Lettre de Shila : “La neutralité”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Pas trop d’embrouilles avec d’autres enfants lors de la récréation, ou une fois rentrés dans vos Maisons ?

Je vous en parle, car hier, alors que j’entretenais avec Kuttan la magnifique forêt créée de ses mains par Mister Abdul Kareem, j’ai soudainement entendu des cris stridents venant d’un Cullenia exarillata. Je me suis rapprochée, intriguée par ce brouhaha, mais n’ai pas réussi à repérer tout de suite d’où venait le conflit. Il faut vous dire que cet arbre avait, d’après Kuttan qui était à mes côtés, au moins vingt mètres de haut, et ses feuilles abondantes.

Au bout d’un long temps d’observation, Kuttan et moi avons réussi à voir les belligérants, tous deux sur la même branche. D’un côté, un écureuil, de l’autre, un singe.

Ouaaaa, quelle bagarre entre eux deux, que de cris, que de gestes agressifs !

J’ai levé ma trompe pour essayer de leur demander de redescendre de l’arbre afin que nous puissions aplanir ces différends, mais les deux créatures ne sont pas venues à ma demande, toutes occupées à se défier en duel.

Vous connaissez, chers enfants, mon appréhension quant aux conflits de territoire :

Je suis convaincue qu’il ne sert à rien de se battre : tout le monde en sort perdant, même le vainqueur.

Bon, l’écureuil et le singe n’ont pas souhaité m’écouter, poursuivant leur duel sur d’autres branches, allant même jusqu’à se défier sur des arbres adjacents.

Tant pis pour moi, tant pis pour eux : parfois nous devons accepter que la passion l’emporte sur la raison tant les émotions sont plus fortes.

Ce qui m’a impressionné dans cette histoire, c’est que le tronc du Cullenia exarillata n’a pas bougé d’un iota malgré le grabuge créé par les animaux, comme s’il était indifférent au capharnaüm pourtant généré par ces bestioles dans son antre, sur ses branches.

Mister Abdul Kareem, qui venait prendre de nos nouvelles car c’était la première fois qu’une éléphante travaillait pour soigner la forêt qu’il a inventée de toutes pièces pour revitaliser les sols de cette contrée aride de mon petit pays, m’a expliqué que l’arbre est d’une grande sagesse.

Comme tous les êtres végétaux vivant dans ce nouveau lieu, l’arbre est là, grandit vaille que vaille, quitte à accueillir les pires embrouilles lors de venues imprévues sur ses écorces.

Ce qui fait la différence entre ce singe, l’écureuil et l’arbre, me dit Mister Kareem, c’est que l’arbre sera toujours là quand les animaux seront de retour, plus calmes, apaisés, voire dans le souhait de vivre chacun à leur façon et que les semences puissent en profiter, et ainsi essaimer au-delà de lui.

Hummm, je comprends mieux et apprécie la sagesse de l’arbre ; les arbres sont des êtres qui vivent bien plus longtemps que l’écureuil, que le singe, et ont une présence ralliant le bien commun qui échappe à notre horizon temporel.

Et bien, chers enfants, je me dis que la neutralité de cet arbre, ne prenant ni parti pour l’écureuil, ni pour le singe, malgré leur embrouillaminis sur ses bras, malgré leur comportement agaçant sur ses branches, peut être une qualité si tout le monde s’y retrouve finalement.

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila

https://www.youtube.com/watch?v=syeatzfzYuE