Chers enfants,
J’espère que vous allez bien et que vous retrouvez un peu la vie d’avant la pandémie, avec des activités sportives et culturelles.
Ici, au Kerala, nous ne sommes pas sortis de cette diablesse de pandémie, les contaminations sont beaucoup plus nombreuses que dans les vingt-sept autres États de l’Inde. Il faut dire que, d’une part, les tests y sont beaucoup plus nombreux et que, d’autre part, les hôpitaux ont toujours réussi à faire face à l’accueil des malades.
Aujourd’hui je veux vous parler d’une expression qui me plaît beaucoup à moi, l’éléphante philosophe de Kurichithanam : ” Grand-père avait un éléphant“.
C’est une expression qui est fréquemment employée au Kerala.
L’éléphant est symbole de la richesse pour la famille propriétaire. C’est un peu comme si vous aviez une grosse et belle voiture, une Rolls-Royce par exemple !!!
Cette expression veut dire aussi que je descends d’une famille riche, même si je suis sur la paille !!
Bien sûr que je suis fière de cette expression, elle me plaît bien et me réjouit sur la place donnée à ma famille pachydermique.
Kuttan me dit que cette expression rappelle le livre de Vaikom Muhammad Basheer, “Grand-père avait un éléphant“.
Je vous ai déjà parlé de ce grand écrivain, fierté du Kerala, qui a l’art du conte et dont la vie est une histoire extraordinaire.
Basheer, âgé de 16 ans, a vu près de chez lui arriver Gandhi, pour soutenir la Vaikom Satyagraha, un mouvement non violent contre l’intouchabilité et la discrimination des castes.
Sans demander son reste, Basheer a décidé de quitter le Kerala pour s’engager dans la lutte pour l’indépendance de son pays :
“Basheer abandonne le domicile familial à 16 ans pour s’engager dans la lutte pour l’indépendance. Il travaille comme journaliste et participe à la marche du sel en 1931. Après la répression britannique et un bref emprisonnement, Basheer abandonne le mouvement de la non-violence. Recherché par la police, il entre en clandestinité. Il voyage dans tout le pays et exerce divers métiers pour vivre. Vers 1937, il retourne au Kerala et commence à écrire des nouvelles pour gagner sa vie. Il parvient tout juste à vivre et ses écrits politiques sont interdits. Surveillé par la police, il est de nouveau incarcéré entre 1941 et 1944.
Après l’indépendance de l’Inde (1947), Basheer cesse de s’intéresser à la politique pour se consacrer à l’écriture. Il est cependant interné à deux reprises pour confusion mentale.
En 1982, il reçoit la Padma Shri.
La plupart des écrits de Basheer sont des romans et des nouvelles qui reprennent ses expériences vécues : la « prison, les relations amoureuses contrariées par les codes sociaux, les musulmans de la campagne keralaise ».”
J’adore cet homme, poursuivi en raison de son activisme politique, Basheer a fait de la prison. Il raconte son expérience dans un récit extraordinaire, « Les murs et autres histoires d’amour » paru aux éditions Zulma.
Avant d’être incarcéré, il a vécu de multiples vies, saltimbanques, sannyasi, voyageant partout en Inde, il est incroyable et il nous raconte ces histoires qui sont traduites du malayalam par Madame Dominique Vitalyos. Merci à Mme Dominique Vitalyos et à Madame Laure Leroyde nous permettre de lire Basheer.
Que raconte « Grand-avait un éléphant » ?
C’est une merveilleuse histoire : une femme, Kounnioupattouma, qui ne savait rien faire, qui n’avait pas été à l’école, mais avait pour seule qualité de se souvenir que son grand-père possédait un éléphant !!
Hélas, cette fille de notables musulmans, mariée à un riche prétendant, se trouve ruinée suite à un conflit d’héritage, dans la famille de son mari !!
L’humour et l’esprit d’ouverture de Basheer nous amènent à avoir une approche très originale de problèmes sous-jacents, tels que les héritages des biens et aussi des héritages culturels.
L’héritage de biens agricoles ou autres est un problème que l’on rencontre dans toutes les familles et dans tous les pays.
Je peux vous parler de l’héritage au Kerala. Souvent, sauf chez les Nairs, société matriarcale, où l’héritage passait traditionnellement par la mère (héritage matrilinéaire), ce sont les hommes qui héritent.
Pour l’ensemble de la société, les femmes reçoivent une dot, au moment du mariage. La dot, (interdite par la constitution mais toujours pratiquée) est sensée être la part de l’héritage.
La législation a évolué en Inde depuis l’indépendance en 1947 et depuis la constitution de 1950. L’égalité entre les femmes et les hommes y est affirmée. Les coutumes cependant persistent.
Mon voisin et ami Henri me dit que dans l’ouest de la France, la transmission des petites fermes était aussi injuste : la ferme était donnée en héritage à l’aîné des garçons ou aux deux frères aînés, si la ferme était plus grande. Son grand-père étant plus jeune s’est vu attribué un petit jardin et un minuscule toit pour loger sa famille. Il devenait journalier agricole. Les filles ne bénéficiaient pas non plus de l’héritage de la ferme.
Ceux qui ne se satisfaisaient pas du statut de journalier quittaient la Vendée pour trouver des fermes à louer en Charente ou en Dordogne, ils quittaient le “pays” !!
C’est un peu la même histoire qui se produisait au Kerala : lorsque le lopin de terre devenait trop petit pour faire vivre la famille, à force d’être divisé, certains le vendaient pour partir à quelques centaines de kilomètres, au nord du Kerala ou dans la montagne. Ils achetaient des terrains à défricher et y développaient leurs cultures et plantations.
Basheer, avec son art du conte, nous emmène délicatement dans cet univers, en arrière-plan. Il nous fait une description pleine de finesse et d’humour de la société kéralaise, avec ses multiples composantes et ses couleurs.
Pas de chance pour Kounnioupattouma, son mari a tout perdu. Les sœurs de celui-ci l’ont poursuivi en justice faisant appliquer la loi concernant le partage des biens familiaux. Les frais d’avocat et de justice en plus, voilà que Kounnioupattouma et son mari se retrouvent ruinés !!
Pas de chance pour Kounnioupattouma, l’héritage “culturel” familial, qui interdisait l’éducation aux filles est également remise en cause par les voisins. Une autre famille musulmane très attachée à l’éducation des filles, avec des enfants merveilleux, un fils qui plante des arbres, attaché à l’environnement…et une belle histoire d’amour qui va suivre…
Le regard de Basheer dépasse les histoires d’héritages pour nous faire regarder la vie autrement, avec des projets où l’éducation et l’amour sont mis en avant.
Chers enfants, je vous invite à découvrir cette belle histoire : lisez le livre “grand-père avait un éléphant.”
Je vous fais de gros bisous,
A demain,
Shila