Lettre de Shila : “On the road again”

Bonjour chers enfants,

Comment allez-vous ? Moi, je viens de voir passer sur la route devant chez moi le camion tout coloré, tout bariolé, qui m’emmène d’habitude en forêt avec mon cornac pour y travailler :

J’ai levé ma trompe vers le ciel pour saluer le véhicule et son conducteur, mais il ne s’est pas arrêté. Hummm, bizarre : d’habitude je lève ma trompe, le camion s’arrête et hop !, on part ensemble tailler la route.

Emmanuel, l’ami de mon cher voisin Henri, me dit qu’il ne faut pas me formaliser, que ça arrive aussi souvent aux humains qui lèvent leur pouce sur le bord des voies. Henri me dit que cela s’appelle « faire de l’auto-stop » ; parfois un véhicule s’arrête voyant qu’on lève son pouce, parfois non.

Ah, maintenant qu’Emmanuel et Henri m’ont expliqué ce curieux rituel, je comprends mieux toutes ces personnes que je peux voir de temps en temps lever leur pouce sur le bord de la route non loin de chez moi :

En fait, ils viennent de très loin, pour essayer d’aller très loin.

C’est un peu comme nous, les éléphants, qui sommes réputés pour parcourir bien des kilomètres soit pour trouver de quoi boire, soit pour échapper à des humains qui nous veulent du mal :

Intéressant…

Emmanuel me dit que des humains de votre pays aiment bien tenter l’aventure, en auto-stop, de chez vous jusqu’à chez moi :

Mais, est-ce que ça peut marcher avec une éléphante de trois tonnes ? Je me demande si, à chaque fois que je lèverai ma trompe dès qu’un camion se présente devant mon pré, un « Ashok Leyland », un « Tata motors » s’arrêterait.

Ashok Leyland, Tata motors : drôles de noms n’est-ce pas ?

Et bien mes chers enfants, ce sont deux grandes marques de camions fabriqués dans mon pays. Ces deux entreprises racontent à leur façon d’où vient l’Inde, et vers où elle souhaite aller.

Henri m’a expliqué qu’Ashok Leyland raconte comment les indiens ont réussi à se libérer peu à peu de l’emprise des britanniques ; Ashok, c’est indien, Leyland, c’est anglais. En quelque sorte, c’est comme si un vieux couple décidait qu’il valait mieux vivre chacun de son côté, mais sans pour autant se faire la guerre pour cette séparation. Je trouve cela pas mal.

Henri me dit que des fois cela n’a pas marché ; ainsi du fabriquant de camions et voitures de votre pays avec un fabriquant du mien. Henri me dit que c’est à cause de désaccord à propos du “transfert de technologie” de l’un vers l’autre.

Quant à Tata motors, me dit Emmanuel, c’est l’histoire d’une famille indienne qui est convaincue qu’elle peut aider son pays à aller de l’avant, et créer des techniques, des technologies, qui pourront offrir un monde meilleur.

Ouille ouille ouille, c’est bien compliqué tout cela : je ne pensais pas qu’il y avait tant de tergiversations pour qu’une chose puisse rouler sur une route et transporter des animaux, des humains, des plantes, des cailloux. Mes chers enfants, vous connaissez mon scepticisme quant à la notion de « progrès » :

J’espère qu’”Ashok Leyland”, “Tata motors”, “Renault” ou “Mahindra” auront la sagesse de vérifier régulièrement que tous ces camions, ces autobus, ces voitures, apportent réellement un bienfait pour vous autres les humains, nous autres les animaux, mais aussi aux plantes, les cours d’eau, la neige des montagnes, les sols sur lesquels ces choses à roues circulent.

Quoi qu’il en soit mes chers enfants, je pense continuer à lever ma trompe en écoutant un camion arriver, car c’est comme un rendez-vous quotidien pour le voyage et le dépaysement.

Je vous fais de gros bisous,

A lundi,

Shila