Rémy, artiste régulièrement apprécié des enfants et des équipes pour ses belles envolées dans le cadre de notre programmation annuelle au Café-théâtre Michel Lafont, nous envoie ces textes enjoués, écrits ces derniers jours. Grand merci cher Rémy, au plaisir de te retrouver pour s’aventurer avec toi sur les chemins espiègles des arts du récit.
Je vous envoie des “nouvelles en chantier”.
Lors du confinement, j’ai partagé avec deux des ateliers d’écriture que j’anime, la construction de nouvelles ou contes.
L’ordre d’écriture était tiré au sort, dix lignes maximum, et un rythme quotidien de relais.
Elles ne sont pas encore finies, mais vous pouvez en imaginer la fin.
Rémy
Il était une fois un tout petit pays au bout du bout du monde.
Les habitants étaient eux- même si minuscules que le commun des mortels ne pouvait pas les voir. C’est un explorateur qui avec un microscope très puissant a entrevu l’existence de ce monde incroyable, bien réel mais inatteignable avec nos sens habituels.
Il pouvait capter des fragments de ce monde : ici un pied d’une finesse inégalée ( la cheville, la voûte plantaire, les 5 orteils : une pure merveille), ailleurs un visage , toujours rayonnant, ou encore une barque au bord d’un lac…..
Le problème était que dès qu’il voulait entrer plus loin dans ce pays, celui-ci disparaissait. Comment avoir accès à ce monde invisible dont le peu que l’on avait vu semblait très excitant, prometteur..
Quel mystère, les hommes devenaient fous de ne pas en savoir plus, tout le monde en parlait.
Et le temps passa…
Jules et Joe tenaient en mains l’unique article publié par le savant cent ans auparavant sur ce tout petit pays habité par un tout petit peuple au bout du bout du monde. Sur le tapis, l’atlas de son auteur, déjà bien usé, annoté par lui, quelque peu déchiré même par endroits, ouvert à la page 360 000, celle du bout du bout du monde…
• Jules, on part quand ?
• Joe, tu es prête ? Si on partait dans la nuit de …
Ils décidèrent de tirer au sort et la flèche se planta dans l’étoile des jours et des planètes sur JUPITER JEUDI …
Des mois avaient passé, bouillonnants de rencontres, lorsqu’ils s’assirent, et posèrent leurs sacs par une nuit sans lune, à la frontière indiquée sur la carte, celle du Tavukoa, but de leur incroyable voyage.
Ils la traversèrent. Et là… Jules et Joe réalisèrent peu à peu…
Cet arbre immense à insolite tige verte, couronné de gros pétales blancs, sous lequel ils se trouvaient… C’était en fait une paquerette géante !
Cette énorme bulle d’eau qui glissait lentement le long de ses flancs… C’était une inexplicable et gigantesque goutte d’eau !
Ces innombrables lames de dix mètres de haut qui les entouraient, à teinte chlorophylle, et plissées au milieu… C’était des brins d’herbes baobabs !
Bref, l’air de rien, Jules et Joe réalisèrent qu’ils étaient devenus petits, tout petits, … Ou alors qu’ils étaient restés normaux et que Tavukoa était un monde géant. Comment savoir ?
Ils s’assirent quelques minutes pour se remettre de leur étonnement, et ils en profitèrent pour casser la croûte. Pendant leurs long mois de pérégrinations, ils avaient découvert beaucoup d’aliments étranges, notamment des légumes gros comme leurs poings,parfaitement rond, de couleur orangée qui se rapprochaient du goût de la salade, en plus salé.
Après leur collation, Jules et Joe repartirent de plus belle. Ils observaient la flore avec émerveillement, apparentant telle plante à un coquelicot, telle autre à un bouton d’or et, tient… celle-ci ne ressemblait-elle pas à une violette?
Ils aperçurent soudain à quelques mètres devant eux un espèce d’immense serpent marron, long et visqueux qui s’enfuyait à toute vitesse en rampant.
Ils restèrent de longues secondes à l’observer passer et furent surpris par un bruit de cavalcade.
Vite ils se cachèrent derrière des grand brins d’herbes et virent passer un étrange cortège: des êtres, ils n’arrivèrent pas à distinguer si c’était des hommes ou des femmes, peut-être les deux, la peau d’un violet profond, les cheveux jusqu’à la taille, poursuivaient la bête visqueuse.
Ils portaient de longs pics à la main et leur meneur était monté sur une sorte d’insecte monstrueux tout noir, avec des mandibules.
Ils passèrent en courant, sans remarquer Jules et Joe qui s’étaient faits tout petits dans leur cachette…
Déjà, nul doute pour Jules et Joe qu’ils avaient la même taille que les habitants du pays qu’ils avaient vu passer. Ils étaient donc devenus tout petits en entrant dans Tavukoa. Ils avaient accepté ce risque en venant. Ils se dirent qu’ils avaient été « cliqués » comme les lettres sur l’ordinateur que l’on grossit ou diminue à souhait.
Une idée surgit dans leur tête : était-ce possible qu’ils aient été « diminués » par un acte technologique ? Ils choisirent d’en sourire. Heureusement, la « police des lettres » était la même, ils avaient les mêmes proportions, les mêmes formes, ce qui leur donna à plaisanter.
Cela ne changeait rien à leurs sensations internes, mais tout dans leur vision de ce nouvel environnement était sidérant. La végétation était vraiment immense. Il faudrait des journées sans doute pour ne plus s’en étonner.
Ils décidèrent d’aborder les Tékis, habitants de Tavukoa, à leur retour de ce qui semblait être la chasse. Comment allaient-ils réagir ? L’explorateur avait écrit « toujours rayonnants, les visages » . L’excitation les habitait à la minute, mêlée à un brin de crainte bien naturelle.
Jules et Joe sortirent de leur cachette, et suivants les traces et déjections laissées par le Gawana (l’insecte monstrueux tout noir sur lequel le meneur menait), ils arrivèrent au village des Tékis de Tavukoa, qui étaient déjà en pleine préparation de repas, dépeçant la bête visqueuse enfin capturée, et la saupoudrant de Boligoums (les légumes gros comme le poing, orangés, déjà cités) tandis que le Gawana paissait tranquille en son enclos.
Au début de la rencontre surprise, il y eut un long moment de silence. Autant Jules et Joe que les Tékis étaient pétrifiés. Même le Gawana restait interloqué, figé. Un monde comme celui de l’écran lorsque l’on appuie sur pause.
Et puis, allez savoir pourquoi, un enfant Téki se mit à courir en tous sens, animé de formidables éclats de rire. Un second suivit, puis un troisième…
Tous les enfants riaient, couraient tout en se rapprochant de Jules et Joe. Ces nouveaux arrivants les mettait en joie. Ils étaient beaux avec leurs cheveux longs et leur peau d’un violet profond, Ils étaient vêtus de tuniques écrus qui leur laissaient une grande liberté de mouvement.
Jules et Joe commençaient à se détendre et à sourire.
Les enfants s’extasiaient de leur peau rose, de leurs cheveux courts et de leurs habits sophistiqués.
Une femme s’approcha et les invita à entrer dans leur territoire. Un miracle : la langue était semblable. Elle leur dit ceci :
« Bienvenue, nous vous attendions depuis très longtemps. Les peuples de la grande terre sont restés hermétiques à notre existence et se sont perdus. Nous savons la situation catastrophique dans laquelle ils se sont englués et leur détresse. Une autodestruction permanente…. »
Merci, merci répondirent en chœur Jules et Joe. Joe prit la parole :
Nous sommes très heureux de vous rencontrer et très impatient de découvrir votre univers.
Tant de mystères….. Comment notre métamorphose a-t-elle été possible ? Avez-vous des réponses ou tout cela est-il dû à des manipulations machiavéliques ? Je ne comprends rien dit-elle avec brusque accès de frayeur. Tout à coup, elle devient très blanche et s’évanouit. Jules a juste le temps de l’accueillir dans ses bras.
« Qu’a-t-elle ? Qu’a-t-elle ? » S’interrogent les Tékis, en courant en tous sens. Ils n’avaient jamais assisté à cela : une perte de connaissance, une absence… « Qu’a-t-elle ? ». Ils tournent et tournent, et peu à peu la couleur de peau de chacun d’entre eux se modifie. Certains deviennent rouges, d’autres orangés, d’autres jaunes ou verts, ou bleus, ou indigos. Seuls les enfants restent d’un immuable violet de couleur de peau.
Puis, de manière naturelle, ils se disposent en arc de cercle autour de Jules, tenant Joe dans ses bras. Les enfants, violets se placent devant en premier arc, en second les adultes à peau devenue indigo, en trois ceux en bleu, en quatre ceux en vert, en cinq ceux en jaune, en six ceux en orangé, et en sept ceux en rouge.
Ils forment ainsi… les couleurs d’un arc en ciel.
Puis on entend un chant qui monte de leurs poitrines, doux, magnifique. Joe se sent bercée, et elle ouvre les yeux.
– Je suis chamboulée, excusez-moi. Quelque chose est en train de lâcher en moi.
– Tu te sens mieux ? dit une femme. Je suis Luce, et vous ?
– Jules et Joe, répondent-ils ensemble.
Une question, dit Jules : Comment êtes-vous arrivés ici, vous et vos familles ?
– Un rêve pour ma part, dit Luce. J’ai rêvé, il y a longtemps, que je devais choisir : être visible dans une vie compliquée, ou être invisible et parfaitement heureuse. J’ai choisi dans mon rêve, et je me suis réveillée ici, minuscule, invisible. Et j’ai connu le bonheur, et Léo.
-Bonjour,dit Léo. En fait, pour chacun d’entre nous, nos arrivées ont été différentes : pour ma part un trop grand désespoir m’avait envahi et je me suis réveillé ici. Depuis je n’ai plus jamais ressenti aucune tristesse. Mais tu sais, ici, chacun est libre de dire ou pas comment et pourquoi il est arrivé. N’en parlons plus, il faut que tu te reposes Joe!
Entouré de tous les enfants trépignants et rieurs, Lya, qui les avait accueilli, les mena jusqu’à une hutte en branchage de forme arrondie, recouverte de pétales de fleurs multicolores.
Ils y pénétrèrent et la fraîcheur qui y régnait leur fit le plus grand bien.
Joe s’allongea sur une sorte de molleton et Jules s’assit en tailleur à côté d’elle.
Deux Tékis vert clair d’émotions leur offrirent plusieurs bols.
Une fois apaisés et repus, les Tékis offrirent à Jules et Joe un spectacle extraordinaire : deux jeunes femmes tékis, virtuoses de la danse acrobatique et dénommées Cathecole et Nicorine enchaînèrent sous leurs yeux ébahis pirouettes, contorsions, bonds gigantesques, portés d’une incroyable complexité à la limite du déséquilibre, danse endiablée les pieds en l’air en équilibre terrestre sur un seul doigt d’une seule main, triples saltos arrières sans élan, vrilles à la vitesse du son engendrant des « Bang ! Bang ! » à répétition, et surtout, le clou du spectacle : apparitions, disparitions et réapparitions grâce à un don inimaginable. Cathecole et Nicorine étaient capables d’aller plus vite que la lumière. Plus vite que la lumière !
Aussi, Jules et Joe demandèrent à Luce : « Mais… comment font-elles ? »
Nouvelle 2 :
Nathalie, Martine, Florence, Rémy, Monique, Sylvain, Annie, André, Anne-Marie
Monique, Rémy, Sylvain, Martine, Nathalie, André, Florence, Anne-Marie, Annie
Nathalie
Elle marchait vite, tête baissée, dans les rues encore désertes. Malgré le froid qui piquait la peau en contact avec l’air, elle était en nage. Les mains profondément enfouies dans les poches de son blouson, elle avançait à grands pas en s’assurant par de multiples détours que personne ne la suivait. La cloche de l’église du quartier marqua six heures trente. Arrivée devant la devanture de la boulangerie qui jouxtait l’entrée du couloir menant à son appartement, elle jeta un dernier coup d’œil derrière elle. À l’exception d’une vieille dame qui promenait son chien, la rue était vide. Rassurée, elle poussa la vieille porte à la peinture écaillée et monta rapidement jusqu’au troisième étage. Quelques minutes plus tard, un mug de thé brûlant à la main, elle fixait, incrédule, la petite boîte en bois d’olivier posée sur la table juste devant elle. L’objet de sa quête nocturne. Celui qui occupait ses pensées depuis bientôt six mois.
Martine
Le thé la réchauffa et lui procura réconfort et apaisement passagers. L’urgence : Faire un état des lieux comme lui avait appris son métier d’agent immobilier.
La découverte de cette boîte la préoccupait depuis des mois et perturbait ses nuits. Mais en quoi représentait elle une menace, un danger ?
Ses insomnies se multipliaient et le souvenir prégnant de ses cauchemars, hantait ses journées.
Un rêve affreux revenait l’assaillir avec la régularité d’un métronome :
La boîte en bois, comme saisie de folie, enflait, se tordait, se disloquait pour se recouvrir d’un magma infâme, collant, brûlant comme surgi d’un volcan,
Immonde de puanteur dans lequel ses pieds englués la maintenaient captive.
Ses propres cris la réveillaient déclenchant d’autres peurs bien conscientes face à la présence de la boîte sur la table de nuit.
Ne l’avait-elle pas enfermée la veille, dans le placard à balais ?
Florence
Quelqu’un était donc venu ? Qui ? Mais non ! Rien de tout ça. C’est encore elle. Elle qui n’est plus maître de ses actes.
Tout a commencé l’été dernier chez Willy Gostt
Invitée aux mondanités annuelles à la villa Crimi, Solenn se réjouissait d’y retrouver ses amis.
Mais cette fois, elle ne se laissa pas griser par les rires et les spiritueux. Saisie de froid au beau milieu de la canicule, elle s’isola dans un petit salon à l’arrière de la villa. Ce lieu l’enveloppa d’un charme.
Elle fut prise d’une irrésistible envie de voler.
Le regard convoitant, elle déroba une authentique tabatière marquetée.
De retour dans le mondain, elle profita absolument de la fête.
Désormais, le besoin de s’approprier boîtes, nécessaires, jolités, ne la quittait plus. Elle œuvrait la nuit.
Déjà trente-quatre larcins.
Mais qui est Solenn?
Rémy
Oui, qui est Solenn ? Elle même se le demandait. D’où lui venait cette insolite et irrépressible pulsion de cleptomanie de boîtes, oui, de boîtes, quels qu’en soient forme, contenant, contenu. Boîtes. Au fond, l’été dernier, chez Willy Gostt, ce premier vol n’était qu’un signe, LE signe d’un mystère ancestral et profond. L’iceberg révélait une face émergée, enfin visible. Boîte… Solenn réalisa alors qu’elle même travaillait dans une boîte, agence immobilière, qui faisait visiter et vendait maisons et appartements… qui au fond sont… des boîtes. Pourquoi ?
Monique
Son psychiatre, à sa dernière séance l’avait convaincue de faire des recherches généalogiques. ” Dans les cas de compulsions maniaco -psychotiques, il n’y a qu’une thérapie : Le retour en arrière dans votre ascendance, il y a souvent beaucoup de non-dits dans les familles !”
Alors Solenn, se plongea tête baissée dans Geneanet. Très vite, elle trouva des éléments intéressants qui corroboraient les hypothèses de son psychiatre.
Dans une lignée maternelle, elle découvrit avec stupeur qu’une branche de celle -ci avait depuis 1802 travaillé dans une conserverie, particulièrement dans la mise en boîte des sardines au Guilvinec.
Une autre, encore plus problématique aurait exercé une activité dès 1968 dans des lycées privés, des boîtes à bachot !
Et, pour finir, et pas la moindre, des aïeuls dès 1789, côté paternel auraient exécuté des ” tâches ” ou des ” lâches “, ou des ” vaches “. Impossible à lire dans les registres paroissiaux. Soleen, décontenancée, ne savait vers quelle voie se tourner, mais c’était sans compter……
Sylvain
C’était sans compter Huguette, une vieille dame qu’elle avait croisée le jour même du côté de la boulangerie. Huguette ne sortait jamais sans son parapluie et son chien, une frêle créature dont l’apparence se situait entre le ragondin et le chiwawa pas bien séché.
Pourtant malgré sa dégaine de vieille fille sur le retour, la réputation d’Huguette et de son inséparable bâtard (nommé Sultan) dépassait amplement le périmètre du quartier. En effet, Huguette pratiquait la zoothérapie mentale et grâce à son talentueux Sultan, elle avait sorti d’affaire bien des cas désespérés. Pour n’en citer que quelques-uns : TIC (Tics Irrépressibles et Cocasses), TAC (Trouble de l’Adolescent Confiné) , TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif) et même un cas rare de cleptomanie délirante, un retraité de la métallurgie dont l’idée fixe était de dérober la Tour Eiffel.
Huguette et son génial corniaud étaient peut-être son seul salut, elle devait donc les retrouver sans plus tarder.
Annie
Le boulanger n’eut aucun mal à renseigner Solenn au sujet de la vieille dame :
Il avait toujours eu beaucoup de mal à retenir les effusions entre sa chienne, Abigael, magnifique femelle berger allemand, qu’il fallait enjamber pour atteindre le comptoir de la boulangerie, et le génial et si frêle Sultan .. Il dut même rembourser des frais de vétérinaire consécutifs à une rencontre trop passionnée.
Malheureusement Solenn, souffrait également de cynophobie, et devant chez Huguette, elle ne put réfréner une peur irrépressible.
Les deux femmes se mirent donc d’accord pour échanger au moyen de courriers déposés dans la boîte à livres située à l’angle de la rue Broca
« Je donne ma langue au chant » fut le dernier message d’Huguette.
Solenn n’en finissait pas de retourner dans sa tête cet étrange message.
La nuit qui suivit fut cauchemardesque : “lâche”, “ouvrez moi”… enfermée dans une boîte à musique, elle essayait désespérément de soulever le couvercle, d’atteindre la clef.
André
“Solène ! Réveille-toi !” … la main de Barbara parcourt la vague de mon dos et achève de me ramener à la vie, dans un frisson délicieux… Je renonce à raconter mes aventures nocturnes, avec comportementalistes animaliers, petits commerçants et bas-fonds de Toulouse : mon ristretto fume devant moi et je connais ma Barbie…
La soirée de la veille, ses volutes et ses alcools suffisent bien à nos rires complices.
Toilette de chat et maquillage printanier, je choisis vite une tenue légère. Petit contrôle dans le miroir : je suis prête à sortir ! J’effleure le cou de Barbara de mes lèvres (hmmm… elle sent si bon !), la porte claque, ouiiii ! l’ascenseur est là.
“Solène ! Tu oublies ça !” Elle me tend un objet emballé dans un furoshiki un peu froissé. Je reconnais la boîte en bois d’olivier et tout me revient comme dans un éclair ! Mes jambes ne me portent plus et c’est à tâtons que je trouve l’escalier pour m’asseoir. Ma gorge se noue et j’éclate en sanglots ! Je fouille mon sac à main à la recherche de mouchoirs, quand, entre rouges à lèvres, stylos et briquets, mes doigts butent sur un objet inconnu : une clef !
Anne-Marie
En effet, sa nuit d’amour avec Barbara avait presque fait oublier à Solenn le contenu des derniers jours : la décision de comprendre d’où venait sa cleptomanie, sa rencontre avec Huguette, la zoothérapie entreprise à distance ( elle s’occuperait dans une autre nouvelle de traiter sa cynophobie!) et cette phrase d’ Huguette : « donner sa langue au chant ».
Et voilà qu’elle tombait sur la clef de la boîte en bois d’olivier en fouillant simplement son sac ! Assise sur la dernière marche de l’escalier, ravalant ses larmes, elle ouvre enfin la boîte… et voit surgir un petit personnage au foulard rouge qui tourne en chantant « Mort aux vaches » dans un grésillement d’accordéon. Suffoquée, elle commence à comprendre pourquoi elle n’avait pu résister à s’emparer de cette boîte la semaine dernière, dans la boutique d’antiquités « Chez Pandore », devant laquelle elle passait régulièrement…
Monique
Toujours assise sur la dernière marche de l’escalier, Soleen, sans vraiment l’avoir voulu, revoit en une fraction de seconde des images étonnamment rassemblées dans un immense puzzle. Le chien Sultan, en haut à droite, plus bas, la villa Crimi, puis le psychiatre dans le coin gauche, au centre, bien en évidence Soleen et Huguette, en toile de fond la boutique d’antiquités. Tout devient clair maintenant, se dit-elle, presque à voix haute : Barbara a joué finement avec son adorable accent russe… Comme Huguette, elle est membre de la DGSE. Elles m’utilisent toutes les deux à d’autres fins, en tirant parti de mon trouble maniaque. Est-ce en rapport avec de hautes fonctions de l’état ? Maintenant, quand je repense à la boutique ” chez Pandore ” rue Bientôt-Vu, j’y ai croisé des personnages énigmatiques dont l’attitude me semblait déjà bien étrange. Je ne me laisserai pas manipuler. Je commence à comprendre l’énigme laissée par Huguette, j’ai trouvé l’anagramme :
“je donne ma langue au chant “.
” Je lâche un nuage…Amadont ” (c’est le surnom de mon voisin Amadeus !)
Rémy
Soleen plongea alors dans une intense et profonde réflexion, des jours durant, répétant en boucle : « Je lâche un nuage… Amadont. A moins que ce ne soit : « Tangue madone jaune »… Non, il manque les lettres C.H.A.N. Ou alors… « Je tangue madone Auchan »… Non, il manque un N… jusqu’à cet instant, un soir de demi-lune, entre chien et loup : « Eureka ! Sultan ! Oui, Sultan, ce frêle cerbère libidineux qui accompagnait toujours Huguette, ce cabot pas beau éjectait régulièrement, d’un lieu indécent de nommer ici, des gaz nuageux remarquablement pestilentiels. Et ce faisant – alors qu’elle n’avait jusque-là jamais fait le rapprochement – Amadont se mettait toujours à jouer fortissimo sur son piano. Ainsi, mais c’est bien sûr ! Ce mélomane ne faisait que traduire en notes le message secret teinté de volutes, délivré par les vibrations anales du canidé ! Mais alors… Pourquoi ? Quelles messes ou quels messages ? Pour qui ? Et pourquoi cette confession codée délivrée par Huguette ? Et quel rapport avec ces personnages énigmatiques rencontrés à la boutique « Chez Pandore ». Et quel lien avec les boîtes ?