Lettre de Shila : “Le mot le plus long”

Bonjour chers enfants, comment allez-vous ? Vos vacances furent-elles bonnes ?

Emmanuel, l’ami de mon cher voisin Henri, m’a dit que dans vos Maisons, vous avez fêté une drôle de date, qui, si j’ai bien compris, vous permet de manger des bonbons encore plus de que de raison :

Humm, curieuse fête durant laquelle vous célébrez des créatures bizarres telles que les « sorcières »…

Mon cher voisin Henri m’a expliqué que les sorcières étaient des personnages réels et fictifs racontés voici très très longtemps, et ayant des pouvoirs mystérieux et surnaturels.

Ah, mais ça m’intéresse ; vous connaissez ma passion pour cette question :

OK, donc si je comprends bien, ce sont des sortes de magiciennes ?

Henri me dit que j’avais presque raison, que ces dames et demoiselles avaient des manières de cuisiner de drôles de mixtures en parlant des phrases interminables que personne ne comprend, et qui déclenchaient des pouvoirs extraordinaires.

Mais, que disaient-elles quand elles cuisinaient leur chaudron, faisaient chauffer leur alambic, et que tout à coup, une fois ces potions bues par des humains crédules, arrivaient des aventures pas piquées des hannetons  ?

Et bien, me dit Henri, ce sont des mots tellement bizarres que des humains se sont empressés d’essayer de les écrire pour essayer de s’en souvenir, de crainte de les entendre à nouveau.

Mon cher Kuttan, qui était aux côtés d’Henri, lut une des formules de sorcières qu’Henri avait ramenée de sa bibliothèque : « Sose benrenki, sose bluotrenki, sose lidirenki : ben zi bena, bluot zi bluoda, lid zi geliden, sose gelimida sin. » Et hop ! : écoutant ces mots incompréhensibles, tout d’un coup ma cheville douloureuse, depuis ce satané incident de ma buttée contre le tronc d’arbre… :

… fut comme guérie : plus de bobos, j’ai gambadé comme une jeune éléphante des premiers jours.

Ça alors !

Hummm, c’est au moins aussi efficace que notre médecine ayurvédique mais, bon sang ! : que ces incantations sont interminables et imprononçables.

Mon cher Kuttan me dit que dans mon pays, l’Inde, nous sommes réputés pour avoir l’un des plus longs mots du monde. Kuttan me le dit…

Ouille ouille ouille. Moi l’éléphante très intelligente et férue de calculs sans queue ni tête suis pourtant dépassée par tant de lettres dans un seul mot.

Vous êtes prêts les enfants ? Alors ce mot est… :

« निरन्तरान्धकारित–दिगन्तर–कन्दलदमन्द–सुधारस–बिन्दु–सान्द्रतर–घनाघन–वृन्द–सन्देहकर–स्यन्दमान–मकरन्द–बिन्दु–बन्धुरतर–माकन्द–तरु–कुल–तल्प–कल्प–मृदुल–सिकता–जाल–जटिल–मूल–तल–मरुवक–मिलदलघु–लघु–लय–कलित–रमणीय–पानीय–शालिका–बालिका–करार–विन्द–गलन्तिका–गलदेला–लवङ्ग–पाटल–घनसार–कस्तूरिकातिसौरभ–मेदुर–लघुतर–मधुर–शीतलतर–सलिलधारा–निराकरिष्णु–तदीय–विमल–विलोचन–मयूख–रेखापसारित–पिपासायास–पथिक–लोकान्  »

… Et dirait, d’après ce que l’on en sait :

Ici, la détresse causée par la soif aux voyageurs a été atténuée par les rayons des yeux brillants des jeunes filles, des rayons faisant honte aux courants de lumière, d’eau chaude et froide chargés de la forte odeur de cardamome, du clou de girofle, de safran, de camphre et musc et sortant des pichets (tenus dans) les mains semblables à des fleurs de lotus des vierges (assises) près des belles criques, faites de grosses racines de vétiver mélangées à la marjolaine, leurs pieds couverts de sable mou comme des coussins, et un groupe de nouveaux manguiers en germination, qui ne cesse d’obscurcir l’espace, ce qui avait d’autant plus de charme à cause des gouttes ruisselantes de jus floral, causant ainsi l’illusion d’une rangée de gros nuages de pluie, densément remplis de nectar abondant.”

Il est très ancien d’après Kuttan.

Et vous, chers enfants, est-ce que dans votre petit pays vous avez des noms, des mots, des phrases interminables pour dire à tout le monde des messages très importants ?

Emmanuel me dit qu’en ce moment existe en effet le problème des noms de villages pas loin de chez vous, tellement longs qu’ils ne rentrent pas dans les cartes d’identités de leurs habitants. Ce problème lexical, me dit Emmanuel, fait causer dans les chaumières.

Ah mes chers enfants, que la civilisation peut être surprenante : même les mots sont des arborescences invraisemblables et espiègles 😊

Tout cela me ravit et me fait sourire, vive la vie et ses entourloupes :

Je vous embrasse très fort,

A demain,

Shila