Madame, Monsieur,
Chers collègues, chers amis,
La parole de l’enfant et le développement de « l’aptitude culturelle ».
Le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants viennent de remettre au Président de la République le rapport annuel sur le thème de la parole de l’enfant en justice.
Le rapport est d’ailleurs téléchargeable sur ce lien.
Il est toujours utile de rappeler l’article 12 de la convention internationale des enfants.
Article 12 1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.*
Le même jour, lors d’une rencontre organisée par l’URIOPSS du Nord pas de Calais avec l’ANESM autour des bonnes pratiques, s’engage une discussion sur la place du jeune et de sa parole dans le dispositif de chacun des établissements, selon les rencontres, les lieux, les réunions formelles ou informelles.
La convention internationale, qui s’impose à tous, est claire. Comme citée plus haut : « Les états garantissent à l’enfant le droit de s’exprimer… ».
Ce droit semble être acquis pour chacun des participants à cette rencontre.
Cependant, une discussion s’engage sur les modalités pratiques d’application et la place donnée à la parole de l’enfant dans chaque dispositif. Elles diffèrent selon les associations ou services, ce qui est compréhensible, mais très vite, le problème posé se caricature en une forme réductrice : y aurait-il (ou pas) à tout dire à l’enfant ? Or, chacun l’admettra, « tout dire » ou ne « rien dire », cela ne veut évidemment « rien …dire ».
Pour autant, le champ est ainsi ouvert à la justification pour préserver des espaces à « l’entre soi éducatif ».
Puisque l’on ne saurait tout dire, l’on justifie ainsi le « ne pas dire » et choisissons d’exclure du lieu de parole le sujet même qui est concerné… Une réunion de parole sans sujet.
De quelles paroles faudrait-il donc préserver le sujet ? Ce que nous-mêmes pourrions en dire ? Ce que nous mêmes n’assumerions de lui dire ?
Lorsque la question est posée, nous n’obtenons pas ou peu de réponses. C’est donc qu’il y a aussi, à cet endroit, des résistances avec lesquelles nous devons compter et tenter de les dépasser.
C’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire, en écrivant dans notre projet éducatif : « Il n’y a rien que l’on ne saurait dire au sujet d’un enfant que nous ne saurions lui dire en sa présence ». Pourquoi ? Parce que « dire en présence de l’enfant ou du jeune » nous oblige. Elle nous oblige à la « distinction », qu’il vous plaira d’entendre ici en ses différents sens, dont celui de la séparation et de l’élégance. Ils nous permettent un pas du côté du symbolique et de l’éthique. Oui, la présence de l’Autre nous oblige.
Mais il est vrai que le danger n’est pas seulement que l’enfant soit là ou pas là. Au fond, présent ou non présent – et l’on a vu plus haut que nous préférions sa présence –, il s’agit d’interroger la place subjective que nous donnons à l’enfant, dans notre psyché.
« L’absenter » de la rencontre, c’est trop souvent « l’absenter de nous-mêmes », avec plusieurs conséquences, d’ailleurs, et l’une d’elles en particulier, que l’on constate encore dans ce que nous appellerons pudiquement des facilités de langage peu conforme avec l’éthique de notre métier.
L’enfant ou l’adolescent « absenté », en réunion ou en nous-mêmes, devient l’enfant « instrumentalisé ». Le sujet à entendre devient l’objet, alors, de nos observations, de nos évaluations, voire de toutes autres bonnes ou mauvaises pratiques.
Et ainsi, que valent-elles?
Que valent-elles aussi, ces réunions, lorsqu’il s’agit de « les préparer » avant qu’une autre puisse être organisée avec le sujet ?
Si je me déplace du côté de cet enfant, je pourrai dire : Oui bien sûr, je vais être entendu, écouté, avec attention et bienveillance, mais je ne serai pas là pendant le temps d’élaboration, et des réunions auront été faites avec l’intention que je n’y sois pas.
De fait l’opération a réussi, puisque n’étant pas là pendant le temps d’élaboration, ce savoir qui aura été construit sans ma présence me sera juste communiqué, auquel je pourrai cependant répondre, certes, mais dans lequel « je ne serai pas ».
Dans notre travail, ce qui compte, est de permettre au jeune accueilli et (ou) suivi, de produire des significations. Produire des significations – non soit les recevoir, soit se positionner ou les contredire – : oui, produire des significations, car c’est ainsi que peut se produire de la transformation relationnelle. Et la réunion, au sujet d’un jeune, enfant ou adolescent, nécessite sa présence, parce que c’est un lieu de travail, de construction, de fabrique de représentations. Ce n’est pas qu’un lieu pour recevoir la parole des adultes.
Nous devons donc entendre le travail proposé dans le rapport du Défenseur des droits et de la Défenseure des enfants lorsqu’ils recommandent de supposer a priori le discernement de l’enfant. Cette notion de capacité de discernement était jusqu’à maintenant trop entendue pour la lui supposer non acquise.
Or l’expérience que nous menons dans certaines institutions, ou celle qui est faite régulièrement au sein des conseils de famille (en associant des enfants pupilles – parfois très jeunes (5ans) à la démarche de filiation), ces expériences démontrent qu’il est urgent de donner aux enfants toute leur juste place en ces lieux.
Nous ne saurions mieux tenter de faire comprendre notre démarche de culture au sein de l’association « Les Maisons des Enfants de la Côte d’Opale » en resituant son action:
D’ une part et en accord avec ce que nous venons d’exprimer dans la lignée du rapport du Défenseur des droits autour de la capacité à se représenter soi, dans le monde, à élaborer sur le sens de sa vie, à dialoguer.
Et d’autre part en reprenant à notre compte cette proposition d’August Aichhorn, formulée dans une conférence donnée en 1926, lorsqu’il donne à l’éducation l’objectif suivant : « Développer et donner l’aptitude culturelle ». Il s’agit bien ici, autour de la parole, de développer l’aptitude culturelle.
Nous y reviendrons prochainement.
Eric Legros, directeur.