Lettre de Shila : “Déchiffrer le monde”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?

Au moment où je vous écris, il est seize heure dans mon petit pré d’un hectare deux cents mètres carrés. Etant levée depuis six heures ce matin, cela fait donc neuf heures que je suis éveillée ce jour, soit cinq cents quarante minutes, soit trente-deux mille quatre cents secondes. Sachant que notre chère planète, la Terre, se déplace de quatre cents soixante-cinq mètres par seconde autour de notre cher Soleil, cela veut dire que depuis mon réveil, et alors que j’étais dans mon petit pré, j’ai parcouru à bord de notre vaisseau mère plus de cent cinquante mille kilomètres  dans l’univers 😊.

Sachant que notre belle planète fait à peu près quarante mille kilomètres de tour de taille, cela veut dire qu’en restant dans mon petit pré depuis mon réveil, j’ai fait entre deux fois et trois fois le tour de la Terre rien que grâce au mouvement de notre planète sur elle-même.

La petite grenouille proche de mon petit pré que j’aime tant à contempler au bord du ruisseau mesurant à peu près deux centimètres de long :

Cela veut dire que mon petit pré d’un hectare deux cents mètres carrés fait la surface d’à peu près six cent millions de grenouilles côte à côte 😊.

Humm, chers enfants, j’adore déchiffrer notre monde en données, c’est tellement poétique, dépaysant.

Mon cher Kuttan me dit que vous autres, les humains, êtes aussi passionnés pour cette façon de mesurer ce que la vie nous propose.

Henri, qui revenait d’une réunion du Conseil scientifique de vos Maisons, m’a dit que Monsieur Olivier, qui réfléchit avec vous au monde tel qu’il va, a récemment publié un livre génial à propos des chiffres, parfois trop envahissants.

Mon cher Henri me raconte les premières pages, revenant sur l’histoire de ce désir humain de mettre en chiffre, en nombre, en quantité, en mesure, la vie.

Tout d’abord, si j’ai bien compris, fut l’os d’Ishango, voici très très très longtemps. Puis les archéologues qui travaillent avec Monsieur Jean-Paul, camarade de Monsieur Olivier dans votre Conseil scientifique, ont découvert des tables de calcul en Mésopotamie datant de temps très très anciens. Puis, me dit Henri, les arpenteurs romains d’un temps très loin furent un métier reconnu par les puissants pour contrôler l’économie impérial. Puis, me dit Henri, Bertrand Boysset, arpenteur de votre petit pays au Moyen-âge, fut une personne marquante pour signifier combien vos rois, vos reines, eurent le même souhait de comprendre comment tout le monde va :

Emmanuel, qui venait de mesurer la taille des plantes de son jardin depuis les dernières pluies, nous téléphonait pour prendre de nos nouvelles. Emmanuel nous a dit que mesurer tout et rien est devenu une obsession des humains, convaincus que s’ils peuvent mettre des chiffres sur tout, ils vivront de mieux en mieux, de manière efficace.

Ah, mes chers enfants, que la géométrie, l’arithmétique, la physique, ont des charmes que la raison adore. Si je suis ravie d’avoir parcouru près de trois fois le tour de notre belle Terre tout en restant immobile dans mon petit pré, si je suis enchantée de me dire qu’un si petit lieu peut accueillir six cents millions de grenouilles chères à mon cœur, je me dis que ce souhait de tout calculer doit s’accompagner de la spontanéité du ressenti, car c’est la marque de la confiance sans conditions.

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila