Lettre de Shila : “Des nomades du Rajasthan et de l’Inde aux Tziganes et aux Roms d’Europe”

Chers enfants,

J’ai entendu dire que vous avez une très belle roulotte et que vous fabriquez une charrette de l’ancien temps sous la responsabilité de Christophe et de deux artistes charrons, qui vont construire les roues à l’ancienne.

Je sais également que vous aimez le voyage, et que dans l’impossibilité actuelle de voyager, nos échanges vous permettent de découvrir l’Inde, qui est un pays aux multiples facettes où l’on peut voyager toute une vie en découvrant chaque jour de la beauté et de l’inattendu.

Je vous ai parlé de cette communauté semi nomade, les Rabari, qui coexiste avec les léopards, dans les collines Aravalli, dans le Rajasthan.

Il faut savoir que ces collines Aravalli sont très riches en minerai de fer, que les compagnies minières voudraient exploiter. C’est une histoire très ancienne qui se répète :

Le Rajasthan a probablement joué un rôle important dans la production de fer, car le minerai est facilement disponible dans les Aravalli et les régions avoisinantes. D’après les archives archéologiques, il est clair qu’à l’époque historique, le Rajasthan était sûrement un lieu de production de fer à grande échelle. La présence d’un objet en fer à Noh (Painted Gray Ware) et à Ahar, cependant, suggère une date antérieure au 1er millénaire avant Jésus-Christ pour le fer au Rajasthan ou en Inde.”

Les Gadulia Lohar vivent dans cette région, et le travail du fer est leur spécialité. Cette tribu nomade est capable de travailler et de fabriquer n’importe quel objet à partir de tout type de métal. Le sens littéraire de Gadulia est “charrette à bœufs” et Loha est “forgeron”.

Dommage qu’ils soient si loin, ils auraient pu donner un coup de main pour la charrette que vous fabriquez !!

Cette tribu nomade était très reconnue au temps du règne des maharadjas, ils fabriquaient les armures des rois hindous, les ornements en métal, les roues de charrette, les outils de travail, etc.

Ils ont gardé le savoir faire, mais se refusent à construire des armes.

Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article intéressant parle de cette tribu de forgerons artistes, qui vivent toujours dans leur charrette à bœufs aménagée.

Les nomades sont nombreux en Inde, 80 millions, plus que la population française, forgerons, bergers, graveurs, chanteurs, musiciens, danseurs, saltimbanques, charmeurs de serpents, acrobates, et j’en oublie.

Avec vos maisons, chers enfants, le Centre de Jour, la Maison du Cirque, la Maison de la Danse, la Maison de la Musique, la Maison du Sport, la Maison des Découvreurs, la Maison Vive.

Vous avez des points communs avec les nomades indiens, qui sont de véritables experts dans toutes ces disciplines. La tradition culturelle est riche et leur musique me met en joie.

Regardez le spectacle des gitans Dhoad, ça fait penser à votre spectacle de fin de saison culturelle, je vous admire.

Il en est de même pour la danse, je suis vraiment charmée par la danse gypsy et le chant de ces enfants dans leur campement au Rajasthan.

Je les jalouse un peu, car l’éléphante si agile que je suis, n’arrive pas à danser aussi bien !!

La vie de ces nomades n’est pas facile, ils sont déchirés entre leurs traditions séculaires et le monde moderne qui les dépouille de leur identité.

La colonisation britannique a été impitoyable avec eux :

En 1871, la législation coloniale de l’Inde britannique promulguait la “loi sur les tribus criminelles”. Abolie à l’indépendance de 1947, cette procédure visait les tribus que les Anglais ne parvenaient pas à soumettre et arrivaient à reconnaître coupables au niveau du groupe entier sans qu’il y ait procès”.

Même la loi coloniale de 1871, faisant d’eux des criminels, a été abolie à l’indépendance de l’Inde, il n’en reste pas moins que les femmes et les hommes restent hantés par cette loi qui faisait d’eux des “nés criminels“.

Cette loi a marqué les tribus indiennes, non seulement au Rajasthan mais partout en Inde , comme les Dombas, gitans indiens du Kerala et Tamil Nadu.

Henri m’a dit qu’un Monsieur qui fait des films de cinéma, Monsieur Tony Gatlif a fait un très beau film sur les nomades, prétendant que les noms différents de Roms, Gitans, Tziganes, Manouches, Bohémiens… désignent les multiples visages d’un peuple unique parti de l’Inde, il y a un millier d’années :

Le projet de Tony Gatlif est magnifique : donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Cette parole est, en l’occurrence, musique. Nous allons donc traverser le temps et l’espace, le long du chemin millénaire qui mena les Roms du nord de l’Inde jusqu’aux rivages de l’Atlantique. La musique nomade évolue, et les noms changent : rom, halab, tzigane, gitan ou bohémien désignent les multiples visages d’un peuple unique. Les étapes se succèdent : l’Inde originaire, l’Égypte, la Turquie puis, au-delà du Bosphore et de Sainte-Sophie, la Roumanie, la Slovaquie, Auschwitz aussi… Et encore l’Allemagne, la France des Saintes-Maries, puis l’Espagne profonde. Le fil d’Ariane de cette longue route reste la musique, toute la musique. Elle surgit au travers des fêtes ou de brefs moments de halte, sur la route. Le spectacle est magistral, et emballant. Latcho drom est un superbe film musical et un vrai road-movie ancestral. Un peu la version originale du genre : bien avant Kerouac et les beatniks, bien avant les pionniers du nouveau monde, il y a eu d’autres nomades, d’autres aventuriers forcés et ignorés. Et, en tout premier lieu, ceux-là qu’on nomme, par excellence, les gens du voyage.”

Kuttan et Henri m’ont expliqué que des nomades, les Roms ont quitté l’Inde pour l’Europe, il y a un millier d’années. Leur langue, le romanes ou romani est proche de la langue hindi, langue du Nord de l’Inde. L’origine du mot Rom viendrait du dieu hindou Rama, selon l’une des hypothèses.

Vous connaissez, chers enfants, l’éléphante pleine de compassion que je suis, et je ne vous étonnerez pas si je vous dis toute ma tristesse par rapport au traitement des Roms dans votre beau pays. Entre quinze et vingt milles Roms vivent en France, venant pour la plupart d’Europe de l’est, de Roumanie et Bulgarie.

J’ai su qu’ils vivent dans des conditions indignes et qu’ils sont souvent chassés de leurs campements.

Les bidonvilles Roms sont une exception française, l’accueil qui leur est réservé en Espagne, en Italie et en Allemagne est, m’a-t-on dit, beaucoup plus digne.

Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article très intéressant sur ce sujet.

Je souhaiterais tellement que dans mon pays comme dans le vôtre, l’attention soit portée sur ces populations dont la culture disparaît.

Vous connaissez, mes chers enfants, ma liberté de parole, et je sais que votre pays favorise la liberté d’expression, mais face à la situation des nomades, des Roms, de ces peuples errants, je n’ai que de l’incompréhension et des questions.

Je ne comprends pas comment des gouvernements peuvent décréter une loi comme celle promulguée en 1871 par le Raj britannique en Inde, criminal tribes act, désignant les tribus nomades comme criminelles !!

Je ne comprends pas comment un gouvernement nazi a pris la décision de d’exterminer les nomades chez vous pendant la seconde Guerre mondiale !!!

Je ne comprends pas comment des gouvernements aujourd’hui continuent à discriminer ces gens !!!

La question que je me pose est la suivante : comment est-ce possible de laisser disparaître la culture et les traditions de ces populations qui, comme vous et comme moi, n’ont pas choisi leur lieu de naissance ?

Maxime Le Forestier me console avec sa sublime chanson :

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille

On choisit pas non plus les trottoirs de Manille

De Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher

Être né quelque part

Être né quelque part, pour celui qui est né

C’est toujours un hasard

(Nom’inqwando yes qxag iqwahasa)

(Nom’inqwando yes qxag iqwahasa)

Y a des oiseaux de basse cour et des oiseaux de passage

Ils savent où sont leur nids

Qu’ils rentrent de voyage ou qu’ils restent chez eux

Ils savent où sont leurs œufs

Être né quelque part

Être né quelque part, c’est partir quand on veut

Revenir quand on part

(Nom’inqwando yes qxag iqwahasa)

(Nom’inqwando yes qxag iqwahasa)

Est-ce que les gens naissent égaux en droits

À l’endroit où ils naissent

(Nom’inqwando yes qxag iqwahasa)

Est-ce que les gens naissent…

 Chers enfants, je vous fais de gros bisous.

A demain,

Shila