Chers enfants,
J’espère que vous allez bien et que vous avez passé de bonnes vacances avant de vous retrouver encore une fois confinés à Boulogne-sur-mer.
Au Kerala, la situation sanitaire ne me permet pas encore de me déplacer avec mon cornac Kuttan, mais ça me laisse le temps de m’intéresser à l’histoire des échanges entre mon pays, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe qui remontent à la nuit des temps :
Un livre écrit en grec ancien par un auteur anonyme, au tout début de notre ère, raconte avec précision la route que suivaient les commerçants qui faisaient les échanges entre nos pays, il y a 2000 ans !!
Ce livre incroyable est Le Périple de la mer Érythrée, il décrit avec précision la navigation et les opportunités commerciales entre les ports romains, égyptiens, ainsi que les ports de l’Afrique orientale et de l’Inde.
Les marins, il y a 2000 ans, savaient utiliser les vents de la mousson et les courants pour naviguer entre la corne de l’Afrique et l’Inde et le Kerala, où il achetait le poivre :
Moi, l’éléphante philosophe, voilà que je commence à m’intéresser à l’histoire. Les historiens nous aident à mieux comprendre le but de tous ces voyageurs qui sillonnent les mers pour le commerce, mais aussi pour échanger sur les savoirs et s’étonner des similitudes et des différences entre les peuples.
Dans mon pays, la conservation des livres est très difficile en raison de l’humidité très importante, accentuée par les moussons de sud-ouest, de juin à septembre et de nord-ouest, d’octobre à novembre, chaque année. Les historiens n’ont plus les manuscrits qui les auraient instruits. Mais, par contre, l’archéologie peut être très instructive et là, en Inde, le champ est immense.
Il y a 2000 ans, le port très important était le port de Muziris, qui se situait près de Cochin, à Pattanam, près de la rivière Periyar. Des recherches archéologiques ont lieu sur l’emplacement de ce port. Les archéologues n’en sont qu’au début de leur recherche, mais ils commencent à découvrir de très beaux vestiges.
Les voyageurs, navigateurs et commerçants échangeaient dans le respect des règles, aucune arme n’a été retrouvée par les archéologues de Pattanam, port d’échange avec l’Afrique, le golfe persique et l’Europe, au début de notre ère !!
Malheureusement, l’arrivée des navigateurs portugais, avec leur commandant, Vasco de Gama, qui a contourné l’Afrique par le cap de bonne espérance et atteint Calicut en 1498, au Kerala, ne s’est pas faite sans violence.
Bien sûr, il faut reconnaître que Vasco de Gama, en ouvrant cette nouvelle voie maritime vers l’Inde, ne découvrait pas un nouveau monde, mais allait permettre aux européens de commercer avec l’Inde sans passer par les intermédiaires.
Un grand historien indien, Sanjay Subhramaniam, écorne sérieusement l’image de Vasco de Gama, en apportant l’éclairage des archives trouvées dans d’autres pays. La violence, l’appât du gain ont marqué de son empreinte sa découverte d’une nouvelle route de l’Inde et ses relations commerciales avec mon pays :
Il est vrai que l’histoire est une interprétation. Les portugais considèrent Vasco de Gama comme un héros mythique, fierté de leur pays, mais comme vous le savez, travaillant sur le thème En vérités, il faut remettre en question la perception des exploits de Gama.
La mise au jour de l’incendie criminel du navire égyptien, Rimi, en 1502, tuant femmes et enfants, après les avoir dépouillés, rentrant du pèlerinage de la Mecque, jette le doute sur les qualités humaines de ce navigateur.
Les scientifiques, les historiens, les ethnologues nous aident à mieux appréhender la réalité.
Aujourd’hui, comme hier, nous tentons de mieux connaître le dessous des cartes, il est vrai que l’arrivée des navigateurs européens en Inde n’a pas été de bonne augure pour mon pays ; le commerce fait partie des échanges qui ont toujours existé, mais la domination coloniale et le pillage de nos richesses pendant plus de deux siècles restent une blessure qui demandera du temps à se cicatriser.
Sanjay Subhramaniam et ses collègues historiens ont encore du travail pour renverser cette image fallacieuse et paradoxale, qui associe colonisation et bienfaisance.
Chers enfants, ma lettre est une invitation à avoir un regard critique sur ce qui nous est conté et à poursuivre la réflexion sur le thème bien choisi de votre saison culturelle, qui disserte sur le statut de la vérité.
Je me suis dite que cette chanson serait pas mal pour tracer la route, en réfléchissant à qui nous sommes et de qui nous le devons avec le regard critique qui sied :
Je vous fais de gros bisous,
A demain,
Shila