Chers enfants,
Je ne sais pas si vous allez bientôt avoir la possibilité de voyager un peu avec un confinement moins strict, mais je vous propose de suivre Leonard Cohen, ce chanteur extraordinaire, dont la voix de baryton résonne en nous, cette voix qui nous a enchantés depuis un demi-siècle.
Sa voix basse a touché des gens de toutes générations et de nombreux pays.
Comme je vous l’ai dit, dans ma lettre envoyée voici quelques jours, chez nous, les éléphants, nous avons aussi notre langage et nos modes de communication, avec des sons très bas, (si bas que les humains ne peuvent pas les entendre) que nous pouvons nous faire entendre à plus de cinq kilomètres :
“Les éléphants, qui sont sociables, sensibles et intelligents, communiquent entre eux par le toucher, l’odorat et la gestuelle, mais surtout par des sons. On pense aussitôt au barrissement lancé par la trompe, mais la plupart des sons produits par les éléphants proviennent de leur gorge et sont si bas que nos oreilles ne peuvent pas les entendre. En revanche, nous pouvons les enregistrer et les rendre audibles à nos oreilles. Ces infrasons sont si bas que leurs vibrations transmises par la terre peuvent être entendues par d’autres éléphants au-delà de 5 kilomètres. Ils peuvent ainsi s’avertir les uns les autres à longue distance d’un danger possible ou bien faire savoir où de l’eau est disponible. En communiquant de cette façon, il est également possible pour une femelle de trouver un étalon ou pour deux mâles en musth, de se tenir à l’écart de la route de l’autre. Ils peuvent également appeler à l’aide ou simplement rester en contact.”
Leonard Cohen, par sa musique, avait aussi cette capacité d’atteindre des récepteurs que peu de musiques peuvent toucher :
“Pas n’importe quelle musique bien sûr, seulement ces airs, ces chansons et ces accords qui sont brunis dans le creuset le plus profond de l’existence humaine. Ce que Leonard Cohen avait décrit à David Remnick comme « quelque chose de profond… si l’esprit est sur vous, cela touchera les autres récepteurs humains ».”
Mais comment expliquer le séjour de Leonard Cohen, trente ans après les Beatles, dans mon pays, l’Inde, en fin d’année 1998 ?
Ratnesh Mathur l’a rencontré à Bombay (Mumbai) et a liée amitié avec lui ; Leonard Cohen avait lu des livres de Ramesh Balsekar, durant son séjour au monastère zen du Mount Baldy, près de Los Angeles. Il a décidé de venir le rencontrer en Inde. Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un article qui raconte toute l’histoire :
“Lorsqu’il est arrivé en Inde en 1998, Leonard Cohen était déjà un moine zen. Il avait passé cinq ans en méditation profonde et en silence avec le gourou zen Roshi à Mount Baldy, près de Los Angeles. Cela faisait dix ans qu’il n’avait pas enregistré de musique nouvelle ou joué. Le gourou du folk et de la poésie des années 1960 était complètement sorti de la vie publique. Au lieu de cela, sa quête de toute une vie pour la connaissance et la paix intérieure avait complètement consommé son temps et son attention. Il a été conduit à Bombay par sa curiosité pour rencontrer Balsekar, qu’il a lu dans son monastère.
Cohen a passé une grande partie de 1999 et 2000 à Bombay, puis a fait de brèves visites jusqu’en 2003. C’était toujours dans un seul but – assister aux satsangs quotidiens du matin de Balsekar et passer du temps avec l’enseignant. Beaucoup de ces conversations pendant le satsang ont été conservées dans des enregistrements audio et vidéo par les dévots de Balsekar. Entre les enseignements bouddhistes de Roshi et les enseignements Vedanta de Balsekar, Cohen a finalement trouvé la paix intérieure qu’il avait recherchée toute sa vie adulte. L’excellente biographie de Sylvie Simmons, I’m Your Man, l’explique très bien. Il a recommencé à écrire de la poésie et à dessiner dans son livre d’art.
Certains dimanches matins, Cohen nous a emmenés aux satsangs de Balsekar. C’étaient des discussions de style questions-réponses Vedanta au cours desquelles la philosophie de Balsekar semblait avoir des réponses à toutes les grandes questions de la vie. La clarté de pensée de l’enseignant et son enseignement en anglais avaient attiré de nombreux chercheurs occidentaux. Pendant la plupart des séances, Cohen était assis calme mais attentif. Au fur et à mesure que l’amitié entre Cohen et Balsekar se développait, ils passaient également du temps seuls le soir, loin des dévots du satsang.
La philosophie indienne n’était pas nouvelle pour Leonard lorsqu’il s’est rendu pour la première fois en Inde en 1998. Sa compréhension de la pensée bouddhiste et védanta lui a permis de mieux comprendre la vie quotidienne de l’Inde. Il était au milieu de la soixantaine et n’avait pas envie de voyager, mais il tenait à connaître le Mumbaikar moyen. Le chaiwallah, le personnel de nettoyage de l’hôtel et les chauffeurs de taxi étaient les Indiens qui l’intéressaient le plus. Il a poliment refusé les invitations de l’élite de Mumbai, qu’il rencontrait parfois au club ou au satsang.”
D’après ce qui nous est dit, Leonard Cohen s’était imprégné de la tradition indienne, dans les textes très anciens des upanishads et de la Baghavad-gita qui est la partie centrale du poème épique Mahabharata, dont je vous ai parlé.
Chers enfants, il y a de quoi perdre son sanskrit, pour une éléphante très lettrée, mais je ne puis qu’admirer la démarche de ce grand poète et chanteur qu’est le mahatma Leonard Cohen, homme toujours en quête de connaissance et de paix intérieure, s’intéressant à ce qui fonde la différence entre les humains et les respectant profondément.
Mon cher voisin Henri m’a envoyé pour vous un bel article l’honorant à sa mort, il y a déjà quatre ans.
Vous y trouverez quelques unes de ses extraordinaires chansons.
Chers enfants, le thème de votre année En vérités est un thème formidable à approfondir en ces temps qui courent, et la vie de Leonard Cohen nous est un bel exemple de continuelle recherche de la vérité profonde dans des civilisations très différentes.
Je vous fais de gros bisous,
A demain,
Shila