Bonjour chers enfants, comment allez-vous ?
Henri et Emmanuel m’ont dit que mercredi vous deviez vous souvenir de personnes disparues lors d’une guerre terrible chez vous, il y a cent six ans.
Ça me fait bizarre ce rituel.
Moi l’éléphante qui ai une espérance de vie de quatre-vingt ans, chaque année le 11 novembre, je devrais me souvenir d’éléphants que je n’ai pas connus car disparus depuis un siècle ?
Ouille ouille ouille, même si j’ai une mémoire qui impressionne les scientifiques, cent six ans, c’est trop pour mon cerveau.
Hummm, cela me fait ruminer.
Maintenant que j’y pense, nous les éléphants, comme vous les humains, sommes très liés à nos anciens, qui racontent plein d’histoires importantes du temps jadis.
Comme je ne comprenais pas pourquoi vous devez vous souvenir chaque 11 novembre, Grand-mère éléphante m’a dit qu’il y a bien longtemps, une arrière, arrière, arrière cousine, prénommée Jenny, née non loin de chez moi sur l’île du Sri Lanka, a été capturée par les humains pour aller vivre dans un zoo en Allemagne, et puis à cause d’une guerre entre humains, s’est retrouvée à Avesne-sur-Helpe, non loin de chez vous, pour faire ce que des humains avec des armes demandaient.
Je ne suis pas du tout contente d’apprendre tout cela : pourquoi nous, les animaux, avons dû participer à ce massacre, qui a tué, selon les estimations, près de dix millions d’humains faisant cette guerre ? Emmanuel m’a expliqué que nous étions forcés, que nous n’y étions pour rien.
Emmanuel m’a raconté que les éléphants ne furent pas les seuls animaux à être obligés par les humains de participer à cette guerre. Emmanuel m’a envoyé pour vous un article à ce sujet.
Comme j’étais très en colère, je suis allée manger des pousses de bambou pour me calmer. En broutant mes chères pousses, je me suis rappelée de quelque-chose d’important.
Nous, les éléphants, avons cette même capacité que vous à honorer ceux qui ont vécu, et qui ne sont plus là.
Nous enfouissons consciencieusement des os d’éléphants que nous n’avons pas tous connus, et nous préparons un bel endroit pour que tout le monde s’en souvienne.
Emmanuel m’a envoyé pour vous un article qui raconte ce moment important pour nous, signe, d’après vous les humains, de notre intelligence :
« Les éléphants montrent un vif intérêt pour les ossements d’individus de leur propre espèce, même s’il s’agit d’éléphants morts depuis longtemps et sans lien de parenté avec eux.
On les a souvent vus manipuler doucement ces os avec leur trompe ou le bout de leurs pattes, dans un état de très grand calme. Parfois, des éléphants complètement étrangers à la personne décédée reviennent à de nombreuses reprises visiter ces lieux. Rappelons d’ailleurs que lorsqu’un éléphant est blessé, il sera toujours aidé par d’autres, même s’il ne fait pas partie de leur famille.
Un biologiste sud-africain qui étudia les éléphants d’Addo en Afrique du Sud, pendant plus de huit ans, rapporte un rituel de ce type.
Toute la famille d’une matriarche morte, parmi laquelle son dernier né, s’en vinrent toucher délicatement de corps de la défunte avec leur trompe, en faisant mine de la soulever. Le troupeau émettait alors de forts et graves grondements. L’éléphanteau se mit à pousser des cris qui ressemblaient à des pleurs, tandis qu’au même moment, le reste de l’assistance demeura totalement silencieuse. Tous commencèrent ensuite à jeter des feuilles et de la terre sur le corps et cassèrent des branches des arbres pour le recouvrir entièrement. Le groupe demeura deux jours entiers debout, tranquilles, sans bouger auprès de la morte. Parfois certains partaient pour aller s’abreuver ou se nourrir mais ils revenaient tout aussitôt.
Un fait plus étonnant encore est que les éléphants peuvent se comporter de la même manière à l’égard d’un humain.
En Afrique, à de nombreuses reprises, on les a vu couvrir de feuillages des gens morts ou en train de dormir. George Adamson, un gardien de parc kenyan, a rapporté l’histoire d’une vieille femme Turkana qui s’était assoupie sous un arbre après avoir perdu son chemin. Quand elle se réveilla, un éléphant se tenait debout au-dessus d’elle et la caressait doucement. La femme resta sans bouger, car elle était très effrayée. D’autres éléphants arrivèrent alors qui se mirent à barrir haut et fort en l’ensevelissant sous les branchages. Elle fut retrouvée le lendemain matin par les bergers locaux, saine et sauve.
Le même George Adamson raconte également qu’il a un jour tué d’un coup de fusil un éléphant mâle.
Celui-ci menait une harde qui venait de pénétrer en force dans les jardins du gouvernement au nord du Kenya. George a donné la viande de l’éléphant aux membres de la tribu Turkana locale puis il a traîné le reste de la carcasse à quelques kilomètres de là. La nuit même, les autres éléphants ont retrouvé le corps dépecé.
Ils se sont saisi des os de l’omoplate et des pattes et les ont ramenés à l’endroit exact où leur compagnon avait été abattu. Face de tels faits, les scientifiques débattent aujourd’hui pour comprendre jusqu’à quel degré les éléphants ressentent des émotions. »
Quand Grand-mère éléphante, notre chef, nous emmène pour nous occuper des os des éléphants disparus, je sais que c’est important.
Emmanuel m’a envoyé pour vous un film où l’on peut voir une famille éléphant d’Afrique reconnaître les restes d’un défunt :
Chers enfants, si je suis triste et en colère de ce que les humains ont faite de mon arrière, arrière, arrière cousine Jenny, je me dis que c’est important de l’honorer.
Beaucoup d’humains de mon pays sont morts comme Jenny non loin de chez vous lors de cette guerre atroce, me disent Henri et Emmanuel. Comme nous les éléphants, les humains ont cherché leurs os pour offrir un endroit où ils puissent être enfin tranquilles, et que toutes les personnes qui pensent à elles cent six ans plus tard puissent venir pour s’arrêter, méditer, ruminer.
Gros bisous,
A lundi,
Shila