Lettre de shila : “Se parler plutôt que de se battre : l’histoire du bébé buffle”

Bonjour les enfants,

Comment allez-vous depuis hier ?

Emmanuel, ami de mon cher voisin Henri, me dit que vivre dans une Maison d’enfants, ça peut être compliqué, car il faut composer avec plein d’enfants qui des fois ne sont pas d’accord avec vous, des fois sont en colère et s’en prennent à vous sans raison. Je sais par mon voisin Henri et son ami Emmanuel qu’heureusement les adultes qui vivent avec vous interviennent pour arrêter ces différents.

Moi aussi, chers enfants, je vois bien que parfois les animaux sont pris à partie par d’autres animaux alors que rien ne justifie cette agression :

Je ne comprends pas pourquoi les buffles sont attaqués par les lionnes, je ne comprends pas pourquoi dans cette bataille le bébé buffle qui tombe à l’eau est à son tour attaqué par les crocodiles. J’aime bien à la fin du film quand le peuple buffle vient sauver le bébé, mais je trouve que rien n’est résolu.

Jis, ma copine, m’a expliqué que le film raconte que les peuples animaux se bataillent souvent pour des questions de territoire ; il est dangereux aux buffles de venir boire dans l’eau du lac, même s’ils ont très soif, car c’est là qu’habitent les crocodiles, c’est là que vivent les lionnes.

Moi, l’éléphante observatrice, je me dis que ces conflits de territoire concernent tout le monde : animaux, humains.  Ma sœur sauvage a eu le malheur de venir manger des ananas car elle avait faim, et les humains qui les cultivaient ne voulaient pas que ces ananas qu’ils cultivent jour après jour soient consommés par un animal venu de la forêt :

Du côté de l’Himalaya, pays de l’une des mamans de Ganesh, cet Eté il y aussi eu de graves batailles entre humains ; indiens d’un côté, chinois de l’autre, et tout cela pour des montagnes désertiques où il ne fait vraiment pas bon vivre de toute façon.

Tout cela m’attriste : est-ce que nous les animaux, vous, les humains, pouvons vivre sans se faire du mal malgré nos différences à propos de ce que nous considérons notre besoin vital ? Cela me fait ruminer.

Je pense, mes chers enfants, qu’il nous faut réfléchir à ce que c’est qu’être propriétaire d’un territoire, à propos de ce qui nous représente dans nos besoins essentiels.

Je vois bien en effet que beaucoup de situations où l’on se tape l’un sur l’autre, parfois jusqu’à faire souffrir ou à en mourir, s’expliquent au nom de ce mot : « territoire ». C’est un mot qui dit ce qui nous appartient au plus profond de nous, ce sans quoi nous croyons ne pouvoir vivre.

Emmanuel, l’ami d’Henri, m’a envoyé pour vous le film d’un Monsieur qui a réfléchi à ce mot de territoire, qui pose tant de problèmes on le voit bien :

Ce vieux Monsieur qui s’exprime bien loin de là où j’habite, et qui n’est pas de mon espèce, attire pourtant mon attention : il me semble être aussi sage qu’Ashoka, dont je vous parlais hier.

Ce que j’ai compris de Monsieur Deleuze, c’est que quand nous entrons dans un endroit qui n’est pas le nôtre, un endroit que nous considérons pourtant vital pour que nous puissions vivre, il y a certes une conscience du danger, mais cette conscience peut nous aider malgré tout à exprimer le meilleur de nous.

Des couleurs, des sons, des manières de se comporter quand nous entrons et quittons cet espace de vie essentiel ; c’est sans doute quand nous traversons ses frontières que nous pouvons exprimer ce qu’il y a de plus beau. Aller hors de notre territoire peut être donc une expérience qui nous rend meilleurs.

Mes chers enfants, certes, nous autres les animaux ne savons pas parler la même langue que les autres animaux, mais j’ai l’impression que vous-même parlez parfois des langages différents, au point de ne pas vous comprendre entre vous, au point de se bagarrer.

J’espère que vous inventerez, avec les conseils bienveillants de vos éducatrices, de vos éducateurs, les solutions qui permettront de dialoguer pour que personne n’ait à souffrir de ce qui n’est pas comme nous, de ce qui n’est pas à nous.

Vive la rencontre, vive la diversité :

Je vous embrasse chers enfants,

A demain,

Shila