Rémy, artiste régulièrement apprécié des enfants et des équipes pour ses belles envolées dans le cadre de notre programmation annuelle au Café-théâtre Michel Lafont, nous envoie ce texte, écrit hier.
En période de confinement, au delà des écrans, tractations et informations, il s’agit aussi de s’offrir quelques distractions.
La fenêtre du deuxième étage où j’habite s’ouvre les toits voisins.
Des toits tuilés, une infinité de tuiles sur une mer de toits.
Il m’évoque souvent l’océan de pins que l’on peut contempler du sommet de la dune du Pyla.
Bref, même s’il est d’apparence banale, il est aussi source d’évasion souriante.
Tiens… sur une tuile, j’aperçois un pigeon, en pleine méditation.
Je m’y attarde.
Et peu à peu, songeant… J’en arrive à l’envier,
Oui l’envier de pouvoir rester des heures tranquille à méditer sur un toit, puis à déambuler, voire voler… le tout sans ausweis ni attestation.
Me voilà à me rêver pigeon.
Il le sent, nos yeux se croisent.
Cela dure un bon moment.
Puis tout bascule. Il m’alpague : « Dis donc, bonhomme, je n’y comprends rien : que se passe-t-il chez les humains ? C’est le printemps, vous avez une heure de plus de soleil le soir, il fait beau… Et pourtant, vous restez cloîtrés chez vous, vous sortez une fois par jour, les yeux exorbités d’écran, vous vous tenez à distance les uns des autres, vous portez des muselières… et pourtant, vous êtes souvent accostés par des hommes en bleu, à qui vous tendez un mouchoir blanc. On en cause, entre pigeons, et on n’y comprend rien… »
Je souris et savoure : c’est la première fois de ma vie que je comprends la langue des roucoulements.
Alors je tente de lui répondre dans la mienne, en français, on ne sait jamais. Car à un moment où tout devient impossible, peut-être que le dialogue avec un pigeon le devient.
Après tout, je le suis aussi, pigeon de cette farce.
Je lui rétorque : « Dis-moi, un troc de peau d’une heure, ça te dirait ? »
Il comprends, me répond, je comprends et le dialogue est lancé :
– Un troc de peau ?
– Oui, je prends la tienne, tu prends la mienne
– Pour toujours ?
– Non, pour une heure, une heure seulement
– Pourquoi ?
– C’est la durée maximale autorisée par la loi
– Ah…
– Oui, J’ai le droit de me transformer en pigeon pendant une heure, chaque jour, le temps du confinement.
– Ah…
– Et pendant cette heure, dans ma peau, tu gardes l’attestation avec toi, pour les contrôles de police et gendarmerie. Ils sont au taquet ces temps-ci
– Ah…
– Alors, t’es d’accord ?
– Mais je fais quoi, moi, dans ta peau, pendant une heure, avec une attestation ?
– Ben… tu te promènes, tu restes à deux mètres de chaque être humain, tu ne touches pas une porte, pas un objet. Tu ne parles à personne, tu ne mets jamais ta main à la bouche ou près de ton visage, et tu t’asperges toutes les 10 minutes les pognes avec du gel qui est dans ma poche
– Ce n’est pas très drôle…
– C’est vrai. Mais c’est juste une heure…
– Bon, d’accord. Une heure, pas plus.
– Pas plus, promis.
– Et demain… pour ton troc de peau… tu demanderas au chat
– Ok, demain, je demanderai au chat
– Et après demain, à l’abeille. Elles commencent à arriver
– Ok, je demanderai à l’abeille
– Et après, après demain…
– Stop. Restons déjà à aujourd’hui.
– Ok
… Et je suis devenu pigeon, l’espace d’une heure, libre sur les toits, libre dans les airs.
Pour eux, c’est la période des amours, en joyeux printemps.
Je ne vous raconterai pas tout ce que j’ai dû faire.
Mais comme un bal perdu, juste après la guerre… c’était bien.
Quand je suis revenu à ma peau, le pigeon m’a dit :
« Elle est pas belle la vie ? »
Et il m’a fait un clin d’œil.
Rémy Boiron