Lettre de Shila : “Kuttan, mon cornac adoré”

Chers enfants,

Je vous ai parlé des gens sympas de mon pays, des gens passionnés par leur métier, leur engagement politique, professionnel ou autres…., mais aujourd’hui, je tiens à vous parler de Kuttan , mon cornac ou mahout, celui qui avec qui je travaille, voyage.., et celui qui prend soin de moi.

Kuttan me procure, chaque jour, 200 kilos de nourriture, une centaine de litres d’eau, et c’est lui qui me frotte le dos, avec l’enveloppe fibreuse d’une noix de coco, lors du bain.

C’est lui aussi qui me soigne mes blessures ou mes maux de ventre avec les médicaments prescrits par mon médecin ayurvédique.

Kuttan se charge aussi, pendant la saison des pluies de ma cure de rajeunissement. Bien sûr, je vous ai déjà parlé de tout cela, dans mes lettres précédentes, mais aujourd’hui je tiens à l’honorer, car il le mérite.

À force de vivre ensemble, l’éléphante très affectueuse que je suis est très sensible à l’amitié qui me lie avec lui.

Le cornac est, dit-on, maître, guide et soigneur. C’est lui qui me conduit sur mon lieu de travail et qui me guide dans les tâches à accomplir ; en ce qui me concerne, j’ai toujours quelques travaux de transport d’arbres et parfois je suis invitée pour un spectacle au temple de Kurichithanam, en tant qu’artiste, bien sûr. Je peux figurer dans le spectacle du mahabharata, par exemple, transportant un personnage important…

Kuttan me parle dans ma langue, le Malayalam, langue du Kerala, mais comme beaucoup d’Indiens, je suis polyglotte, je comprends le hindi, le tamoul, l’anglais et aussi le français. Mon ami Henri me parle en français et je le comprends parfaitement !!

En 2014, une émission de télévision, chez vous, parlait du métier de cornac  comme un métier du passé :

Le Kerala, État côtier du sud de l’Inde, compte plus de 1500 éléphants domestiqués. Ils appartiennent à des temples ou à des hommes d’affaire aisés, pour qui les pachydermes sont un important marqueur de statut social. Les mahouts, ou cornacs, sont ceux qui éduquent, soignent et chevauchent les éléphants. Portrait de deux d’entre eux, Kuttan et Unni, qui sont unanimes : ils appartiennent probablement à la dernière génération de cornacs, dont la tradition ancestrale détonne dans une Inde de plus en plus modernisée.”

Peut-être ces gens ont un peu raison, surtout en ce qui concerne mon métier dans le transport de troncs d’arbres. En effet, les JCB nous remplacent à beaucoup d’endroits, ces tractopelles JCB, engins motorisés de couleur jaune ou orange, avec leur trompe mécanique, travaillent sur les terrains plats ou à faible dénivelé. Mais dès que la pente est raide, on fait appel à nos services, et dieu sait que le Kerala avec ses High Range, ses Western Ghats, est un pays bien pentu.

Il est vrai que je ne pleurerai pas si Kuttan m’enlève certains travaux pénibles.

N’en a t’il pas été ainsi pour l’emploi des éléphants durant les guerres, pendant de nombreux siècles : au temps des empires d’Alexandre le Grand, d’Ashoka, des Moghols, mes ancêtres et leurs cornacs étaient sur les champs de bataille !! Ces époques sont heureusement révolues pour nous, les éléphants.

Par contre, pour ce qui est de mes prestations artistiques, et toute l’activité dans les fêtes, les temples…., on a un bel avenir devant nous et nos cornacs aussi.

Le métier de cornac ou mahout peut être différent en fonction du statut de l’éléphant : mon Kuttan adoré est employé par mon propriétaire privé qui est très riche. En effet, pour avoir un éléphant, cela suppose que l’on ait les moyens de bien le soigner, le nourrir et l’entretenir, sans compter le salaire des professionnels qui l’entourent, cornac, médecins etc…

Les cornacs des éléphants appartenant à des temples ont aussi un statut privé.

Par contre, les cornacs ou mahouts qui travaillent dans les centres de formation des éléphants sont des fonctionnaires. Les éléphants ont aussi un statut de fonctionnaires : leur temps de formation est de 9h00 à 11h00 et de 15h00 à 17h00. Ils prennent ensuite leur bain après leur dure journée de formation.

Mon ami Henri a trouvé un très vieux document filmé en 1965 dans le centre de Kodanad, ce film montre très bien le travail du cornac chargé de l’apprentissage des éléphants, il dure 14 minutes, mais vous saurez tout sur mon apprentissage du travail avec les troncs d’arbres.

Kodanad est à 55 kilomètres de chez moi, c’est au bord de la rivière Chalakudy, où mes cousins adorent se faire frotter la peau avec les bogues fibreuses de noix de coco.

Kodanad était connu en 1965, lors du reportage. Les touristes y affluent toujours, moins dans cette année 2020, en raison du virus.

Je vous dresse un tableau sympathique de la relation que j’entretiens avec Kuttan : il n’hésite jamais à me faire plaisir et à me gâter en pousses de bambou, en sucre de canne et en fruits variés du Kerala, ananas, bananes, mangues etc…, mais je ne peux pas ignorer que certains cornacs soient parfois maltraitants.

Je vous en ai parlé dans la lettre sur mon copain Ramachandran.

L’éléphant est très sensible, il ne supporte pas l’injustice, l’humiliation, la violence…, il a une mémoire énorme et un jour vient où il explose !! C’est pourquoi je conseille fortement à tous les cornacs de prendre exemple sur Kuttan.

Chers enfants, voilà une belle présentation de Kuttan, mon cher cornac, mais, si un jour, vous avez l’occasion de le rencontrer, ne lui dites surtout pas tout ce que je vous ai dit, car je crains pour ses chevilles.

Je vous fais de gros bisous, et continuez à prendre soin de vous.

A demain,

Shila