Chers enfants,
Dans une précédente lettre, je vous parlais de ces populations nomades de l’Inde et d’Europe, avec des liens très anciens entre eux, les nomades européens ayant des racines en Inde.
Ces populations ont été victimes de la folie humaine, au cours de la deuxième guerre mondiale. Je vous disais ma totale incompréhension :
“Je ne comprends pas comment un gouvernement nazi a pris la décision de d’exterminer les nomades chez vous pendant la seconde Guerre mondiale !!!“
Les Tsiganes furent l’un des groupes persécutés pour des raisons raciales par le régime nazi et ses alliés dans toute l’Europe.
Les Nazis considéraient les Tsiganes comme “racialement inférieurs” et s’appuyaient sur les préjugés sociaux de nombreux Allemands non nazis à leur encontre. En de nombreux points, le sort des Tsiganes s’apparentait à celui des Juifs. Sous le régime nazi, les Tsiganes subirent des internements arbitraires, furent soumis au travail forcé et assassinés en masse.
Les grands menteurs, dont je vous ai parlé dans la lettre ont décidé l’extermination de tous les juifs, 6 millions d’entre eux ont été assassinés. Une catastrophe appelée la Shoah, la catastrophe.
Pour moi, l’éléphante de Kurichithanam, je ne comprends plus rien, comment des “humains” peuvent devenir de tels criminels.
Dans mon pays, et particulièrement au Kerala, les juifs sont présents depuis plus de deux mille ans : depuis l’Antiquité, l’Inde abrite des communautés juives qui ont toujours pratiqué leur religion en toute liberté, et dont la caractéristique, au contraire des autres diasporas, est de n’avoir jamais souffert d’antisémitisme.
Tout cela me rend très fière de mon pays , et en même temps dévastée en pensant que l’on peut être condamné à une mort atroce en raison de son appartenance à une tradition religieuse ou à une population de nomades.
À 52 kilomètres de chez moi, à Cohin (Kochi), il y a un quartier de la ville, appelé Jew town, la ville juive. Mon voisin Henri aime beaucoup visiter ce quartier commerçant, où le parfum des épices est délicieux et où viennent des touristes du monde entier, visiter la synagogue, acheter des souvenirs et flâner le long du port, avec ses chinese nets, filets de pêche type carrelet.
Il me disait qu’il y 40 ans, les familles juives tenaient les magasins du quartier. Aujourd’hui ces familles ont disparu, les jeunes ont quitté l’Inde, soit pour Israël, soit pour d’autres pays. Ce sont les commerçants cachemiris qui ont pris la relève.
Pour comprendre l’histoire des juifs de l’Inde, il nous faut remonter à l’antiquité. Je vous ai parlé des routes du bout du monde de l’antiquité à nos jours dans une précédente lettre, avec la référence à un livre :
“Ce livre incroyable est Le Périple de la mer Érythrée, il décrit avec précision la navigation et les opportunités commerciales entre les ports romains, égyptiens, ainsi que les ports de l’Afrique orientale et de l’Inde.“
C’est avant tout par le commerce du poivre et des épices que les juifs sont arrivés au sud de l’Inde, il y a 2000 ans :
“L’Inde abrite des Juifs depuis des temps immémoriaux. Ceux de Cochin, dans le sud-ouest du pays, s’y seraient installés il y a au moins deux mille ans. Il s’agit de marchands ou de réfugiés fuyant Jérusalem, conquise par les Romains. Il y a aussi parmi eux des agriculteurs, des soldats. Des Juifs ibériques, expulsés d’Espagne, les rejoignent au XVIe siècle. Pour la plupart prospères, ils sont bien vus dans la société indienne et conservent leur identité juive. Leur belle synagogue dite « Paradesi » « des étrangers » a été fondée en 1568.”
Les juifs de l’Inde vivent dans les ports, ce sont pour la plupart des commerçants.
Cochin (Kochi) et Bombay (Mumbai), qui sont des grands ports de l’Inde, ainsi que les ports de Surat, au Nord-ouest et Calcutta (Kolkata) au nord-est sont les principaux lieux où se sont installées les communautés juives.
Monique Zetlaoui, historienne, explique de façon très intéressante, l’histoire du judaïsme en Inde dans une vidéo conférence.
Cette belle histoire est reprise dans l’article suivant :
Ce qui me réjouis, moi l’éléphante très intéressée par la vie de mon pays et du monde, c’est de voir comment mon petit pays du Kerala a depuis toujours été un carrefour où, grâce au commerce, des gens venus de très loin se sont installés ici. Leurs traditions ont été respectées, ils ont appris la langue dravidienne qu’est le Tamoul ainsi que le Malayalam.
Ici, au Kerala, on appelle avec beaucoup de respect ces gens venus, il y a très longtemps du Moyen-Orient, juifs et arabes ainsi que chrétiens syriaques, les Mapillas :
“”Mappila” (“le grand enfant”, synonyme de gendre / époux) était un titre respectueux et honorifique donné aux visiteurs étrangers, aux marchands et aux immigrants de la côte de Malabar par les hindous indigènes. Les musulmans ont été appelés Jonaka ou Chonaka Mappila (“Yavanaka Mappila”), pour les distinguer des Nasrani Mappila (Chrétiens de Saint Thomas) et du Juda Mappila ( Juifs de Cochin ).”
Ce qui est formidable au Kerala, c’est que la tolérance fait partie des gènes, les composantes de la société keralaise sont, comme vous le voyez, très diverses et très anciennes.
Il semble malheureusement que les Juifs du Kerala soient presque tous partis soit en Israël soit dans d’autres pays du Commonwealth, depuis 1948, à la création de l’état d’Israël.
Il reste quand même des lieux de mémoire très importants tels que la synagogue paradesi de Cochin et celle de Paravur, à quelques kilomètres au nord de cochin.
La synagogue de Paravur, qui était à l’abandon, a été transformée, par le gouvernement de l’état du Kerala, en musée de l’histoire des juifs.
Voilà, chers enfants, un petit aperçu qui montre comment, à l”inverse de beaucoup de pays dans le monde, mon petit pays est un lieu où l’ autre, quelle que soit sa différence, est respecté. Comme le disait un journaliste de votre pays, présentant le Kerala, sur l’émission Thalassa, le Kerala a parfumé le monde, (par son poivre, ses épices), sans jamais perdre son âme.
La tradition matriarcale nair du Kerala a même influencé la synagogue de Cochin, comme le souligne Monique Zetlaoui, car c’est la seule synagogue, avec celle d’Ouzbékistan, où les femmes ont une place particulière.
Je vous fais de gros bisous et surtout prenez soin de vous,
A demain,
Shila