territoriale sur le thème des addictions. Différentes parties prenantes du champ de la protection de l’enfance contribueront à la programmation de cette journée. Les enfants et les jeunes de l’atelier théâtre du Centre de Jour ont conçu des saynètes filmées permettant la diffusion de ce film sur scène lors de la journée d’animation.

Emmanuel Paris conclut cette présentation en informant les membres du Comité que l’association est en train de travailler avec Marie-Christine Briatte, directrice du Pôle d’Action Municipale Solidarités et Réussites Educatives à la Mairie de Boulogne-sur-mer, pour contribuer à la réalisation du label “Cités éducatives” récemment obtenu par l’agglomération.

Deux contributions de l’association pour les trois années à venir sont proposées : le FabLab des Maisons, et un conservatoire botanique prochainement créé sur le site de la Ferme de Bertinghen, mobilisant notamment une intervention artistique en Land art. S’agissant du Conservatoire botanique, Emmanuel Paris informe les participants que l’association, sur les conseils d’Eric Parot, a candidaté, pour financement du projet, à l’appel à projets ci-après :

Emmanuel propose que la programmation du colloque « Rien n’est joué d’avance », initialement organisé le 3 juillet 2020 mais annulé en raison des mesures sanitaires dans le cadre de la lutte contre l’épidémie Codid-19, soit reconduite.

On trouvera le contenu de la programmation, telle que travaillée lors de la réunion du Conseil scientifique le 13 mars 2020, à l’adresse suivante (cf. II. « II. Préparation du Colloque « Rien n’est joué d’avance », vendredi 3 juillet 2020 ») :

Les participants agréent cette proposition.

Emmanuel Paris dit qu’il va recontacter les orateurs pressentis pour s’assurer de la reconduction de leur participation au colloque 2021, et présentera au Conseil un état d’avancement lors de la prochaine réunion trimestrielle.

III. Lectures commentées :

Emmanuel Paris distribue aux participants les textes recommandés par Claire Oger et Francis Rembotte.

On trouvera, recommandé par Claire Oger, le texte « Psychiatrie : gestion de la violence ou violence gestionnaire » de Yannis Gansel publié le 27 janvier 2020 à l’adresse ci-après :

Les textes recommandés par Francis Rembotte sont :

• Sophie Rahal (2019) “Mécénat : à qui profite la prime ?”, Télérama, 3642, 30 octobre 2019, pp. 20-26 ;

• Francis Charhon (2016), Vive la philanthropie, Paris, Editions du Cherche Midi.

III. A. Lecture de l’ouvrage « Vive la philanthropie » par Francis Rembotte :

Francis Rembotte expose aux participants ses observations et analyses :

« Francis Charhon, l’un des fondateurs de MSF et ancien directeur général de la Fondation de France, rappelle dans son livre « Vive la philanthropie » que « La philanthropie est la philosophie qui met l’humanité au premier plan de ses priorités ».

Parmi les philanthropes, les particuliers qui donnent majoritairement à des associations (4 milliards en 2013 par 16% des foyers français). Mais aussi les fondations et les fonds de dotation.

Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale est certainement, dans notre champ professionnel, l’association qui a le plus recours au financement privé par l’intermédiaire de fondations.

Dès lors il n’est pas inutile de se pencher sur ce phénomène.

Pour le philosophe Pierre Henri Tavoillot, Maitre de conférences à la Sorbonne, auparavant « l’aumône faisait partie des commandements divins et constituait la voie pour obtenir la rémission des pêchers et, sinon le salut, du moins l’espoir du salut.

Aujourd’hui et considérant le recul de la religion, l’aumône a été remplacé par la solidarité mais, à la différence du généreux qui agit de manière désintéressée, le solidaire combine altruisme et égoïsme. Etre solidaire en effet, c’est agir en faveur de quelqu’un dont je partage les intérêts, de sorte qu’en défendant les siens, je protège les miens. »

En France, la solidarité est « imposée ».  On parle de solidarité « mécanique » qui s’exprime par une série de mesures redistributives et est financée par l’impôt. Cette forme de solidarité conduit parfois à un désintérêt de l’individu pour son prochain vulnérable – Il a délégué sa capacité d’empathie à des institutions publiques. Il paye des impôts pour ne plus entendre parler de la misère, pour qu’elle soit traitée ailleurs que sur le pas de sa porte, entre la boulangerie et le distributeur de billets.

Heureusement, beaucoup de nos concitoyens sont capables d’une vraie générosité qui, elle, est un acte volontaire. L’individu contemporain ne donne pas seulement pour payer moins d’impôts, car même moins cher, le don coûte toujours Il ne donne pas non plus pour frimer auprès de son voisin car le don est souvent discret. Il donne parce qu’il n’est guère possible d’être heureux en voyant les autres malheureux. Il donne pour donner un sens à sa vie. Signalons que l’Etat encourage ce type de don en permettant aux particuliers qui n’est soumis qu’à l’impôt sur le revenu d’en déduire 66% de son don (dans la limite de 20% de ses revenus imposables) et 75% s’il paie l’ISF (allégement limité à 50 000€), ce qui, entre parenthèse, fait de l’Etat le premier philanthrope de France…)

Quant aux plus riches de nos concitoyens, ils créent un fond de dotation ou une fondation.

Un fond de dotation est une structure souple et légère permettant une grande autonomie. Elle doit être dotée d’au moins 15 000€. Le philanthrope s’occupe lui-même de la gestion administrative (publication des comptes et du rapport d’activité). Il en existe 2500 en 2017.

Une fondation est une personne morale de droit privé à but non lucratif créée par un ou plusieurs donateurs, eux-mêmes pouvant être des personnes physiques ou morales, pour accomplir une œuvre d’intérêt général. Il en existe 2600 en 2017 qui emploient 130 000 salariés.

Pour une fondation d’utilité publique la dotation initiale doit être au moins de 1.5 millions. Elle peut recevoir des subventions, des dons et legs (630 Fondations d’Utilité Publique).

Une fondation abritée n’a pas le statut de personne morale, elle est assujettie à la fondation abritante sur le plan juridique et fiscal. Elle dispose d’une autonomie opérationnelle plus ou moins importante selon le capital et la fondation abritante. (Pour la Fondation de France par ex. 200 000 /an sur 5 ans.) 

Les « abritantes » (52 en France) sont la FdF (Près de 1000 fondations abritées), L’institut de France (L’Institut de France est une institution française créée en 1795. Il rassemble les élites scientifiques, littéraires et artistiques de la nation afin qu’elles travaillent ensemble à perfectionner les sciences et les arts, à développer une réflexion indépendante et à conseiller les pouvoirs publics), CARITAS, etc.

Quelle est la différence entre une association et une fondation ?

Alors qu’une association est le regroupement de plusieurs personnes avec la volonté d’agir ensemble autour d’un objectif commun, une fondation existe par l’affectation irrévocable de biens à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général. Une fondation, c’est de l’argent privé mis à disposition d’une cause publique.

La gouvernance est très différente : une association a par nature un fonctionnement démocratique. les décisions sont prises par l’assemblée générale de ses membres, qui peut déléguer tout ou partie de ses prérogatives à un conseil d’administration élu parmi ses membres, alors que la fondation a une gouvernance basée sur un conseil d’administration non élu mais choisi par le ou les fondateurs. Ce conseil prend seul les décisions.

Ce secteur philanthropique est en plein développement en France. Un tiers des 2600 fondations existantes dans le pays en 2019 a été créé depuis 2010. (+ 4% par an)

Le poids économique des fondations croît rapidement avec 27 milliards d’actifs et 11 milliards de dépenses annuelles pour l’intérêt général.

50% des fondations sont le fait de particuliers (34% – 35 à 55 ans. 31% – 55 à 65 ans -25% 65 ans et plus – 10% moins de 35ans.) qui ont été répartis en 4 catégories :

  1. Les héritiers, inscrits dans une histoire familiale. Ils prolongent la démarche initiée par leurs parents ou grands-parents ;
  2. Les militants, mobilisés par une cause. (Environnement, recherche médicale, cause animale…) ;
  3. Les enfants de la république qui pensent devoir leur réussite personnelle à l’ascenseur social et estime devoir restituer une partie de ce qu’ils ont reçu à leur pays ;
  4. Les entrepreneurs solidaires qui pensent que les affaires doivent intégrer une dimension sociale, culturelle ou environnementale, avec ou sans considération économique. C’est cette catégorie des entrepreneurs solidaires qui se développe le plus rapidement.
  5. 31% d’entreprises. Le reste par congrégations, les établissements de l’Enseignement et de la Recherche Publique.

Il s’agit de soutenir des projets qui aident les plus vulnérables (enfance maltraitée, personnes handicapées, personnes âgées, personnes exclues) ou qui favorisent l’accès à la culture.

La motivation peut s’arrêter là mais elle peut aussi et malheureusement trouver ses racines ailleurs.

Ainsi, une entreprise très connue de vente de vêtements fabriqués au Bangladesh dans des conditions très déplorables par de très jeunes filles sous-payées, a-t-elle créée une fondation qui ne finance que des projets d’associations locales, projets présentés par les directeurs de ses magasins. De cette manière, ces cadres peuvent, s’ils en ressentent le besoin, se déculpabiliser de participer indirectement à cette exploitation, en soutenant une association locale à caractère social.

On le voit, dans ce cas, qui n’est pas rare, ce n’est donc plus seulement la générosité ni l’incitation fiscale qui motive le don, c’est un ressort plus complexe qui est propre à chaque entreprise mais dans lequel l’économie, sinon le profit, a toujours sa place… Aucune enquête d’envergure ne confirme ce propos mais lorsqu’on sait que toutes les entreprises du CAC 40, sans exception, ont créé leur fondation, on peut légitimement penser qu’il en est ainsi pour nombre d’entre elles.

Ces fondations agissent dans plusieurs domaines :

–              24% interviennent dans le domaine de l’action sociale

–              17% dans le domaine de la santé et la recherche médicale.

–              17% dans le domaine des arts et de la culture

–              Puis… Education, Environnement, cause animale, intervention à l’étranger….

Cette philanthropie en plein essor est-elle appelée à remplacer le service publique ?

Une espérance pour certains qui considèrent que l’Etat et les collectivités locales ne sont pas assez réactifs, pas assez agiles, que leur administration est trop lourde, tandis que d’autres pensent qu’en outre, ils ne font pas les bons choix. Ils n’interviennent pas sur les besoins réels de la population parce que déconnectés de la vraie vie. Signalons que ceux-là, que l’on trouve dans le camp des partisans du libéralisme économique, le camp de ceux qui voudraient cantonner l’Etat à ses missions régaliennes, acceptent néanmoins que les pouvoirs publics financent à 60% leurs actions philanthropiques (Allègement limité à 5/1000 du chiffre d’affaire) mais leur dénient tout droit de regard, considérant qu’eux seuls ont le monopole de la définition des besoins collectifs et qu’ils doivent pouvoir disposer librement de leurs capitaux.

Mais dans une démocratie, c’est par la délibération collective, les débats parlementaires et la levée d’impôts, que cette question est tranchée. Le principe de base, c’est que la collectivité sait mieux qu’un petit groupe fortuné ce qui est bon pour l’ensemble du pays. Sinon on vit dans une oligarchie.

C’est ce que révèle une enquête de la Cour des comptes, de novembre 2018 qui rappelle que « les réductions d’impôts accordées par la loi Aillagon de 2003 a un coût, car c’est de l’argent qui n’entre pas dans les caisses de l’Etat (90 millions en 2004, 900 millions en 2017) alors même que depuis 17 ans, aucun organisme n’a été chargé d’estimer où de contrôler le coût réel de ces mesures et d’évaluer leur impact sur la société ».

Aujourd’hui et devant l’ampleur du phénomène, beaucoup d’observateurs s’accordent sur la nécessité d’encourager la philanthropie, mais en prenant toute disposition pour que son développement ne se fasse pas au détriment de l’action publique ni ne soit prétexte à une réduction de l’engagement des Pouvoirs Publics. Le risque existe. On sait en effet que bon nombre d’associations ont pu observer ces dernières années, une baisse de leurs subventions et se sont tournées vers les fondations pour tenter d’équilibrer leur budget. La question reste posée de savoir si, pour les collectivités publiques, il s’agit d’une réelle recherche d’économie ou si ce mouvement participe de la mise en œuvre d’une approche libérale de l’action sociale et culturelle.

Par exemple, en montant leurs propres collections d’art contemporain et leurs expositions, ces fondations concurrencent directement les collections des institutions publiques qui se trouvent privées des ressources financières autrefois apportées par ces grands mécènes.

Le champ de la philanthropie devrait être principalement celui de l’innovation, de l’expérimentation, de l’action dans des champs non couverts par la puissance publique, de l’intervention en situation d’urgence comme lors de catastrophes naturelles.

On le voit, la philanthropie a une dimension éminemment politique. Cette dimension est souvent discrète voire cachée mais réelle.

Notre association, qui vient d’affirmer son attachement à des valeurs fortes comme la démocratie et la solidarité, ne peut rester indifférente à ce phénomène et à ses implications.

Elle ne doit pas renoncer à cette possibilité de soutien qui lui donne des marges de manœuvre financières et un pouvoir d’agir accru mais elle doit le faire en pleine conscience, soucieuse d’éviter les ambigüités. Elle doit, en toutes circonstances, vérifier que ces partenaires occasionnels, par leur histoire et leur action, ne sont pas en contradiction avec ce qu’elle défend et fonde sa légitimité. »

Les participants remercient Francis Rembotte pour cette lecture précise et pleine d’enseignements.

Jean-Paul Demoule demande à Francis Rembotte si cette montée en puissance de la philanthropie dans le soutien aux champs de l’environnement, de la culture, du soin, de la santé peut s’expliquer par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « loi Aillagon » qui a largement réformé la fiscalité du mécénat.

Francis Rembotte répond qu’il y voit plutôt un mouvement de société plus profond, agréant à l’action philanthropique ce qui par le passé était considéré comme pré-carré de l’action publique.

Olivier Martin observe que cette période 2000-2020 a été pour l’Université française celle de la recommandation à développer des levées de fonds via fondations ad hoc au nom de l’amélioration de la qualité d’accueil et de suivi des étudiantes et étudiants, mais que cela s’est accompagné d’une baisse de l’investissement public avec aujourd’hui de gros problèmes quotidiens pour l’organisation des parcours de formation dans les meilleures conditions.

Emmanuel Paris demande à Jean-Paul Demoule si la tension entre acteurs philanthropiques et pouvoir central n’est pas à l’œuvre depuis des siècles, et si par conséquent la question de savoir si elle est une manifestation de l’actuelle évolution néolibérale de la société peut être relativisée.

Jean-Paul Demoule pense plutôt qu’une lecture historique des relations entre philanthropes et pouvoir central doit être pensée en terme de systèmes de croyance religieuse ; il y a un modèle philanthropique protestant qui n’équivaut pas au modèle catholique. L’intervention directe de l’individu dans les affaires du monde pour les améliorer et ainsi créer les conditions de son salut personnel (modèle protestant) semble prendre le dessus sur le modèle de la gestion des actions caritatives par une administration (la curie romaine).

Francis Rembotte observe que les tensions les plus palpables entre acteurs philanthropiques et puissance publique sont surtout cantonnées dans le champ de l’action humanitaire. Francis Rembotte rappelle qu’aussi puissantes aujourd’hui soient les fondations, leurs investissements sont encore largement en-deçà de ceux de la puissance publique.

Claire Oger et Francis Rembotte disent que la suppression de l’impôt sur la fortune a contribué à l’affaiblissement des dons de particuliers, et impacte sans aucun doute la marge budgétaire des fondations.

Eric Parot dit que la Fondation SEED (Schlumberger Excellence in Education Development) est l’une des premières instances de l’entreprise à voir ses budgets réduits quand la santé financière de Schlumberger Ltd. est moins bonne. Eric Parot précise cependant que les actions de la fondation permettant à l’entreprise de développer ses activités industrielles sont priorisées. Eric Parot conclue sur le fait que s’il n’est pas possible de considérer la fondation comme un outil de l’entreprise en matière de gestion et de valorisation de ses ressources humaines, il reste que la fondation permet à Schlumberger Ltd d’entretenir des liens avec des zones géographiques dont l’économie lui profite.

Francis Rembotte insiste sur la nécessité d’examiner au cas par cas les valeurs portées par telle ou telle fondation ; sont-elles en adéquation avec celles de l’association qui pense à concourir à leur appel à projets ?

Les membres du Conseil agréent cette mise en garde et remercient Francis Rembotte pour cette contribution éclairante.

III. B. Lecture de l’article « Psychiatrie : gestion de la violence ou violence gestionnaire » par Claire Oger :

Claire Oger expose aux participants ses observations et analyses :

« L’article de Yannick Gansel s’efforce d’éclairer les paradoxes relevés dans les pratiques de structures psychiatriques, mais aussi plus généralement du champ médico-social. A l’origine de la réflexion, l’apparente contradiction entre deux événements touchant une même structure (l’Hôpital psychiatrique du Rouvray) à quelques mois d’écart : une condamnation par le Contrôleur des lieux de privation de liberté d’une part (pour violation des droits fondamentaux des usagers) et d’autre part une grève de la faim, entamée par les personnels de la structure, pour protester contre les conditions de prise en charge des patients. Comment comprendre cette apparente incohérence dans le souci du bien être des patients ?

L’éclairage apporté par Y. Gansel repose sur une approche diachronique qui revient aux années 1960 : à cette époque les tenants de la « psychothérapie institutionnelle » adoptent une approche critique, analysant les formes de la violence institutionnelle dans les lieux fermés, et valorisant, contre les formes de la répression ou du contrôle qui y dominent des notions comme la « désinstitutionalisation » ou la « contenance » : cette dernière notion se comprend alors comme la capacité (d’une mère) à procurer à un enfant un environnement bienveillant où il puisse se développer harmonieusement.

Dans les institutions contemporaines, ce vocabulaire peut être encore d’actualité (comme le montrent par exemple le dernier rapport sur les droits des enfants, ou les injonctions à la « contenance » dans les institutions éducatives). Pourtant les mots ont changé de sens, compte tenu de l’évolution du contexte social et des infléchissements des politiques publiques : sont pointés plus particulièrement les injonctions croissantes à « l’autonomie » et à l’empowerment, ou encore le « virage          ambulatoire », qui conduisent à soustraire en grande partie les usagers sinon à l’action, du moins à l’environnement et à l’accompagnement autrefois procurés par les institutions.

Dans un contexte néolibéral de recul de l’État social, la désinstitutionalisation est davantage, désormais, le retrait de l’institution, et la « contenance » de plus en plus vouée à contrôler les « cas difficiles » dont le nombre en augmentation préoccupe les institutions éducatives.

Il convient donc pour Y. Gansel, non seulement de prendre en considération ces évolutions mais de plaider pour la défense d’un certain nombre de valeurs et de pratiques, qui prennent acte des droits fondamentaux des usagers tout en continuant à assumer pleinement leur prise en charge : réflexivité, maintien des savoirs cliniques, pratiques délibératives et participation des usagers y figurent en bonne place.

La lecture de Y. Gansel peut ainsi conduire à la conclusion que la violence n’est plus aujourd’hui à chercher uniquement du côté de l’emprise des institutions sur les individus, mais aussi, pour les usagers, dans les formes moins structurées de prise en charge dont ils font l’objet, et pour les personnels dans les contraintes contradictoires dans lesquelles ils se trouvent placés.

La discussion qui suit entre les participants fait apparaître différents niveaux de contradiction : entre la nécessaire individualisation des parcours et le risque de dispersion ou d’éclatement du collectif, entre l’autonomisation des individus et le maintien de règles collectives, entre les avantages du maintien en famille et les apports souvent décisifs du placement, etc. ».

Les membres du Conseil discutent des mots-clés relevés par Claire Oger, et qui sont effectivement importants à étudier pour saisir l’évolution du champ professionnel de la protection de l’enfance ; on voit à nouveau la notion de « violence institutionnelle » régir des modalités de contrôle des institutions, ceci s’accompagnant d’une transformation de l’idée de « contenance » au nom d’un mouvement de « désinstitutionnalisation » présenté comme progressiste.

Francis Rembotte observe que le recours à l’accompagnement « déambulatoire » (i.e le suivi en dehors de l’espace physique de l’institution, par exemple au domicile parental) peut être incompatible avec la restructuration d’un enfant particulièrement malmené, et ayant grandement perdu ses repères. Francis Rembotte dit que cette externalisation de l’intervention sociale, avec une prédilection pour l’aide à la parentalité, peut sur-responsabiliser les membres d’une cellule familiale pourtant affaiblie par des pratiques éducatives défaillantes. Francis Rembotte conclue que ces manières de faire manifestent un changement de paradigme qu’il nomme comme relevant de « l’injonction à l’autonomie » ; au principe de responsabilité incarné par les institutions (elles sont responsables au nom de la société de la protection des enfants) se substitue le principe de culpabilité (s’ils arrivent ces problèmes, c’est que les enfants ne savent pas se protéger et doivent l’apprendre par eux-mêmes, c’est aussi que les adultes ne savent pas protéger les enfants et doivent l’apprendre par eux-mêmes).

Claire Beugnet observe que si le mouvement de désinstitutionnalisation fut en effet manifeste ces vingt dernières années, celui-ci aujourd’hui s’atténue ; on assiste par exemple par les jugements des tribunaux pour enfants à beaucoup plus de décision de mesures de placement que de dispositifs de maintien à domicile avec intervention du travailleur social.

Claire Beugnet dit que l’aspiration à externaliser l’intervention sociale peut aussi se comprendre si l’on se réfère à la parole des enfants vivant en Maison d’enfants ; des enfants peuvent nous dire avec raison qu’il leur est difficile de vivre au quotidien avec douze autres enfants de leur groupe. La vie en collectivité, si elle peut être une dynamique permettant de reprendre confiance en soi, de se socialiser, peut être pesante et motiver les demandes de plus de moments à soi, à l’écart du groupe, avec des amis, avec sa famille.

Emmanuel Paris observe que l’idée de « violence institutionnelle » fut particulièrement mobilisée par le Défenseur des droits, à l’occasion de la parution du rapport publié en 2019.

Claire Oger et Francis Rembotte analysent cette sévérité du rapport envers les institutions publiques de la protection de l’enfance comme prise de position au moment même où la précarité augmente dans la société française, avec des budgets qui peinent à la traiter.

Henri Villeneuve voit dans cette sévérité accrue une crise de confiance entre la République et ses institutions, à l’image de la défiance accrue des citoyens envers leurs représentants élus.

Olivier Martin dit que l’idée néolibérale mériterait d’être étudiée et débattue dans le cadre d’une réunion du Conseil, car son acception selon laquelle « l’individu est entrepreneur de lui-même » (injonction à sa voir construire sa vie par soi-même) sur-responsabilise l’individu, le culpabilise, et minore le rôle des institutions dans leur capacité à aider les personnes dans l’accomplissement de leurs droits.

Olivier Martin cite l’ouvrage de Barbara Stiegler : Il faut s’adapter, et dit qu’il offrirait au Conseil une référence intéressante pour étayer cette discussion.

Claire Oger cite un autre ouvrage ressource : L’appel des appels.

Anick Traguardi-Menet et Francis Rembotte observent que les budgets alloués à la dépendance des publics dits « vulnérables » sont devenus si conséquents que les collectivités peinent à les constituer, à les développer en fonction de la demande.

Eric Parot dit que la violence institutionnelle peut, à l’image du milieu hospitalier » être générée par une rationalité gestionnaire privant les personnels des moyens nécessaires pour accompagner avec humanité les patients.

Les membres du Conseil remercient Claire Oger pour cette lecture et conviennent de consacrer une discussion à propos du néolibéralisme et ses effets sur les développements de société.

IV. Formalisation d’un questionnaire de satisfaction à l’attention des enfants et des jeunes dont la mesure éducative se termine aux Maisons :

Emmanuel Paris distribue aux participants un document de travail transmis à Claire Beugnet Par Madame Nathalie Leprêtre, directrice de la Maison d’enfants de Guizelin. Madame Leprête a accepté de partager ce document de travail, car notre association comme la Maison d’enfants de Guizelin souhaitent proposer systématiquement à la fin de leur mesure éducative aux enfants et aux jeunes des deux institutions respectives un questionnaire de satisfaction.

Le comité de direction a réfléchi à une adaptation de cet outil aux besoins de l’association, à savoir ces moments où il s’agit de dire au revoir à l’enfant, au jeune, dont la mesure éducative aux Maisons d’achève.

Emmanuel Paris distribue aux participants cette maquette de questionnaire, en précisant qu’elle privilégie les questions ouvertes afin de favoriser le dialogue entre l’enfant et l’adulte. Cette maquette se présente de la façon suivante :

« Questionnaire de fin d’accompagnement

Date :

Nom :

Prénom :

Unités ou service :

Bonjour, ceci est un questionnaire que nous proposons au moment où tu quittes nos effectifs, et dont les réponses pourront nous aider à améliorer notre accompagnement avec les enfants qui sont dans nos Maisons, ou qui y arriveront après toi. Pour chacune de ces questions, n’hésite pas à dialoguer avec ton éducateur référent, ton chef de service. N’oublie pas que chaque 2 juillet, l’association organise une fête pour se retrouver, nous espérons ta présence. N’hésite pas à nous donner de tes nouvelles.

I. Combien de temps a duré ton séjour au sein de l’établissement ?

II. Est-ce que tu te souviens de ton arrivée chez nous ?

III. Est-ce que tu te souviens de la personne qui t’a accueillie ?

IV. Quels sont les moments qui t’ont marqué au sein de l’établissement ?

V. Qu’as-tu pensé en découvrant ta chambre ?

VI. As-tu apprécié d’avoir une chambre individuelle ?

VII. Qu’as-tu pensé en découvrant la vie dans une Maison d’enfants ?

VIII. Est-ce que tu penses que ta présence chez nous t’aidera dans ta nouvelle vie ?

IX. D’une manière générale, que penses-tu de l’accompagnement au sein de la Maison d’enfants ?

Signatures :

Jeune                                                                                                                                 Educateur / Chef de service »

Olivier Martin et Claire Oger recommandent que le paragraphe introductif soit un tiré à part ; un feuillet joint au questionnaire, lequel serait une matrice d’entretien et non pas un questionnaire dont les résultats nourrissent un dispositif évaluatif.

Les membres agréent cette recommandation.

Olivier Martin dit que l’acte de signature suppose une co-écriture des réponses inscrites et se demande si cela est possible pour des enfants de bas âge. Emmanuel Paris recommande que ce moment de dialogue mémoriel rétrospectif soit mené par le chef de service et l’éducateur référent afin de solenniser son importance ; il s’agit par cette conversation en quête des souvenirs du placement de dire à l’enfant que ces souvenirs sont importants aussi bien pour l’institution que pour lui, quand plus tard il souhaitera renouer avec différents âges de sa vie.

Francis Rembotte recommande le remplacement du mot « présence » par le mot « passage » (question VIII.), Claire Oger recommande de symétriser la question IX., permettant à l’enfant de s’exprimer aussi bien d’une manière critique que positive à propos de l’accompagnement vécu durant son passage au sein des Maisons.

Les membres du Conseil agréent ces recommandations.

Emmanuel Paris remercie les participants et dit qu’il mettra à disposition des équipes ce nouveau document. Emmanuel Paris précise que ce nouveau document intégrera aussi les fiches qualité articulées au nouveau projet d’établissement.

V. Questions annexes :

Emmanuel Paris demande aux participants s’ils souhaitent des thèmes à travailler pour les prochaines réunions du Conseil scientifique.

Olivier Martin confirme l’inscription à l’ordre du jour de la prochaine réunion une lecture commentée de l’ouvrage de Barbara Stiegler : « Savoir s’adapter », et dit aussi se rendre disponible pour la troisième réunion trimestrielle du Conseil, afin de présenter son ouvrage récemment paru ; « L’empire des chiffres ».

Emmanuel Paris signale aux participants que Pierre Lemarquis est d’accord pour présenter lors de la prochaine réunion une présentation de son ouvrage à paraître : « L’art qui guérit ! ».

Emmanuel Paris demande aux participants si la rédaction d’un Programme Scientifique et Culturel des Maisons, document stratégique définissant les attendus d’une politique culturelle d’établissement et valable pour les cinq années à venir, est toujours à l’ordre du jour des activités à venir du Conseil.

Claire Oger recommande qu’au préalable soit transmis aux membres le projet associatif des Maisons, ainsi que le projet d’établissement en cours de rédaction.

Emmanuel Paris dit que ces documents seront transmis d’ici la prochaine réunion. La prochaine réunion du Conseil scientifique aura lieu le vendredi 8 janvier 2021, de 10h à 13h.

Madame la présidente du Conseil scientifique clôt la réunion.