Lettre de Shila : “Face au chacun pour soi, la coopération, le vivre ensemble”

Chers enfants,

Mon cornac bien aimé, Kuttan, m’a donné des gâteries ce matin, du sucre de canne en boule, un régime de bananes et des ananas, tout cela me met en forme pour réfléchir et philosopher sur la coopération, la participation, le vivre ensemble.

Je peux observer, avec mes petits yeux pétillants, comment les plantes s’entraident pour se développer, comment mes cousins de la montagne protègent leurs petits…, comment ils contribuent à protéger leur environnement en semant les graines par leurs bouses…. La forêt est l’habitat qui héberge et nourrit tellement d’animaux et de plantes et qui est le poumon qui nous oxygène.

Je vous ai parlé des mangroves du Kerala, qui forment une protection contre les tsunamis, un habitat pour les oiseaux et un lieu de reproduction pour les poissons et crustacés…les pêcheurs et agriculteurs sont conscients de l’importance de la mangrove.

Le poivre, épice qui parfume le Kerala, et aussi le monde entier, ressemble à une liane grimpante ; savez-vous qu’il s’appuie sur un arbre tuteur, car l’arbre vivant lui donne l’ombre dont il a besoin ?

Autour de moi, je vois des centaines d’arbres sur lesquels grimpent la plante.

Dans la montagne, à 50 kms de chez moi, à Vagamon, il y a des plantations de thé : là aussi des arbres sont plantés au milieu des théiers, (ces petits arbustes dont la feuille séchée fait le thé, cette boisson réputée). Ces arbres ont pour fonction de donner un peu d’ombre aux théiers.

Près des plantations de thé, pousse la cardamome, cette épice si réputée, au parfum envoûtant. La cardamome pousse dans les sous-bois, elle a besoin de l’ombre des grands arbres et de l’humidité tropicale des ghats du Kerala.

Cette interdépendance entre les plantes, les arbres, les animaux et les humains, c’est l’histoire de la vie, nous avons besoin des autres… Des exemples comme ceux que je vous ai donnés, vous pouvez vous-même les observer en nombres autour de vous.

Observez les pucerons, se nourrissant des feuilles tendres du jeune pommier, poirier ou rosier, vous verrez les fourmis grimper le tronc de l’arbre pour aller coopérer avec les pucerons voraces. Le jardinier, qui n’apprécie pas cette attaque de ses arbres, va trouver une parade en apportant des coccinelles qui vont manger les pucerons. Tout cela fait partie des interactions de la nature.

Cette belle coopération, parfois contrariée, existe bel et bien chez vous, les humains, malgré les courants de pensée qui aimeraient faire de l’humain un individu sans lien avec les autres humains ou la nature. Seule la compétition et la rentabilité sont mises en avant !!

J’ai la chance d’avoir autour de moi des humains qui savent faire valoir le droit et qui ne s’en laissent pas conter. La coopération entre eux n’est pas un mot vide de sens, les valeurs que sont la solidarité et la fraternité, que vous, en France, avez pour devise (Liberté, Égalité et Fraternité), sont défendues avec force.

Ici, en Inde, le collectif a toujours été valorisé ; un de nos grands poètes, Tagore, prix Nobel de littérature, comparait le collectif à un fagot de branches : une branche seule est facile à briser, à casser en morceaux, par contre, il est impossible de de casser un fagot en deux !

Le Kerala est un lieu de résistance permanente, les entreprises financières néolibérales voudraient réduire au silence les syndicats. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article racontant cette lutte :

Ralentir les activités syndicales militantes unSunil

Les questions liées au syndicalisme militant ne sont pas nouvelles au Kerala. Cela existe depuis des siècles et jusqu’à présent aucun gouvernement n’avait lancé de mesures pour réduire cette menace. Il est un fait connu que les entrepreneurs ou les entreprises hésitent à investir ici ou à lancer de nouvelles entreprises car l’État est bien connu pour son militantisme syndical.

À moins que ces syndicats ne soient contrôlés et limités, les choses ne changeront jamais. La nouvelle génération de cet État devrait se montrer à la hauteur et faire en sorte que les partis politiques soutenant les syndicats militants ne puissent pas arriver au pouvoir. Il est temps de se débarrasser de ces rats et de ces marmots de l’État si nous voulons voir le développement se produire…

Au Kerala, le syndicalisme fait partie de l’ADN des gens, quand ils ne supportent pas une forme d’injustice, ils s’unissent pour la combattre ; vous vous rappelez ma lettre sur la lutte menée contre coca cola qui les privait de l’eau et polluait leur environnement :

Vous vous souvenez aussi du combat contre Bayer India, cette multinationale qui a empoisonné humains et animaux dans le district de Kasarkod, au Nord du Kerala, avec un pesticide appelé “endosulfan” :

La culture du conflit qu’il faut gérer, c’est vraiment une tradition chez nous, rappelez-vous la chaîne humaine où des millions de femmes se tenaient ensemble sur plus de 600 kms, du Nord au sud du Kerala, il y a 2 ans. Elles soutenaient la décision de la cour suprême de l’Inde qui leur permettaient d’entrer dans le temple de Sabarimala, alors que les traditionalistes hindous leur interdisaient l’entrée :

Autant vous dire, chers enfants, ma réelle fierté voir que, chez moi, les gens restent vigilants et que les manipulateurs de tout poil, qui tentent de nous mener par le bout du nez, n’ont qu’à bien se tenir.

Je suis sûre, chers enfants, que vous aussi, vous restez vigilants, que vous apprenez l’esprit critique et que vous ne vous en laissez pas conter !!

Je suis sûre que vous pouvez me donner de nombreux exemples où vous vous donnez la main, où vous vous encouragez et entraidez, dans une relation d’amitié.

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila