Lettre de Shila : “« Fictio legis » (comment le rêve peut devenir réalité)”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Avez-vous réalisé de beaux dessins ?

Mon cher voisin Henri m’a montré ce matin les magnifiques créations que vous faîtes à la poursuite de la couleur de l’eau :

Qu’ils sont beau ! Si j’ai bien compris, vous essayer de comprendre pourquoi, du côté de vos Maisons, la mer a cette couleur-là, à cet endroit-là, à ce moment de l’année. Humm, très belle enquête les enfants, moi aussi, comme vous le savez, je suis intriguée par la couleur bleue :

Et puis j’aime beaucoup contempler la mer quand mon cher Kuttan m’y emmène, je me dis que c’est un horizon qui nous parle, qui nous appelle :

Ce matin, des humains faisant de l’auto-stop non loin de mon petit pré, se sont assis sur le fossé donnant sur la route, et se sont mis à dessiner les arbres devant chez moi. J’étais très intéressée par le geste sur la page blanche. Je dois vous dire que depuis que j’ai découvert les talents de ma cousine Ruby, j’essayerais bien à mon tour de barbouiller avec le secret espoir que ce soit des peintures dignes de mes attentes :

Les humains n’en avaient que faire du motif devant leurs yeux ; ils dessinaient les arbres de l’autre côté de mon petit pré, mais je trouve que cela ne leur ressemblait pas.

Hummm, autant retourner à mes chères pousses de bambous de l’autre côté de mon petit pré.

Alors que je les broutais avec plaisir comme vous le savez si bien, je continuais cependant à observer les humains. Une fois finis leurs dessins, j’ai vu dans leur expression de visage une grande satisfaction.

Quoi ? Des dessins qui ne ressemblent pas à la réalité, et qui réjouissent cependant leurs auteurs ? Mais ils sont fous ces humains !

Non non non, moi l’éléphante cartésienne suis choquée par tant d’approximation : la réalité doit être la réalité. Ce que nous voyons, entendons, c’est ce que nous voyons, entendons : point barre.

Mon cher voisin Henri, qui voyait ma trompe se balancer plus qu’à l’accoutumée devant tant d’inconséquences, est venu pour me demander les raisons de mon agitation. J’ai expliqué à Henri que j’étais agacée par ces humains qui voient les arbres en face d’eux, disons à quinze mètres de distance, et les dessinent pas du tout comme ils sont.

Henri, avec sa douce voix que j’aime bien (les voix de Jis et Kuttan me plaisent aussi beaucoup, et aussi celle d’Emmanuel quand il téléphone pour prendre de mes nouvelles) me dit que parfois, l’imagination en dit plus sur notre monde que la réalité.

Ah bon ? Je ne comprends pas.

Henri me raconte cette histoire : depuis très très longtemps, les humains ont compris que pour prendre les meilleures décisions, il fallait imaginer tout ce qui peut être inconcevable car c’est pour mieux ensuite dire ce qui doit être.

Ainsi, me dit Henri, les humains ont longtemps considéré les animaux comme des choses, un peu comme vos commodes dans vos maisons, vos armoires, vos porte-manteaux. Ah bon ? Nous autre les animaux réduits à des objets ?

Ils sont fous les humains.

Henri me dit que ce n’est pas si simple : certes, les humains peuvent en apparence être considérés comme fous, pas raisonnables pour un sou, mais ont réfléchi à cette question au plus loin de leur pensée raisonnée.

Si j’ai bien compris, les humains étaient intrigués eux-mêmes ; ils ont inventé une fiction pour vouloir en avoir le cœur net, avec le sujet de réflexion suivant : “Et si l’animal était un meuble ?”.

Et les humains ont pu ainsi vérifier que ça ne collait pas à la réalité, et que nous avons bien, nous autres les animaux, des sentiments, que nous sommes bien vivants, et que nous devons donc être respectés en droit comme tout être vivant :

Hummm, d’accord, je comprends ; parfois il en faut passer par l’imagination pour mieux prendre des décisions très sérieuses au jour le jour.

Emmanuel, l’ami de mon cher voisin Henri, qui appelait pour prendre de mes nouvelles comme chaque matin, a entendu les explications d’Henri que je trouvais bizarres. Emmanuel m’a expliqué que vous aviez, les humains, un mot pour dire combien l’imagination a un pouvoir très fort sur les décisions pour toutes choses jour après jour : l’utopie.

Chers enfants, même si je trouve que parfois vous-autres, les humains, vous cassez la tête pour pas grand-chose (c’est vrai quoi : la réalité est la réalité), je me dis que la capacité à se raconter des histoires inventées de toutes pièces est très importante pour mieux saisir ce qu’il se passe, et proposer à tout le monde des solutions auxquelles on n’avait pas pensées.

Vive la fiction quand elle nous fait réfléchir, vive la vie.

A demain,

Bisous,

Shila