Lettre de Shila “L’inde visitée au travers de photos centenaires”

Bonjour les enfants,

Je sais que, dans vos maisons, vous êtes très intéressés par la culture et que vous travaillez avec les musées de Boulogne sur mer et de Dunkerque entre autres et que vous fréquentez le théâtre à Hardelot.

Mais avec le reconfinement, vous ne pouvez pas sortir de votre région. Mon ami Henri m’a parlé d’une exposition qu’il a eu la chance de voir dans le Parc de Sceaux, exposition intitulée : Albert Khan et les archives de la planète.

Des copies de superbes photos vieilles de plus d’un siècle sont exposées. Ces photos représentent des gens et des monuments pris dans de nombreux pays méditerranéens, orientaux (Turquie, Japon, Chine, Inde…).

Mais qui était donc Albert Kahn, ce monsieur très riche qui s’intéressait, comme vous, aux cultures et civilisations lointaines, très différentes de la sienne ??

L’histoire d’Albert Kahn est exceptionnelle : jeune garçon de 16 ans qui débarque à Paris, qui devient un riche banquier et qui dépense une part de sa  fortune à la réalisation d’un projet philanthropique. Il investit des sommes considérables dans un grand nombre d’institutions destinées à favoriser la paix dans le monde. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article qui raconte cette histoire formidable :

L’objectif du mécène Albert Kahn est double. D’une part, il cherche à conserver la mémoire du monde en train de disparaître sous l’impact de la modernité. Peut-être cette préoccupation dérive-t-elle de sa pratique de financier intéressé aux activités modernes, sources de profits importants. Elle suppose en tout cas la conscience aiguë du caractère éphémère des sociétés du temps. L’autochrome et le cinéma représentent alors les modes d’enregistrement les plus fidèles de cette réalité du monde que parcourent les opérateurs photographiques et cinématographiques d’Albert Kahn. D’autre part, à travers la documentation ainsi réunie, Albert Kahn cherche à composer le « Grand livre de l’Homme », à saisir le caractère unique de l’homme au-delà des différences culturelles. Il est convaincu que les élites de son époque, au vu de ces images, ne peuvent qu’acquérir l’esprit de tolérance, gage de la paix universelle.

La caution de ce projet ambitieux — il s’agit rien moins que d’archiver le monde, dans une perspective encyclopédiste flagrante — est nécessairement le recours à un scientifique. Albert Kahn demande en 1912 au géographe Jean Brunhes d’organiser ses Archives de la Planète. Ce spécialiste de la discipline encore neuve alors qu’est la Géographie humaine est l’un des rares utilisateurs de la photographie dans sa discipline, car lui aussi recherche une restitution de la réalité la plus fidèle possible.

C’est aux photos de l’Inde que mon ami Henri s’est davantage intéressé et qu’il a reprises pour vous.

En 2008, au musée Albert Kahn, à Boulogne Billancourt, une exposition intitulée Infiniment Inde était dédiée uniquement à mon pays :

L’Inde du début du XXe siècle dans ce qu’elle a de plus beau, d’étrange et de mystérieux. Une Inde presque entre deux cultures, encore nommée Empire avec la présence des Britanniques. Albert Kahn alors rêve de constituer les Archives de la planète. Ce qu’il réalisera. L’Inde en fait partie. Il envoie d’abord des photographes qui réalisent des autochromes en couleurs. Et à la fin de 1913, un caméraman, Stéphane Passet, ramène des courts-métrages en noir et blanc. Une décennie plus tard, en 1927, un autre cinéaste prend le relais : Roger Dumas. Ces clichés, ces films constituent aujourd’hui des documents exceptionnels sortis du fonds de 72 000 plaques autochromes du Musée Albert-Kahn. Rien n’y manque de l’Inde, tant au quotidien qu’à travers la religion, les palais des Maharadjahs ou les rites ancestraux. Une Inde telle que nous l’ont transmis les récits et la littérature, vivante, pauvre et luxuriante à la fois. Dans cette exposition, cent cinquante clichés proposent des ambiances des grandes villes comme Bombay ou Delhi. Véritable promenade au cœur même de la vie avec ses dévots et ses brahmanes devant les temples, les crémations de Bénarès, les palais dans leur opulence arrogante, le mausolée du Taj Mahal, tous les petits métiers de la rue comme les porteurs d’eau. Sans oublier les hommes et les femmes qui forment une société des plus contrastée. Et le tout en couleur.

Certaines copies de ses photos sont actuellement exposées dans le parc de Sceaux, photos de Stéphane Passet datant de 1913 et 1914.

L’une du Taj Mahal à Agra, a été prise en décembre 2013, avec le commentaire suivant :

Les trois joyaux des Indes, l’islam et l’amour“.

Une autre du temple jaïn d’Ahmadabad: :

Les trois joyaux des Indes, le jaïnisme et la compassion“.

Puis la photo du taureau sacré, Nandi, monture de Shiva, prise en janvier 1914 à Bénarès (Vanarasi), commentée :

Les trois joyaux des Indes, l’hindouisme et l’offrande.”

Une autre photo montre Tagore, grand poète et philosophe indien, prix Nobel de littérature en 1913 ; la photo est prise dans l’allée des rosiers du jardin d’Albert Kahn à Boulogne-Billancourt en 1921.

Je suis très heureuse de savoir que des liens très intéressants unissent mon pays avec le vôtre, ces photos en sont un beau témoignage.

Il est vrai que mon pays est encore bien plus complexe et pluriel que ne le laisse entendre l’exposition, car le grand photographe, Stéphane Passet, mandaté par Albert Kahn, a séjourné dans le Nord de l’Inde uniquement. Et sans être chauvine, je regrette que Stéphane Passet ne soit pas venu visiter le Sud de l’Inde où les joyaux de l’Inde sont multiples …

Quoiqu’il en soit, en tant qu’éléphante intéressée par les passionnés de mon beau pays, je suis très fière de l’histoire d’Albert Kahn qui était ami avec Tagore, notre grand poète, qui a composé l’hymne national de l’Inde. Il a ouvert l’œil de ses concitoyens sur la beauté et les couleurs du monde.

N’hésitez pas, chers enfants, si l’occasion se présente, à visiter le musée départemental Albert Kahn, ainsi que le jardin Albert Kahn qui est le pendant végétal de l’œuvre du banquier dédiée à un idéal de paix universelle, à travers la connaissance respective de chaque culture.

Je vous fais de gros bisous et surtout prenez soin de vous,

A demain,

Shila