Lettre de Shila : “Le monde de demain”

Henri voisine d’année en année non loin de chez Shila et lui a parlé de vous : Shila est très intéressée et souhaite converser avec vous, malgré sa timidité, tant elle vous apprécie d’ores et déjà selon les  dires élogieux d’Henri.

Etes-vous d’accord pour dialoguer avec cette créature de plusieurs tonnes ?

Henri et Emmanuel, directeur adjoint aux affaires culturelles de notre association, seront vos porte-parole.  Shila vous répondra sans fautes.

Bonjour chers enfants,

Votre rentrée à l’école se passe-t-elle bien ? Je suppose que pour vous c’est une drôle de rentrée puisque dans une grosse semaine vous serez en vacances.
Mais enfin, cette rentrée me semble très importante, car chaque jour à apprendre quelque chose de quelqu’un, c’est un jour important. Plus on apprend, plus on sait choisir à bon escient.

Ce qui me fait penser à la lettre que je vous écrivais lundi : les terribles ravages d’un gaz mis au point pourtant par des ingénieurs, des scientifiques ; des personnes qui savent beaucoup de choses, qui ont beaucoup appris, sont allés à l’école pendant beaucoup d’années.

Cette catastrophe de l’endosulfan nous montre que le savoir ne fait pas tout : il faut l’accompagner de l’esprit de sagesse, être dans le souci de la précaution.

Ce sont de ces valeurs dont j’aimerais vous parler aujourd’hui.

En Inde, les humains ont un gros problème pris très au sérieux depuis des décennies ; il y a beaucoup trop de personnes par rapport à la place disponible : un milliard trois cents cinquante-trois millions d’indiens selon le dernier recensement !
Et d’ici 2050 selon les estimations que m’a envoyées Emmanuel, ami de mon cher voisin Henri, l’Inde sera le pays le plus peuplé du monde, avec un milliard six cents millions de personnes, enfants et adultes.

D’ores et déjà, mon pays est parmi les quatre pays au monde qui a la plus grande densité de population humaine par kilomètre carré, et le problème de partage des ressources en terre, en eau, va de ce fait être crucial pour que tout le monde ; animaux, humains, puissent continuer à vivre une vie bonne. 

Pour l’instant, la situation est préoccupante : il y a de moins en moins de terres disponibles pour nourrir tout le monde.

C’est pourquoi mon pays mise fortement sur l’école pour s’en sortir. Pourquoi l’école, me direz-vous ?

Je crois que c’est pour former des ingénieurs et des scientifiques qui vont trouver des solutions.

Moi l’éléphante curieuse de tout, je me suis intéressée à la ville de Bengalore, à quatre cents kilomètres environ de chez moi : elle a bâti de grands gratte-ciel très modernes, avec des humains qui y entrent et qui en sortent pour travailler chaque jour à l’amélioration de ce que les humains appellent « les technologies » : les smartphones, l’internet, mais aussi les vaccins, les semences améliorées pour de meilleurs rendements dans les fermes.

La ville de Bengalore est cet incroyable endroit qui, en Inde, concentre tant d’humains très éduqués pour essayer de créer le monde de demain, avec des conditions de vie qui seront au service de toutes et tous. C’est un peu comme votre Fablab, d’après ce que me dit mon voisin Henri : un endroit où se trouvent des machines pour que vous puissiez inventer le monde de demain.

Et pourtant, Bengalore est l’une des villes les plus polluées de mon pays, et cette pollution désastreuse pour ses habitants est due aux activités humaines, supposées intelligentes, dont je viens de vous parler.

Alors mes enfants, tout ceci m’inspire qu’apprendre et savoir beaucoup de choses ne signifient pas forcément que l’on est intelligent.

Je pense qu’être intelligent, c’est d’abord être humble : reconnaître les problèmes que pose tout ce qui est présenté comme solutions, afin de les corriger, les surmonter.

Inventer quelque chose en soi n’est pas mauvais, bien au contraire : je vais vous raconter une petite histoire.

Je regarde beaucoup les singes dans les montagnes quand mes cornacs m’emmènent pour entretenir la forêt. Un jour, j’ai vu un singe prendre un caillou. Le singe a dû comprendre qu’il pourrait se servir de la pierre pour casser la noix de coco et manger son contenu, le faire partager à sa famille. Emmanuel me dit que d’autres singes, il y a plusieurs milliers d’années, ont aussi utilisé des cailloux pour se nourrir. Les humains disent du singe qu’il a alors développée sa capacité de réfléchir, et les humains disent aussi que par ce caillou et la façon de s’en servir, le singe est présenté comme l’ancêtre de l’homme.

Moi l’éléphante observatrice, je constate que le même caillou employé par le singe pour se nourrir et en faire profiter sa famille – ce qui est bien, peut être un instrument pour agresser et intimider tout autre animal – ce qui est mal.

Le danger, mes chers enfants, c’est donc de croire que toute invention est un progrès : il est très important de réfléchir à ce que nous créons. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Et si l’on ne peut le savoir tout de suite, aura-t-on le souci d’y veiller chaque jour passant pour que tout le monde s’y retrouve ? C’est à ces conditions, je crois, que nous pouvons, animaux, humains, prétendre à un avenir meilleur.

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila