Compte-rendu de la réunion du Conseil scientifique du 8 janvier 2016

Compte-rendu de la réunion du conseil scientifique de l’association

8 janvier 2016

Emmanuel Paris

En raison de la longueur conséquente de ce compte-rendu, nous proposons une fiche résumé de cette réunion :

Présents :

Claire Beugnet, directrice de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale », secrétaire du Conseil scientifique
Philippe Hazelart, président de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Eric Legros, vice-président du Conseil scientifique de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Pierre Lemarquis, neurologue, attaché d’enseignement d’éthologie à l’université de Toulon-La Garde
Claire Oger, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Est Créteil
Danielle Maerten, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Emmanuel Paris, directeur adjoint aux affaires culturelles de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale », coordinateur du Conseil scientifique
Eric Parot, ingénieur physicien Schlumberger Ltd, coordinateur France Fondation SEED
Noël Quéré, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale », président du Conseil scientifique de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Francis Rembotte, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Florian Sailly, représentant des enfants et des jeunes de l’association
Annick Traguardi-Menet, représentante du personnel de l’association

Excusés :

Jean-Paul Demoule, professeur des universités en archéologie, Université Paris 1
Jean-Louis Etienne, membre du Conseil d’administration de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale »
Fleur Guy, docteure en géographie, Université d’Artois
Pierre Hilaire, directeur de l’Enfance et de la Famille, Conseil départemental du Pas-de-Calais
Olivier Martin, professeur des universités en sociologie, Université Paris Descartes
Jean-François Rey, professeur honoraire en philosophie, Université d’Artois

Invitée :

Anne-Laure Poulain, artiste en résidence mission d’appui artistique aux Maisons des Enfants de la Côte d’Opale

Ouverture de la neuvième séance du conseil scientifique par son président, M. Noel Quéré.

I. Point sur la saison culturelle 2015-2016 :

Emmanuel Paris présente aux participants un point d’avancement sur la saison culturelle, en choisissant quelques temps particulièrement significatifs.

La saison, comme chaque année, a débuté à la mi-septembre avec la reprise des ateliers bi-hebdomadaires dans chaque Maison de culture de l’association. La saison a été officiellement lancée le 9 octobre, date de l’organisation simultanée de la précédente réunion du Conseil scientifique, de la fête en l’honneur de M. Legros, et du premier concert proposé par le groupe « Père et fils ».

A la mi-octobre a eu lieu le premier atelier archéologique mensuel co-développé avec l’INRAP et l’association « Les Chalcophore ». Le projet, cette saison, explique Emmanuel Paris, est de construire un four à sel sur le modèle décrit par les archéologues comme typique de la période gallo-romaine, et dont on trouvera plus de détails ici.

L’objectif est, pour chaque enfant et jeune de l’institution, de se voir remettre le 2 juillet 2016 – date commémorative de l’opération « Le petit déjeuner sous l’herbe », et rassemblement annuel avec les anciennes et les anciens de l’institution, trois pains de sel contenus dans des godets en argile cuite.

Le 21 octobre 2015, les enfants et les jeunes de la Maison de la Danse et de la Maison de la Musique ont offert à plus de 450 spectateurs une prestation sur scène de trente minutes à l’occasion de la « Journée territoriale des droits de l’enfant », organisée chaque année par le Conseil départemental du Pas-de-Calais pour honorer la convention internationale des droits de l’enfant.

Emmanuel Paris souligne la qualité de la prestation proposée par les enfants de la Maison de la Maison de la Danse et de la Maison de la Musique alors que leurs ateliers avaient repris à peine un mois plus tôt. Les organisateurs ont félicité l’institution et ont demandé sa participation à la prochaine édition, pour la cinquième année consécutive.

Emmanuel Paris informe par ailleurs les participants que cette manifestation organisée dans la salle de spectacle boulonnaise « La Faïencerie » rencontre un succès grandissant, le nombre de spectateurs quadruplant depuis la création de cette journée événementielle.

Le 1er décembre 2016, Madame Makridou-Bretonneau, responsable de l’axe « Art citoyen » pour la Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France, est venue rencontrer notre communauté éducative (enfants des Maisons, équipes, professeurs d’atelier, représentants d’institutions culturelles partenaires).

Ce mois de janvier 2016 a débuté avec une intensité particulièrement notable, puisque le 6 janvier, un casting a été organisé dans la perspective du prochain film du réalisateur Bruno Dumont. Emmanuel Paris informe les participants que M. Dumont avait sélectionné un des enfants de l’institution pour le précédent tournage ; le film « Ma Loute », qui sera présenté au festival de Cannes en mai 2016. Emmanuel Paris valorise la réactivité de l’institution et de son programme culturel, puisque les demandes pour l’organisation de ces castings ne sont, chaque fois, pas prévues dans la planification de la saison. C’est là, dit M. Paris, signe très positif de l’imprégnation profonde de l’action culturelle dans les Maisons.

Début janvier 2016 est aussi marquée par le début de la résidence-mission d’appui artistique d’Anne-Laure Poulain, résidence co-produite pour la seconde année consécutive avec la DRAC Nord Pas-de-Calais Picardie.

Emmanuel Paris propose à Anne-Laure Poulain de présenter le principe de cette résidence.

Anne-Laure Poulain informe les participants de l’intitulé de cette résidence : « Expérimentation et aventure vocales ». Les résidences mission d’appui artistique organisent la présence ininterrompue de l’artiste pendant deux mois, dans les lieux de vie de la communauté. L’artiste, selon son inspiration, capte des moments de la vie quotidienne des enfants et des équipes, et leur propose un geste créatif pour les mettre en art.

Voici ce qu’écrit Anne-Laure Poulain à ce sujet, dans un texte qu’Emmanuel Paris a demandé ainsi qu’à d’autres participants de cette réunion du Conseil scientifique pour dire leur point de vue sur les relations entre arts et éducation :

« L’expérience de l’improvisation vocale polyphonique : métaphore tangible audible et éprouvée de ma relation à l’autre, aux autres. Chanter ensemble, commencer par faire naître ce son commun que l’on nomme pâte sonore, on parle aussi de nappe, de tissus, une matière qui « prend» (comme un feu ou des œufs en neige!). Les voix qui se rencontrent font « prendre » cette matière, cela « sonne », résonne, vibre, on peut en éprouver sa densité et sa préciosité. Précieuse, oui, car elle peut retomber, s’effilocher, disparaître à l’instant même où l’énergie n’est plus là. Pour que ce son commun reste vivant, il faut en prendre soin. Ne pas lâcher l’affaire chacun est nécessaire et en est responsable Il faut y croire alors qu’on ne voit rien ! J’éprouve la vibration de ma voix à la fois à l’intérieur et décuplée tout autour de moi, j’ai besoin des autres pour que ma vibration intérieure rencontre l’extérieure et s’y appuie. J’éprouve dans un même instant l’intime et le partage. C’est une expérience du corps, il en gardera la mémoire. Cela demande la même concentration, la même écoute, la même solidarité, la même confiance en l’autre que les arts du cirque, la danse, le théâtre, la musique évidemment. Porté par les autres, je peux m’autoriser à m’exprimer, m’envoler, prendre un risque, affirmer, proposer et tenir ma proposition car l’instant d’après je sais que je serai le soutien d’un autre à qui je permettrai d’oser son envol car ma voix sera solide et cet autre sait que je serai solide. En pratiquant souvent cet échange vocal je gagne de la confiance et je l’éprouve à l’instant même. Et puis j’accepte de me laisser émerveiller par la proposition jaillissante d’un copain. J’éprouve à la fois l’élan et la limite pour qu’il y ait « musique », c’est très mystérieux. On essaie de mettre des mots sur ces moments de chant libre. On appréhende ensemble un espace poétique. En laissant l’improvisation vivre on est à la fois dans l’instant et dans la durée, on construit une histoire commune, une trame. Cela s’appelle une « composition en temps réel. » L’enjeu est de taille, mais quelle joie ! Rien n’est grave mais c’est très sérieux. »

Noël Quéré dit à Anne-Laure Poulain qu’il découvre cette formule : « matières vocales », et aimerait saisir de quelle sorte peut être cette texture à l’occasion de cette résidence artistique.

Eric Legros décrit une scène relatée par Anne-Laure Poulain la veille, alors que l’atelier de la Maison du Cirque se déroulait au café-théâtre. La petite Ashley, sur le fil de l’équilibriste, avait de la difficulté à rester en suspension, et Anne-Laure Poulain a improvisé un chant pour accompagner Ashley dans ses avancées vacillantes sur ce filin. Ashley, pendant le temps de cette vocalisation, n’est pas tombée, enchaînant des exercices qu’elle ne pouvait pas effectuer jusque-là.

Eric Legros comprend cette formule « matières vocales » à l’aune de cette expérience ; la voix chantée se déploie dans un espace collectif, et forme un environnement qui permet aussi bien à l’enfant de s’affirmer que de se sentir partie d’un tout.

Eric Legros dit que cette agrégation des talents par le geste (celui de l’équilibriste), par la voix (celui du chant), des âges (celui de l’enfant, celui de l’artiste), sont au principe même du programme éducatif et culturel « L’aventure de la vie », qui postule la mise en œuvre d’un environnement créatif, collectif, pour le grandissement de chacune et chacun.

Pierre Lemarquis confirme par la rédaction de ce petit texte à la demande d’Emmanuel Paris les principes décrits par Eric Legros :

« Les neurosciences montrent que les pratiques culturelles sculptent notre cerveau. Elles ont donc toute leur place dans l’éducation. La musique par exemple améliore les performances mnésiques et la planification des actions ce qui laisse espérer de meilleurs résultats aux examens. Elle facilite par ailleurs l’apprentissage des langues et des mathématiques. Il est prouvé que les personnages d’un roman s’incarnent dans notre cerveau et nous permettent d’expérimenter des situations nouvelles, de mieux comprendre les autres et soi-même. En élargissant notre point de vue, l’art nous permet de nous enrichir et de mieux nous intégrer au monde qui nous entoure. »

Danielle Maerten demande à Anne-Laure Poulain si elle considère son action artistique durant la résidence comme pouvant aussi relever d’une approche thérapeutique.

Anne-Laure Poulain répond que cela est possible, mais qu’il s’agit d’abord avec l’enfant de faire acte d’invention avec elle. Anne-Laure Poulain insiste sur la dimension du jeu entre elle et l’enfant ; c’est dans l’espace de ces relations ludiques que sont rendues possibles les façons d’inventer ou de réinventer la vie, les rapports au monde. Anne-Laure Poulain propose de considérer telle une « polyphonie spontanée » les moments durant lesquels les enfants et elle créeront jour après jour.

Pierre Lemarquis dit aux participants que la voix est ce qui fonde l’humain ; chaque voix est unique, il n’y en a pas deux pareils. De même, la polyphonie a une fonction civilisatrice car c’est l’art d’équilibrer les composantes, de forger un tout fait de parties chacune singulière.

Emmanuel poursuit la présentation de la saison culturelle.

Mercredi 6 janvier 2016, Claire Oger a débuté la deuxième phase de l’enquête qu’elle réalise avec Fleur Guy avec les enfants et les jeunes de l’institution.

Emmanuel Paris propose à Claire Oger de présenter quelques enseignements issus de cette nouvelle étape.

Claire Oger informe les participants qu’il s’agit cette fois-ci de proposer aux enfants et aux jeunes ayant accordé en juillet 2015 entretien, de relire avec elle la retranscription écrite de ceux-ci. Ces relectures sont organisées de manière individuée et confidentielle, et ont pour objectif d’intégrer dans la retranscription d’éventuelles reformulations ou demandes de suppression de propos que l’enfant, le jeune pourrait demander. Claire Oger informe les participants que les entretiens de juillet 2015 duraient en moyenne une heure trente, deux heures, et que cela a généré des retranscriptions écrites de plus de soixante pages, allant jusqu’à quatre-vingts dix pages pour l’une d’elles.

Claire Oger informe les participants qu’une présentation des résultats de cette première année d’étude, portant sur 7 enfants et jeunes de l’institution, sera proposée lors du colloque partie prenante des « Journées d’Enfance 2016 ».

Claire Oger dit qu’une deuxième vague d’entretiens itinérants pourrait être organisée après cette édition de notre festival annuel, par exemple entre le 8 et le 15 juillet 2016.

Claire Beugnet et Emmanuel Paris approuvent cette proposition.

Noël Quéré demande à Claire Oger quel âge ont les enfants et les jeunes participant à cette première vague d’entretiens.

Claire Oger répond qu’en concertation avec Fleur Guy, la tranche d’âge 14-18 ans a été privilégiée.

Noël Quéré demande à Claire Oger si des entretiens d’une durée d’une heure trente n’étaient pas trop longs pour les enfants.

Claire Oger répond que ce n’était pas le cas, car ces entretiens étaient itinérants et permettaient de la sorte une dynamique de prise de parole qu’un entretien en lieu clos n’aurait sans doute pas permise.

Claire Oger explique par ailleurs que le mode de la « proposition de sens » a été privilégié, permettant de relancer régulièrement la conversation avec l’enfant, le jeune (ex : « Si tu dis cela, nous comprenons cela. Est-ce cela qu’il nous fallait comprendre ? »). Claire Oger précise que cette technique d’entretien n’a pas pesé sur les propos des enfants, des jeunes (par exemple en orientant leur façon de dire), car ceux-ci réfutaient ou acceptaient très spontanément les propositions de sens faites par Fleur Guy et Claire Oger. Il en allait de même, dit Claire Oger, quant aux propositions de prises de photos au fil de l’entretien itinérant (ex : « Veux-tu prendre en photo ce lieu ? A t’écouter, nous avons l’impression qu’il t’est important »).

Danielle Maerten demande à Claire Oger comment identifier la sincérité de l’enfant dans les propos qu’il a tenus durant son entretien.

Claire Oger répond que l’intérêt n’est pas tant de savoir si les propos dits sont vrais ou faux, mais qu’ils soient dits.

Noël Quéré demande à Claire Oger si ces études menées conjointement avec les enfants et les jeunes leur ont d’ores et déjà apporté un bienfait.

Claire Oger répond que les enfants et les jeunes disent apprécier ce travail de réflexion, et le fait qu’un rapport de confiance basée sur la confidentialité soit respecté à chaque étape.

Francis Rembotte demande comment les enfants et les jeunes ont été sélectionnés pour cette étude.

Claire Beugnet décrit la méthode mise en place ; plusieurs documents ont été diffusés durant le mois de juin 2015 auprès de la communauté éducative : un document à l’attention des équipes et des chefs de service de chaque Maison, un document à l’attention de l’ensemble des enfants et des jeunes. Ceux-ci ont candidaté, et les chefs de service ont, avec la direction, recommandé à Fleur Guy et Claire Oger sept enfants et jeunes. Un troisième document a été envoyé aux parents et tuteurs légaux des enfants et jeunes concernés, leur expliquant l’étude et leur demandant l’autorisation pour que l’enfant, le jeune concerné, puisse y participer.

Emmanuel Paris demande à Claire Oger si elle veut bien expliciter quelque peu auprès des participants ce qu’elle avait repéré dans ces retranscriptions écrites ; la récurrence de lieux « contemplatifs » que l’enfant, le jeune, aime à fréquenter régulièrement.

Claire Oger dit que ces lieux constituent en effet une catégorie intéressante, choisis par l’enfant de préférence dans la nature (une plage, un vallon), à l’écart des espaces bâtis et des espaces fréquentés par d’autres personnes.

Pierre Lemarquis dit aux participants que de toutes les mémoires, la mémoire visuelle est la plus puissante. Pierre Lemarquis observe que la pensée en marchant est aussi parmi les modes cognitifs les plus anciens et cependant permanents, tant son efficacité est avérée. Pierre Lemarquis cite en exemple Aristote, qui n’hésitait pas à organiser des randonnées pour philosopher avec ses élèves.

Philippe Hazelart demande si la lecture par les enfants des retranscriptions écrites des entretiens ne risquerait pas de réactiver des traumas.

Claire Oger répond que les enfants, les jeunes, n’ont pas hésité au mois de juillet à emmener Fleur Guy et elle-même sur des lieux pourtant chargés émotionnellement.

Eric Legros dit qu’une telle marche aux côtés de l’enfant, du jeune, revisitant les lieux de son histoire, permet l’apprivoisement de ce qui a été vécu.

Noël Quéré dit que cela aide à faire son deuil.

Emmanuel Paris poursuit la présentation de la saison : Olivier Martin et Elsa Ramos poursuivront début février 2016 les entretiens avec les anciennes et les anciens de l’institution avec la venue d’Olivier Martin les 1er, 2 et 3 février 2016 pour faire entretiens. L’objectif est, moyennant plusieurs venues à Boulogne-sur-mer d’ici l’Eté, de réaliser une trentaine d’entretiens, s’ajoutant aux trois entretiens déjà réalisés.

Emmanuel Paris informe les participants qu’il est demandeur de recommandations d’anciens ou d’anciennes pour parvenir à cet objectif.

Eric Legros dit qu’il est en lien avec des anciens de la « Maison des Enfants de la Marine », mais qu’il faudra prévoir du temps pour organiser leur éventuelle rencontre avec Olivier Martin et Elsa Ramos, et que certains entretiens pourraient avoir lieu sur d’autres communes que Boulogne, telles Lille.

Claire Beugnet dit qu’il serait possible de financer les billets de train de certains anciens habitant aujourd’hui en Belgique, jusqu’à Boulogne-sur-mer pour effectuer les entretiens.

Emmanuel Paris informe les participants qu’Olivier Martin a obtenu un financement universitaire pour la retranscription des entretiens, et remercie les membres du Conseil scientifique pour leur capacité à fédérer des budgets extérieurs au service du programme éducatif et culturel « L’aventure de la vie ».

Emmanuel Paris conclut cette présentation de l’état d’avancement de la saison culturelle en informant les participants que M. Patrick Bourdet, auteur de l’ouvrage « Rien n’est joué d’avance » et Président Directeur Général de l’entreprise « Areva Med. », viendra à la rencontre de la communauté éducative le jeudi 4 février 2016.

II. Etudes et commentaires du document « Protection de l’enfance. Feuille de route 2015 / 2017 » rédigé par le Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des femmes – Secrétariat d’Etat chargé de la Famille, des Personnes âgées et de l’Autonomie :

On trouvera le contenu de ce rapport ici.

Emmanuel Paris informe les membres du Conseil que le Secrétariat d’Etat est désireux de prendre connaissance de toutes analyses et propositions permettant d’enrichir cette feuille de route. Cette proposition a été faite suite à l’audition d’Eric Parot et Emmanuel Paris au Ministère, en mars 2015, pour présenter le programme éducatif et culturel « L’aventure de la vie ».

Emmanuel Paris propose aux participants de s’exprimer sur ce document.

Eric Legros dit que ce document témoigne de la volonté de l’Etat de se prononcer sur la politique de protection de l’enfance, politique publique décentralisée portée en France par les Conseils départementaux.

Eric Legros valorise cette initiative, estimant qu’il est très important que la protection de l’Enfance soit assumée comme une politique d’Etat.

Eric Legros observe à cet égard la place dévolue dans la feuille de route au Défenseur des droits ; cette instance devient référence incontournable dans le champ de la protection de l’enfance pour garantir les droits des enfants et des jeunes. Cela constitue, dit Eric Legros, un axe majeur du texte – qui ne lui semble pas assez explicité comme tel, car l’enfant est reconnu comme une personne quand, pendant longtemps, la figure majeure était celle du parent, de la famille.

Eric Legros cite d’autres exemples issus de la feuille de route marquant cette place centrale de l’enfant considéré comme une personne juridique ; le « tiers digne de confiance », ou l’administrateur ad hoc qui représente les droits de l’enfant.

Eric Legros explicite un second point important de cette feuille de route, portant sur une meilleure articulation entre le soin et l’action sociale. Ce rapprochement des deux champs, dit Eric Legros, est particulièrement signifié dans le texte à propos de la détection de la maltraitance, avec la recommandation d’une meilleure coordination entre les médecins, les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, et l’Education Nationale. Eric Legros relève dans cette feuille de route un autre chapitre relevant de cette logique : la formation des personnels des institutions de protection de l’enfance à l’écoute des situations de maltraitance.

Eric Legros conclut cette analyse par une interrogation, que ne semble pas suffisamment prendre à son compte la feuille de route. Que mettre en œuvre pour les enfants qui n’ont pas de repères familiaux, qui n’ont d’autres repères que ceux donnés par l’institution qui les accueille ? Il s’agirait d’inventer des lieux tiers, des espaces permettant des activités temporaires, permettant à l’enfant de parler à d’autres personnes que celles de l’institution.

Francis Rembotte présente à son tour une analyse de la feuille de route.

Voici le texte que Francis Rembotte a transmis à Emmanuel pour expliciter le plus fidèlement possible l’analyse qu’il fait de la feuille de route :

« La vertu première de ce texte est de sortir la protection de l’enfance de « l’angle mort des politiques publiques ». Les objectifs poursuivis reposent sur les effets conjugués de la loi et le soutien à l’évolution des pratiques et des organisations.

Le texte propose une nouvelle approche de la Protection de l’Enfance.

  • « Protéger l’Enfant, c’est lui garantir que son environnement lui permettra le développement épanoui de ses capacités » (p.22). La priorité est en conséquence la réponse à ses besoins et à ses droits (au sens de la Convention Internationale des droits de l’Enfant) « contre la recherche systématique de la restauration du lien familial » (discours Laurence Rossignol p.27).

  • Le texte confirme la nécessité de :

– Soutenir la diversification « des modalités d’intervention » ;
– D’instaurer une mesure de suivi à l’issue du placement (action N°51) ;
– Soutenir la « prévention par les pairs », par la «solidarité de proximité » tout en précisant que « la prévention nécessite d’être présent et d’accompagner » ;
– Plaide pour une évolution de la formation des équipes et des cadres. La place de la protection de l’enfance doit être renforcée et la co-formation, professionnels-parents, doit être expérimentée.  

Questions et remarques :

  • Tout d’abord, il convient de remarquer, en le regrettant, que ce texte ne propose aucune analyse des causes du phénomène qui a amené la collectivité nationale à prendre en charge, selon l’ONED, 297 459 enfants en 2013 (141 226 en internat, 156 233 en milieu ouvert) pour un coût total de 7 milliards d’euros.
    Tout se passe comme si la collectivité avait renoncé à agir sur ces causes, probablement considérées comme hors de portée d’un quelconque programme politique.

  • Le projet de loi a été adopté par l’assemblée nationale en Mai 2015 et par le Sénat en Octobre 2015. S’agissant d’un texte portant sur la période 2015-2017, il serait intéressant de savoir quelle fut la position de l’opposition au cours de ces votes afin de mesurer les risques de remise en cause en cas d’alternance politique en 2017.

  • Le projet suppose des moyens supplémentaires pour la mise en œuvre de certaines dispositions comme celles concernant la prévention, pour laquelle il faut de « la présence et de l’accompagnement » et la formation. Les Conseils Départementaux sont-ils prêts à ces efforts financiers ou faudra-t-il faire mieux avec les mêmes moyens ?

  • A plusieurs reprises, le texte prévoit la création de commissions, d’instances spécifiques, de protocoles, de procédures, d’outils partagés, de contrôle… Ne risque-t-on pas d’alourdir encore les contraintes administratives au détriment de la présence auprès des jeunes concernés et de remplacer les réponses éducatives spontanées au profit de l’application mécanique de procédures généralisées ?

  • Si le texte encourage la diversification des modalités d’intervention, il ne dit rien de la place de l’internat classique dans ce dispositif.

  • Un paragraphe est réservé aux jeunes majeurs et prévoit un « entretien obligatoire un an avant la majorité », un « pécule égal à l’allocation de rentrée scolaire », un maintien de la prise en charge jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours » et invite les équipes à « mieux préparer les jeunes à l’autonomie » et à les « orienter vers les dispositifs de droit commun ».
    Si l’ensemble de ces mesures risque d’atteindre l’objectif économique, il paraît impropre à permettre à la plupart des jeunes concernés une insertion sociale et professionnelle satisfaisante.
    Rappelons que selon la revue «  Economie et statistique N° 337 », seuls 41 % des jeunes de 18 à 29 ans sont autonomes et que l’âge moyen de sortie du foyer familial est de 23 ans. Or il s’agit là de statistiques concernant l’ensemble des jeunes et non pas des jeunes de nos institutions. Ne faudrait-il pas donner plus à ceux qui ont eu moins ? ».

Claire Oger dit que cette feuille de route est très intéressante, car elle annonce l’existence de la loi, c’est-à-dire un texte cadrant, un texte diapason, ce qui permet précisément de contenir l’hétérogénéité des politiques décentralisées.

Claire Oger soulève cependant un paradoxe, très courant dans les politiques de communication publique. Si, d’un côté, la feuille de route ouvre sur l’objectif de sortir la protection de l’enfance de l’invisibilité dans laquelle elle se trouve, les outils d’information prônés en “annexe II” du document ne semblent pas suffisants pour y parvenir. Ceux-ci – bien souvent des plaquettes d’information destinées à sensibiliser les acteurs du champ à l’évolution de la loi -, présupposent en effet un public initié qui n’est donc pas le grand public.

Claire Beugnet observe que la protection de l’enfance reste à ce jour la politique publique décentralisée la moins connue, car la moins mise en visibilité. Se référant aux dernières campagnes électorales pour le renouvellement des Conseils départementaux, Claire Beugnet dit que de toutes les attributions des Conseils départementaux, l’Aide Sociale à l’Enfance est la première d’entre elles, mais qu’elle n’a fait néanmoins aucune mise en débats dans les médias ou entre candidats.

Francis Rembotte dit que la protection de l’enfance est en effet un tabou en France et en voit trois raisons principales :

  • C’est le symptôme d’une société malade, laquelle préfère par conséquence la dénier ;

  • La vulnérabilité du handicap intéresse plus la société française que la vulnérabilité éducative, car si la maladie peut toucher directement chaque famille, l’accès à la citoyenneté n’est pas aussi tangible ni considérée comme aussi important ;

  • Le secteur de l’aide sociale à l’enfance dans les conseils départementaux n’est pas pris au sérieux, quand bien même il constitue leur plus gros budget.

Pierre Lemarquis observe que la politique de prévention de la maltraitance pourrait être problématique car il est demandé aux médecins de faire des signalements, ce qui peut apparaître en contradiction avec le secret médical.

Claire Beugnet indique que le secret médical ne se pose pas en pour les situations de danger avéré (par exemple : maltraitance corroborée par des écrits des services de l’Aide Sociale à l’Enfance, un dossier médical présentant une récurrence de symptômes dus à des chocs physiques, etc.).

Claire Beugnet convient cependant que, dans la grande majorité des cas où il n’existe que des suspicions, la question soulevée par Pierre Lemarquis peut être réellement problématique pour les médecins.

Eric Parot dit qu’en ingénierie, on ne commence pas le travail tant qu’on n’a pas identifié les causes d’un phénomène. Or, observe Eric Parot, cette feuille de route marque une très grande importance sur les symptômes de l’enfance en danger.

Anick Traguiardi-Menet dit qu’il faudra un financement conséquent dédié à la formation des personnels éducatifs des institutions car la feuille de route prône un changement de mentalité.

Danielle Maerten exprime sa crainte de voir la portée de ce texte édulcorée par le manque de financements dédiés à sa mise en œuvre.

Eric Parot observe que la pluridisciplinarité prônée dans la feuille de route, soit pour mieux identifier les symptômes de la maltraitance, soit pour améliorer l’accompagnement des enfants, soit pour accroître les savoirs à propos du thème de l’enfance, ne peut véritablement porter ses fruits qu’à la condition d’une langue commune, d’une capacité des uns et des autres à se comprendre et dialoguer au-delà de leurs ancrages institutionnels ou disciplinaires. C’est donc moins de la pluridisciplinarité dont il est question, dit Eric Parot, mais de la transdisciplinarité.

Eric Legros insiste sur la nécessité pour le grandissement de l’enfant de multiplier les rencontres avec des personnalités issues d’une grande diversité de champs professionnels, de disciplines artistiques ou scientifiques, et estime que, de ce point de vue, la feuille de route reste encore trop timorée.

Pierre Lemarquis confirme que l’altérité est un point d’appui déterminant pour la construction des identités. Ainsi, explique Pierre Lemarquis, les souvenirs de voyages sont les souvenirs les plus cités par les personnes à qui l’on demande un récit mémoriel.

III. Point sur l’état d’avancement du soutien accordé par la Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France au programme éducatif et culturel « L’aventure de la vie » :

Emmanuel Paris informe les participants que la Fondation Daniel et Nina Carasso sous l’égide de la Fondation de France, qui soutient le programme éducatif et culturel « L’aventure de la vie » de notre institution, va examiner en janvier 2016 un renouvellement de ce soutien pour les trois années à venir, dans le cadre des « projets pilotes ».

Emmanuel Paris informe les participants que, dans l’éventualité de l’acceptation par la Fondation du principe de ce soutien pluriannuel, il sera demandé à l’institution un programme d’actions sur les trois prochaines années.

Emmanuel Paris explique qu’en raison du calendrier institutionnel, il ne faut pas attendre l’information confirmant le principe de ce soutien car très vraisemblablement la formulation du programme d’actions devra être rédigée avant les prochaines échéances (réunions trimestrielles des comités de pilotage et du Conseil scientifique, lesquels se réuniront pour leur prochaine séance au mois d’avril 2016).

Emmanuel Paris explique que, pour cette raison, les comités de pilotage organisés au mois de décembre se sont exprimés sur cette opportunité :

  • En sciences, il serait possible d’organiser une résidence archéologique, sur le modèle des résidences artistiques co-produites avec la DRAC Nord Pas-de-Calais Picardie ;

  • En expositions, le Musée programmera la culture Sugpiaq en 2016 et Napoléon à Boulogne-sur-mer en 2017 ; le FRAC Nord Pas-de-Calais peut accompagner notre institution sur les axes arts / sciences et outils numériques facilitant l’accès à la culture ;

  • En patrimoine, la volonté des équipes est de développer un lieu dédié, permettant l’accès et la consultation des archives photographiques pour les anciennes et les anciens de l’institution (Refuge Sainte Anne / FEDCOP et Maison des Enfants de la Marine) ;

  • Pour le pôle international, il s’agirait de développer les infrastructures au Burkina Faso pour que des outils éducatifs et culturels pérennes puissent être mis au service des jeunes venant chaque année dans le cadre du service « Itinérance ».

Plus d’informations sur ces comités de pilotage de décembre 2016 ici.

Francis Rembotte dit la nécessité de bien insister auprès de la Fondation Daniel et Nina Carasso sur les hypothèses de départ, matrices du programme « L’aventure de la vie ». Celui-ci est profondément innovant dans le champ de la protection de l’enfance, car il concourt au développement personnel de l’enfant, facilite l’accession à la citoyenneté, fait de l’enfance la question de tous, intronise les enfants acteurs culturels, forces de proposition du territoire.

Danielle Maerten dit qu’il serait peut-être souhaitable de travailler avec d’autres associations napoléoniennes, et pas seulement avec celle de Boulogne-sur-mer, à l’occasion du partenariat avec le Musée de Boulogne-sur-mer en 2017. Danielle Maerten dit connaître des membres de l’association belge de Waterloo, bien plus précise et organisée pour la médiation culturelle en matière d’histoire et de mémoires napoléoniennes, et se déclare disponible pour intercéder auprès d’elle afin que les enfants puissent profiter de leurs savoirs et savoirs faire.

Eric Parot dit qu’à ce propos, il serait possible d’inviter Olivier Renaudot, conservateur du patrimoine au Musée des Invalides, pour qu’il explique aux enfants les techniques et les mentalités à l’époque napoléonienne.

Eric Parot conseille de profiter de l’éventuelle soutien triennal de la Fondation Daniel et Nina Carasso pour développer des projets culturels hybridant plus encore les arts et les sciences.

Eric Parot propose par ailleurs à l’institution de présenter à la Fondation Daniel et Nina Carasso le projet « Fablab », détaillé au Conseil scientifique lors d’une précédente réunion. Plus d’informations sur ce sujet ici (chapitre « Point sur le projet de création d’un « Fab Lab MECOP » et l’organisation des « Conférences du jeudi »).

Emmanuel Paris dit que la venue de Patrick Bourdet, PDG d’Areva Med., le 4 février, pourrait permettre d’avancer sur le versant « outil d’insertion professionnelle » du Fab Lab.

Pierre Lemarquis dit qu’il n’est pas fan de Napoléon, mais de Bonaparte. Pierre Lemarquis propose cependant de faciliter la mise en relation entre notre institution et des historiens corses afin de proposer aux enfants des récits sur l’enfance de l’empereur.

Pierre Lemarquis approuve la proposition d’Eric Parot à propos des hybridations culturelles arts / sciences.

Eric Legros propose que l’éventuel soutien de la Fondation Daniel et Nina Carasso soit notamment consacré au développement du service « Itinérance », et particulièrement le renforcement des liens entre deux associations partenaires et amies franco-burkinabé : Kuru Kofe et Sitala. Cette collaboration accrue des deux associations pourrait avoir lieu, dit Eric Legros, à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, là où les jeunes viennent depuis plusieurs années déjà dans le cadre d’Itinérance.

Eric Parot demande si le principe d’un Itinérance « inversé » pourrait être exploré. Selon ce scénario, des jeunes du Burkina viendraient en séjour de 110 jours aux Maisons des Enfants de la Côte d’Opale.

Danielle Maerten dit qu’en effet un savoir-faire pour l’accueil et le dialogue interculturel avec les enfants émerge dans le territoire. Danielle Maerten cite l’association pour laquelle elle agit : « SOS villages d’enfants », qui a créé un village des enfants dans le bidonville dit « La jungle », à Calais.

Eric Legros dit que cette relation privilégiée peut aussi profiter de l’utilisation par l’institution d’outils de communication permettant la présentation par les enfants d’ici et de là-bas de leurs œuvres, par exemple la vidéoprojection en direct d’un concert, d’une chorégraphie. Eric Legros cite l’événement organisé à la Ferme de Bertinghen en 2012 : « L’heure bleue ». Plus d’informations sur cette manifestation à la fois à Boulogne-sur-mer et au Burkina Faso ici.

Anne-Laure Poulain signale que le 5 février à Dunkerque sera présentée la pièce de Shakespeare : « La tempête », montée par un collectif artiste de Ouagadougou.

Emmanuel Paris remercie les participants pour ce brainstorming et dit qu’il tiendra le Conseil scientifique informé dès que de nouvelles informations parviendront de la Fondation Danielle et Nina Carasso.

IV. Questions annexes :

Emmanuel Paris demande aux participants de décider ensemble d’une date pour le colloque et la réunion plénière du Conseil scientifique lors des « Journées d’Enfance 2016 ». Le festival, cette année, aura lieu du 2 au 8 juillet ; le rassemblement des anciens sur le site du « petit déjeuner sous l’herbe » ouvrira le festival le 2 juillet, et le spectacle le clôturera le 8 juillet.

Les participants décident que la réunion plénière du Conseil scientifique aura lieu le jeudi 7 juillet matin, et le colloque le 8 juillet en journée.

Eric Parot informe les participants qu’en raison des attentats de novembre 2015, l’entreprise Schlumberger Ltd a demandé à ses employés de ne pas voyager en France. Pour cette raison, dit Eric Parot, les ateliers organisés au Centre de Jour dans le cadre du partenariat avec la Fondation SEED, ne pourront avoir lieu cette saison.

Florian Sailly dit regretter que les ateliers de la Fondation SEED ne puissent se tenir cette saison au Centre de jour.

Emmanuel Paris présente la date de la prochaine réunion du Conseil scientifique : le 22 avril 2016, de 10h à 13h.

Noël Quéré, président du Conseil scientifique, clôt cette neuvième réunion.