Chers enfants,
J’ai su que vous fêtiez en ce 11 novembre 2020, l’armistice qui mettait fin à la Première Guerre mondiale qui avait endeuillé chaque famille en France, et dans de nombreux pays : 10 millions de morts, victimes de cette guerre.
Pour une éléphante très intéressée par l’histoire, j’ai su qu’il y a plus d’un siècle, 106 ans, des militaires indiens sont partis du Nord de l’Inde, des ports de Bombay et de Karachi, pour aller combattre chez vous, dans le département du Pas-de-Calais, le Nord et la Belgique. Ils ont navigué jusqu’à Marseille, en passant par le Canal de Suez. Ils ont été très bien accueillis par les marseillaises et marseillais.
Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article qui raconte à l’époque la fascination exercée par cette arrivée :
“Les troupes indiennes arrivées… à Marseille, ont été présentées… par leur chef (…). Elles ont défilé… où leur belle tenue a fait grande impression. Elles ont été acclamées avec enthousiasme par la population. On leur a jeté des fleurs et on leur a offert des fruits et du tabac. Les femmes épinglaient des fleurs aux tuniques et aux turbans des soldats sikhs, qui sont de taille gigantesque, dépassant de la tête les spectateurs, et des petits soldats gourkhas, des penjabis et des beloutchis, auxquels on distribuait des petits drapeaux tricolores qu’ils fixaient à leurs fusils. Ils répondaient par de chaleureux « Vive la France ! » aux cris de « Vivent les Anglais ! Vivent les Indiens ! » lancés par la foule et alternant avec la Marseillaise, très bien exécutée par les musiques militaires hindoues composées d’instruments étranges. L’accueil fait aux Indiens par les Marseillais a dépassé, s’il est possible, celui fait aux zouaves, aux turcos, aux Sénégalais et aux Marocains. La belle ordonnance et la magnifique apparence de ces troupes, qui ont à leur tête plusieurs princes de l’Inde, reconnaissables aux ornements en or de leurs turbans et au riche harnachement de leurs superbes chevaux, ont fait l’admiration de nos officiers. (…)
La foule applaudit :
La foule a surtout applaudi quand ont défilé les sikhs, magnifiques types d’hommes, hauts de six pieds, et les régiments britanniques des Indes qui sont venus avec les troupes indigènes et qu’a bronzés le soleil oriental.
Des cartes postales commémorent l’arrivée de « L’armée des Indes ». Elles s’arrachent : 6 000 sont vendues le premier jour. Plusieurs séries seront rééditées, chacun voulant conserver le souvenir du passage de « ces splendides bronzes humains, aux dents blanches, aux yeux d’émail noir, aux coiffures somptueuses et à la barbe tressée ».”
De Marseille les militaires indiens partent en train jusqu’à Orléans, puis de là, ils vont se rendre sur la ligne de front, du côté de Neuve Chapelle, dans le Pas-de-Calais, la Bassée dans le Département du Nord et en Belgique.
Un article très complet que m’a transmis Henri explique en détails qui sont ces militaires indiens.
Ils vont être engagés dans une guerre très longue, dans un climat très froid, par rapport au climat de l’Inde. La bataille de Neuve Chapelle, en 1915, sera très meurtrière, plus de 4000 militaires indiens y périssent. Les militaires blessés ou malades sont envoyés à l’hôpital de Saint-Martin Boulogne, ceux qui sont guéris repartent au front, mais d’autres décèdent ; 311 d’entre eux reposent chez vous à Saint-Martin Boulogne au cimetière indien, « Meerut Military Cemetery », situé rue la Fontaine, près de la rue Molière.
Je suis très triste et je ne peux m’empêcher de pleurer en pensant à ces jeunes qui ont quitté l’Inde pour aller défendre la France et qui sont morts chez vous, en défendant votre pays.
Je suis aussi fière de savoir que leur mémoire est honorée : depuis plusieurs années, chaque 11 novembre, le maire de Saint-Martin Boulogne dépose des fleurs en leur rendant hommage.
En 2018, une cérémonie a eu lieu en présence d’une délégation de l’ambassade de l’Inde, avec le sous-préfet et l’équipe municipale de Saint-Martin Boulogne, ainsi que des membres de la commission des sépultures de guerre du Commonwealth (Commonwealth War Graves Commission), qui entretient merveilleusement les nombreux cimetières de guerre dans notre région. Henri m’a envoyé pour vous un article qui parle très bien de ce beau lieu de mémoire à deux pas de chez vous :
“Le Meerut Military Cemetery occupe l’emplacement de l’hôpital qui accueillait les blessés de la division indienne Meerut, à Saint-Martin-Boulogne. Le nom Meerut est le nom d’une ville d’Inde. L’hôpital fixe de Meerut a été créé à Boulogne-sur-mer à partir du mois d’octobre 1914, lorsque le corps des Indiens est arrivé en France, jusqu’en novembre 1915, date de leur départ. Dès leur arrivée, les soldats indiens sont aussitôt envoyés sur le front des Flandres. En mars 1915, ils participent à l’offensive britannique sur Neuve-Chapelle et Aubers et laissent 4 047 hommes sur le terrain. Ces désastres affaiblissent les Indiens qui souffrent du froid de l’hiver du nord de la France, dans le froid et la boue des tranchées.
Au moment où l’hôpital militaire de Saint-Martin Boulogne est fermé, le cimetière militaire attenant compte alors 279 tombes ainsi qu’un mémorial rappelant les noms de 32 officiers et hommes de troupe incinérés dans l’enceinte du cimetière en 1915.
En 1917, y seront aussi inhumés les corps de 26 ouvriers égyptiens tués lors du bombardement de Boulogne-sur-Mer par l’aviation allemande, dans la nuit du 4 au 5 septembre. Ces Égyptiens faisaient partie des Labour Corps, unités de travail composées de civils volontaires, créées par l’armée britannique pour décharger les combattants des contingences matérielles autres que militaires“.
Pour chaque soldat indien inhumé, le nom est gravé sur la pierre tombale, avec de multiples renseignements, tels sa fonction militaire, son appartenance à tel corps d’armée, son appartenance religieuse, hindoue, musulmane ou sikh, ou gurkha, le numéro matricule et l’année de son décès. La plupart des soldats indiens sont décédés en 1915, soit des suites de blessures ou de maladies pulmonaires. Venant de l’Inde, pays chaud, mal équipés pour l’hiver dans les Flandres, ils étaient fragilisés. C’est la raison pour laquelle ils étaient hospitalisés à l’hôpital militaire, situé à Saint-Martin Boulogne, venant du front des Flandres (Neuve Chapelle est à 90 kilomètres de Saint-Martin Boulogne).
Le cimetière indien de Saint-Martin Boulogne contient 339 sépultures de la Première Guerre mondiale ; il a été conçu par Sir Herbert Baker.
Je sais que tous ceux qui fréquentent ce lieu de mémoire sont remplis d’une sensation de paix, de sérénité et d’éternité. C’est un espace d’une grande beauté, avec un petit parc d’un côté avec un autel dédié à l’ensemble des soldats dont les noms vivent pour toujours : “their name liveth for evermore“, et une stèle où sont inscrits les noms des militaires qui ont été incinérés ; et faisant face, l’ensemble des pierres tombales, superbement entretenues, entre fleurs et gazon, par les jardiniers de la Commonwealth War Graves Commission.
Sir Herbert Baker, architecte, doit vraiment être remercié pour son œuvre à Saint-Martin Boulogne. C’est lui qui a conçu également le mémorial de Neuve Chapelle à Richebourg, près de Béthune, inauguré en 1927. Sir Herbert Baker est aussi l’architecte du Parlement indien à Delhi, du cimetière militaire de Tyne Cot à Ypres (la plus vaste nécropole des forces du Commonwealth au monde), ou encore du cimetière du Trou Aid Post à Fleurbaix.
Le mémorial de Neuve Chapelle nous rappelle que 4200 soldats indiens ont été tués ou blessés à cet endroit lors de la bataille de Neuve Chapelle en 1915.
130000 soldats indiens ont combattu pendant la Première Guerre mondiale et plus de 10000 ont fait le sacrifice suprême !! Vous comprenez, chers enfants, pourquoi je pleure en pensant à eux, car vous le savez, l’éléphante que je suis, est un être plein de compassion et j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi ces jeunes hommes ont quitté mon pays pour aller défendre le vôtre !!
Le cimetière de Saint-Martin Boulogne (« Meerut Military Cemetery ») est le 2ème cimetière indien en France, le plus grand étant à Marseille (« Mazargues War Cemetery ») :
“HOMMAGE À 993 SOLDATS INDIENS QUI MORT EN DÉFENDANT LA FRANCE PENDANT LA GUERRE MONDIALE – I
Commémoré dans le cimetière de guerre de Mazargues, Marseille, France. – Par KJS Chatrath
Les forces indiennes arrivées en France pendant la Première Guerre mondiale à partir de septembre 1914 ont débarqué à Marseille, ville portuaire du sud de la France. Le cimetière militaire de Mazargues de cette ville compte 993 sépultures / commémorations indiennes. Une promenade dans le cimetière montre que, malheureusement, 783 d’entre eux étaient des non-combattants qui ne portaient pas d’armes et étaient du fourrage pour les armes de l’ennemi. 70% de ces 783 étaient des suiveurs, des lascars, des pompiers, des graisseurs, des brancardiers, des tailleurs, des cuisiniers, etc. Chacun des 993 martyrs était le héros de sa propre histoire comprenant sa famille, dans le village lointain de l’Inde d’où il venait et ses rêves et expériences. Seulement si nous avons le temps de le découvrir. “
Marseille était le port où ont débarqué les Indiens :
Plus de 130 000 Indiens servirent en France et en Belgique, plus de 9 000 y laissèrent la vie. De nombreuses tombes de ces soldats se trouvent au cimetière militaire britannique de Mazargues à Marseille.
Bien qu’éloignée du front, Marseille, port de premier ordre, est ville de garnison. En plus des casernes déjà existantes et des autres bâtiments réquisitionnés pour l’occasion, de nombreux camps sont installés en ville ou à la périphérie et ce pour des soldats du monde entier, africains, anglais, américains, russes, italiens, australiens, canadiens, néo-Zélandais, martiniquais, annamites, chinois…et indiens.
Au total, outre les troupes françaises, près de 4 millions d’hommes de toutes origines transiteront alors par Marseille.”
À Montreuil sur Mer, à 40 kms de Boulogne-sur-mer, un hôpital accueillait aussi les soldats indiens blessés ou malades, le « Lahore Indian General Hospital ». Un petit cimetière indien se trouve à Neuville-sous-Montreuil où reposent 25 soldats indiens.
À Ypres, à 100 kilomètres de Boulogne-sur-mer, toujours dans les Flandres, en Belgique, la guerre a été très meurtrière, d’autant que les allemands, forces ennemies, ont utilisé le gaz comme arme chimique, dès 1915 puis en 1917, avec le gaz moutarde, appelé ypérite.
Là encore ont combattu les soldats français, belges assistés des soldats du Commonwealth, dont les Indiens.
À la porte de Menin à Ypres, les militaires indiens sont aussi honorés : l’emblème de l’Inde, les 4 lions d’Ashoka sont là en leur honneur.
Chers enfants, j’ai été particulièrement bavarde aujourd’hui, car cette histoire nous est commune et vous êtes vraiment sur place pour visiter ces lieux de mémoire. Pour moi, c’est impossible de me rendre à Saint-Martin Boulogne, mais j’aimerais tellement visiter le « Meerut Military Cimetery ».
Je vous fais de gros bisous et vous dis à demain,
Shila