Chers enfants,
Vous savez mon intérêt pour les dessins, ceux qui décorent vos murs, ceux de l’éléphante Ruby, ceux qui décorent les camions en Inde…
Il existe cependant des dessins, appelés caricatures, faits par des artistes dont le but est de faire rire tout en faisant réfléchir. Ils travaillent souvent pour des journaux, et parfois ces caricaturistes font l’objet de menaces.
Leur métier est dangereux, car :
“La caricature n’est pas qu’un dessin rigolo, c’est aussi l’une des armes que redoutent le plus les puissants. Les tyrans, les fondamentalistes ne peuvent régner que si on a peur d’eux. Ils dominent par la peur. Si vous riez d’un tyran, vous n’en avez plus peur.”
Henri m’a raconté sa rencontre avec Mister Anoop Radhakrishnan, lors d’un événement familial, le mariage de son petit neveu au Rajasthan, en février 2020.
Anoop est (cartoonist) caricaturiste, et se retrouvant en famille pendant plusieurs jours (la durée d’un mariage au Rajasthan est d’une semaine), Anoop et Henri ont eu le temps de parler de ce métier.
Dès le début de la conservation, Anoop a abordé le drame de Charlie Hebdo, et de l’assassinat de douze personnes dont cinq brillants dessinateurs, le 7 janvier 2015. Ce qui nous interroge sur la liberté de la presse.
Anoop laissait entendre que même dans les pays où la liberté d’expression est reconnue, la menace pèse sur les dessinateurs de presse, pouvant aller jusqu’à leur assassinat, comme ç’a été le cas en France.
Nous ignorions à l’époque qu’un autre assassinat allait toucher la France, en la personne de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, ce valeureux professeur dont la mission était d’enseigner la liberté d’expression aux enfants.
Anoop est très engagé dans son métier de caricaturiste, il est secrétaire de la Kerala Cartoon Academy, et très reconnu par les siens.
Mais voilà qu’une de ses caricatures lui vaut des menaces. Une plainte a été déposée devant la haute cour de justice du Kerala, suite à son dessin sur un sommet médical imaginaire sur le Covid-19, montrant l’Inde représentée comme une “vache”, alors que l’Angleterre, la Chine et les États-Unis sont représentés comme des humains.
Anoop explique :
“L’intrigue de la caricature était la suivante : en mars 2020, alors que les cas de covid augmentaient rapidement en Inde, la bouse de vache et l’urine de vache ont été largement proposées comme remède potentiel pour le Covid, ce qui était 100% non scientifique. Les dirigeants du pays proposaient également ce type de traitements médicaux superstitieux.
Je critiquais cette approche à travers mon dessin.”
La dessin d’Anoop a été honoré, cette année par un prix décerné par la Kerala Lalithakala Akademi, organisation autonome du gouvernement du Kerala, dont le but est de conserver et de promouvoir les arts.
Ce prix a entraîné une polémique, et a valu quelques menaces à son auteur.
Tout cela, chers enfants, me laisse trop triste, moi l’éléphante philosophe qui attache beaucoup d’importance au rire :
Comme le dit un avocat français, Richard Malka, défenseur de Charlie hebdo :
“Eh bien, il faut continuer à rire et à sourire“,
Ou encore Mister Rusel, directeur du Cartoonists Rights Network International (CRNI), organisation établie à Washington qui défend la liberté d’expression des caricaturistes du monde entier :
“Rire, ça semble simple, mais c’est la chose la plus puissante à faire.”
Mister Rusel poursuit :
« La caricature n’est pas qu’un dessin rigolo, rappelle-t-il, c’est aussi l’une des armes que redoutent le plus les puissants. « Les tyrans, les fondamentalistes ne peuvent régner que si on a peur d’eux. Ils dominent par la peur. Si vous riez d’un tyran, vous n’en avez plus peur. Et les caricatures, qui se moquent des riches et des puissants, font rire les gens. Et ça, c’est quelque chose que les tyrans ne supportent pas. »
Deux ennemis, moyennant quelques millions de dollars, peuvent s’affronter avec des chars d’assaut, des soldats, des fusils. Alors qu’un caricaturiste, avec seulement un crayon et une feuille de papier à trente sous, cause des dommages considérables… « En termes d’efficacité et de coût de revient, le caricaturiste assis à son bureau est un type d’ennemi dévastateur pour un tyran ! », dit M. Russel.
Et le dessin a une force de frappe plus importante que les mots, estime Robert Russel. « Lorsque vous lisez le journal et que vous allez à la page de l’éditorial, vos yeux sont attirés par la caricature. Même si vous lisez puis oubliez l’éditorial, vous allez vous souvenir de la caricature. Ces images restent collées dans notre esprit. »
Alors, oui, dit Robert Russel, il faut continuer à rire. « Il faut continuer à rire, continuer à vouloir voir ces dessins, continuer à défendre la liberté d’expression même si ça nous heurte, parfois. Avoir de l’imagination, une pensée, des opinions, c’est essentiel à la survie de l’humanité.”
En dessinant sur des thèmes aussi forts que la religion, l’économie, la finance, la politique, la guerre…
Les caricaturistes sont appelés justement “fantassins de la liberté”, par Stéphanie Valloatto en 2014.
Dans son film, elle les présente comme défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression, en s’amusant avec comme seule arme, un crayon, au risque de leurs vies.
“Ils sont : français, tunisienne, russe, américain, burkinabé, chinois, algériens, ivoirien, vénézuélienne, israélien et palestinien” … (et aussi indien).
Ils testent en permanence le degré démocratique de leur pays et s’exposent en première ligne, ils sont bien les fantassins de la liberté.”
Oui, chers enfants, moi l’éléphante qui aime tant la liberté, j’ai entendu qu’un poète de chez vous, Paul Eluard a écrit un sublime poème, “Liberté, j’écris ton nom” :
« Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom…
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté »
(Paul Eluard, Poésie et Vérité, 1942)
Chers enfants, le mot “liberté” est, m’ont dit Emmanuel et Henri, écrit sur les frontons de vos mairies, avec “égalité et fraternité”. C’est très fort.
La liberté d’expression fait partie de cette liberté qui malheureusement est un combat difficile. Je lève ma trompe pour saluer tous les fantassins de la liberté, à commencer par les courageux caricaturistes.
Je vous fais de gros bisous,
A lundi,
Shila