Lettre de Shila : “Les Fables de La Fontaine et les sources indiennes”

Chers enfants,

Je sais que vous aimez beaucoup écouter les contes, les fables, toutes ces belles histoires qu’on raconte aux enfants avant de dormir.

Ici, en Inde, les contes ont une très grande importance.

Ma voisine, Aleyamma, me disait que lorsqu’elle était enfant, avec son bel uniforme de l’école, on lui contait de très belles histoires.

Elle tenait beaucoup à me l’histoire du perroquet Touti, appartenant à Madhu, un riche marchand d’épices de la côte Malabar.

Madhu devait repartir en Perse, très loin du sud de l’Inde, là où il avait acheté son perroquet Touti, plusieurs années auparavant ; il propose à Touti de demander tout ce qu’il désire, ce à quoi le perroquet répond : “Dis bonjour à mes frères perroquets de ma part.”

Madhu est surpris de la demande de son perroquet Touti, lui le riche marchand était prêt à lui offrir un gros cadeau !!

Lorsque Madhu est arrivé à Ispahan, il aperçoit les frères de son perroquet Touti, et leur transmet son bonjour ; les perroquets, du haut de leur arbre demandent comment vit Touti, et lorsque Madhu leur explique qu’il vit dans une belle cage en or, tous sont tombés raides morts.

À son retour, Touti demande à Madhu les nouvelles de ses frères perroquets, et lorsque Madhu lui a expliqué ce qui est arrivé à ses frères, Touti tombe raide dans sa cage en or.

Madhu ouvre alors la cage et va jeter son perroquet dans le jardin, mais quelle n’est pas sa surprise de voir Touti s’envoler !!!

Pour moi, l’éléphante très subtile, je n’ai pas tout compris, mais je me suis dit que Touti avait bien joué et que la liberté était le plus grand cadeau !!

Cette libération me fait penser à l’histoire de Kaavan, ce cousin éléphant esseulé et pas bien traité dans un zoo du Pakistan. Il a été libéré de cet emprisonnement grâce à l’intervention d’une star américaine, suite à un long processus, et a pu retrouver ses congénères au Cambodge et une vie meilleure.

Je pense encore à cette belle fable de Jean de la Fontaine, que l’on m’a contée, “Le lion et le rat“, où le lion, pris dans le piège du filet, est libéré par un gentil rat qui, avec ses dents très coupantes, sectionne le  filet !!

La leçon tirée de la fable est double :

On a souvent besoin d’un plus petit que soi,

Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Je sais qu’en France, les enfants apprennent les fables de La Fontaine, de très jolies histoires, amusantes et pleines de sens : le lièvre et la tortue, le loup et l’agneau, la laitière et le pot au lait, le corbeau et le renard, le lion et le rat…

J’adore entendre toutes ces histoires, où les animaux parlent entre eux, discutent, argumentent.

Jean de la Fontaine, ce poète français du dix-septième siècle, pour le plus grand bonheur des enfants et de tous, a su s’inspirer des écrits très anciens et  faire connaître de fabuleux contes où les animaux ont la parole et invitent les humains à la réflexion. Il nous a mis en lien avec la Grèce ancienne et le poète Esope puis avec mon pays, l’Inde antique avec les écrits du Panchatantra.

La première de ses sources est, en effet, Esope, qui vivait il y a très longtemps, au septième siècle avant Jésus-Christ. La fable “Le lion et le rat” est inspirée d’une fable d’Esope.

Esope: Fabuliste grec (septième, sixième siècle avant Jésus-Christ). Personnage à demi-légendaire, esclave bègue et bossu. D’après Plutarque, il fut mis à mort par les Delphiens. Esope vivait à la cour du roi de Lydie et écrivit des fables en s’inspirant des contes orientaux avant que La Fontaine ne s’inspirât des siens. Esope offrit à La Fontaine des canevas brefs et simplets. En fait, il donna à La Fontaine l’idée et l’intrigue de la fable que celui-ci mettait ensuite en forme.

Le premier recueil de fables d’Ésope historiquement attesté a été constitué par Démétrios de Phalère au quatrième siècle avant Jésus-Christ, plus de deux cents ans après la mort d’Ésope. Ce recueil est perdu, mais il a donné naissance à d’innombrables versions. La plus importante est le recueil appelé Augustana, qui compte plus de 500 fables, toutes en prose. Dans son édition critique de ce recueil, Chambry a retenu 358 fables. Certaines sont toujours très populaires, telles :

Le Loup et l’Agneau

La Tortue et le Lièvre

Le Loup et le Chien

Le Loup et le Héron

Le Rat des Champs et le Rat de Ville

Le Corbeau et le Renard

Le Renard et les Raisins

L’Homme et le Satyre.”

La deuxième source d’inspiration de Jean de la Fontaine est orientale et plus précisément indienne.

La Fontaine déclarait volontiers à propos du second volet de ses fables : “J’en dois la plus grande partie à Pilpay.”  Ce sage indien, auteur du Panchatantra (troisième siècle avant Jésus-Christ, ou “Livre d’instruction en cinq parties“), avait rédigé ce livre de gouvernance à l’intention des princes en quinze contes :

Les fabulistes orientaux, connus de La Fontaine par les histoires racontées par François Bernier, grand voyageur, et médecin de l’empereur Auregheb, de retour des Indes en 1669. La Fontaine s’inspira notamment des fables de Pilpay, dont l’original était écrit en sanscrit. La Fontaine s’en procura un exemplaire traduit en français sous le titre “Les lumières canopiques” par Gaulmin. Quelques fables tirées d’ouvrages arabes ou hébreux ont également parfois inspiré La Fontaine.”

À l’origine, les fables du Panchatantra

L’Inde a un riche héritage de contes et de légendes populaires, une source importante d’histoires pour les enfants. La tradition orale remonte sur plus de cinq milles ans, et le plus ancien recueil du monde d’histoires pour les enfants, le Panchatantra indien, provient de cette tradition.

Les fables du Panchatantra ont été recueillies par Vishnu Sharma, afin d’enseigner le Niti (« la sage conduite de la vie ») aux trois fils d’un ancien roi. En tout, il y a quatre-vingt-quatre fables, et beaucoup plus d’anecdotes imbriquées – ce qui était la manière de conter traditionnelle des Indiens pour soutenir l’attention. Avant que le Panchatantra soit écrit, les histoires avaient déjà été disséminées en dehors de l’Inde par des voyageurs, qui les firent connaître en Asie de l’Ouest ainsi que dans les pays européens. Ces fables et ces contes ont été traduits et adaptés en plus de deux cents langues à travers le monde.”

Comme il est justement expliqué, la tradition orale remonte à des milliers d’années, et il a fallu attendre que ces légendes et contes soient écrits et traduits pour arriver jusqu’à nous aujourd’hui.

Jean de la Fontaine fréquentait les cercles de poètes, de grands voyageurs… C’est là qu’il a entendu parler du Panchatantra, épopée indienne en cinq livres, mettant par écrit, au deuxième siècle avant Jésus-Christ, une tradition orale millénaire. Les fables animalières du panchatantra, appelées fables de Pilpay ou Bidpaï, ont été traduites d’abord en arabe dans les fables de Kalîla et Dimna. Henri m’a envoyé pour vous un article qui raconte bien cette belle histoire :

En 1644, une version française, réalisée à partir d’une nouvelle traduction persane du texte d’Ibn al-Muqaffa‘, fut publiée par Gilbert Gaulmin. La Fontaine emprunta aux histoires de Kalîla et Dimna les éléments ou la trame de quelques-unes de ses Fables : Le Chat, la Belette et le Petit Lapin, Le Chat et le Rat, Les Deux Pigeons, La Laitière et le Pot au lait…”

Vous voyez, chers enfants, que des liens nombreux existent entre nos pays respectifs, remontant le temps, grâce à la littérature et les fables.

Je ne peux m’empêcher de vous donner la fable des deux amis inspirée de l’Inde et interprétée par des artistes indiens :

J’ai l’impression que nos échanges de lettres de situent dans cette grande tradition orale très ancienne de la fable et du conte. Nous sommes chanceux d’avoir eu aussi ces poètes , Ésope, Pilpai, Phèdre et La Fontaine qui ont contribué à nous faire parvenir ces fabuleuses histoires.

Je vous fais de gros bisous,

A demain,

Shila