LETTRE DU DIRECTEUR #13

La réforme de la loi de 2007 en débat.

La commission des affaires sociales s’est réunie pour examiner le rapport de Michelle Meunier le 11 décembre 2014 (voir le compte-rendu de la séance ici.

Voici ce que nous dit le service de presse du Sénat, le 4 décembre 2014, pour introduire la discussion à propos de proposition de loi visant à renforcer la protection de l’enfance avec quelques modifications à la clé :

« S’agissant de la gouvernance, la proposition de loi crée un Conseil national de la protection de l’enfance chargé de promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local. Afin de rompre l’isolement du médecin libéral et d’améliorer le repérage des enfants en danger, elle prévoit la désignation dans chaque département d’un médecin référent “protection de l’enfance” chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux et tous les professionnels de santé (médecine de ville, hôpital, santé scolaire).

La commission des affaires sociales a adopté, à l’initiative de sa rapporteure, un amendement qui prévoit la mise en place d’un référentiel commun pour définir le contenu du “projet pour l’enfant”, aujourd’hui très inégalement mis en œuvre par les départements.

Dans l’objectif de sécuriser le parcours de l’enfant placé, les sénateurs proposent que lorsque le service social à l’enfance (ASE) envisage de modifier les conditions de prise en charge d’un enfant, il en informe le juge. Si l’intérêt de l’enfant le justifie, celui-ci pourra ordonner le maintien de l’enfant dans son lieu d’accueil.

Sur proposition commune des deux rapporteurs, la commission a adopté un amendement qui prévoit qu’au-delà d’une certaine durée de placement, l’ASE examine l’opportunité d’autres mesures susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant.

Les dispositions de la proposition de loi qui limitaient la révocabilité de l’adoption simple et qui permettaient qu’un enfant déjà adopté mais devenu pupille de l’État puisse faire l’objet d’une seconde adoption plénière ont été supprimées, suivant l’avis de la commission des lois.

Afin de reconnaître la spécificité des violences endurées par les enfants victimes d’inceste, la proposition de loi reconnaît l’inceste comme une infraction pénale à part entière. Toutefois, à l’invitation du rapporteur pour avis, la commission a jugé opportun de supprimer les dispositions du texte initial érigeant l’inceste en circonstance aggravante de la peine principale. »

Certains points n’ont pas été retenus, à ce stade du débat, puisqu’ils impliquaient une réforme de l’adoption, tout comme n’ont pas été validées par le Sénat de nouvelles propositions pour parer au délaissement parental et pour inscrire l’inceste comme circonstance aggravante dans le code pénal. Je regrette ces occasions manquées. Permettez-moi ici de m’en expliquer pour les deux premiers thèmes. Je reviendrai sur celui de l’inceste ultérieurement, tout comme je me prononcerai plus en détail sur ce glissement sémantique qui s’est opéré lors de la discussion au Sénat, délaissant « la capacité de discernement » supposé à l’enfant, et privilégiant la notion de « maturité ». Sur ce point, et sans que je puisse m’y étendre outre mesure, je reste convaincu qu’il est urgent de revenir à l’idée initiale qui est de  supposer, à l’enfant et a priori, cette capacité de discernement.

S’agissant de l’adoption et des politiques prônées par cette réforme de la loi de 2007 pour l’accueil des enfants j’écrirai, comme à l’accoutumée, quelques récits de vies observées en nos Maisons pour illustrer mon propos.

Le double abandon :

Commençons par la réforme de l’adoption : le titre de ce récit de vie pourrait être « les fêtes de Noel et le lien d’origine ».

Noel reste une fête douloureuse pour ceux qui vivent l’absence de membres de leur famille.  Des cris se font entendre, comme ceux d’Ophélie*, dans les couloirs de l’institution d’accueil qui est la sienne, depuis la décision prise par le conseil de famille au sujet de  son admission au statut de pupille. Depuis deux ans, l’un de ses frères est adopté. Elle vient donc de perdre maintenant l’un de ses frères. Cela lui est insupportable, elle qui a toujours été le vilain petit canard, probablement parce qu’elle « en aurait trop dit ». Son nécessaire « besoin de dire » de l’époque du chaos familial, se le reproche-t-elle encore chaque année quelques jours avant Noel, époque du réveil en soi, qu’une fratrie, elle en a une, quels qu’aient été les événements de la vie, fratrie qu’on lui a partiellement reti- rée ? Elle vide tout de sa chambre pour déposer vêtements, objets divers, souvenirs, dans le couloir. Sa colère est sans remède, Ophélie est inconsolable. L’éducatrice préfère appeler la directrice adjointe qui la rejoint, et trouvera quelques mots d’apaisement. Ils diront l’injustice ressentie par Ophélie, le cri partagé, l’impossible à dépasser.

« Ca y est, Ophélie, tu as décidé de nous quitter ? Tu déménages ? C‘est peut-être ce qu’il faut faire, et c’est ta décision.  On se quitte ? C‘est vrai que nous ne pouvons pas tout. Mais tu as ta place ici, et si tu prends la décision de partir, tu pourras aussi revenir. »

Il nous arrive aussi parfois  de proposer le départ, de le mettre en scène, de le supposer souhaitable, non parce que nous le souhaitons, mais parce que l’envisager fait réfléchir sur la valeur du lien avec les uns et les autres de l’institution. Une occasion de faire vivre ce qui tient. Pour un temps, la colère s’apaise. Ophélie reverra-t-elle son frère adopté ? Peut-être, après sa majorité, si les deux le veulent, malgré les liens que le temps aura distendus.

Voici ce que je retire de  cette scène, au regard de ce qui fut discuté récemment au Sénat et dont je viens de vous faire part en introduction.

La proposition de loi s’intéresse à la permanence des liens. Mais quand la loi pourra-t-elle tenir compte des liens, et non des moindres, à savoir les liens fraternels ?  Les questions d’adoption sont écartées du débat parlementaire de la protection de l’enfance  parce qu’elles font l’objet d’une loi spécifique, et Ophélie ne trouvera pas encore la réponse à la situation de double abandon. Il en sera donc de même pour l’adoption simple, qui a l’avantage, et non l’inconvénient, de maintenir les liens d’origine, et qui pourrait être sollicitée plus souvent. De même aussi ne seront pas revues les conditions de révocabilité en adoption simple pour permettre une préférence faite aux conditions de permanence du lien d’éducation de l’enfant.

Je voudrais à présent m’exprimer à propos du plus grand nombre de ces jeunes qui, bien que bénéficiant d’une mesure éducative en famille d’accueil ou en institution éducative, ont passé quelques jours en famille. Pour certains, quelques heures seulement, pour d’autres quelques jours ou toutes les vacances scolaires. Un peu à l’aune de la multiplication des lieux de vie pour l’enfant de parents divorcés, les jeunes en besoin de protection peuvent se construire avec des parentalités exercées  en différents espaces. Comme pour eux, c’est la cohérence que les adultes seront capables de construire autour de l’enfant qui sera déterminante.

Les fourches caudines de la filiation :

Pour ouvrir ce nouveau chapitre, un autre récit de vie observée au sein de notre institution, que je pourrais intituler « le grandissement par l’intelligence des places ».

Marcel a intégré notre institution depuis cinq ans, tout en maintenant son lien avec « sa » famille d’accueil », comme il le souligne, famille d’accueil qui n’aurait pu garder sa place sans la collaboration avec une institution éducative. La cause des violences et de la toute puissance dans lesquelles Marcel s’est installé est bien à comprendre comme autant de violences auxquelles il a assisté, aboutissant au suicide de sa mère et à l’emprisonnement du père. Marcel mit à mal le lien à l’institution de nombreuses fois, mais l’engagement était pris, pour autant, de ne pas lâcher prise.

C’est ce travail, en belle cohérence avec la famille d’accueil, qui aura contribué à une nouvelle évolution pour Marcel. Il avait clivé en deux espaces ce qu’il vivait dans la famille d’accueil, au sein de laquelle il se comportait de mieux en mieux, et l’institution, au sein de laquelle ses progrès étaient réels, mais avec des séquences de fugues ou de passages à l’acte.

Comprenant sa vision du monde en deux pôles, et connaissant l’attache qu’il avait nouée, à la fois dans la famille d’accueil et dans l’institution qu’il ne voulait absolument pas quitter, nous décidions de  faire appel à la famille d’accueil, en soutien de l’institution pendant ces épisodes plus chaotiques.

Ainsi, en bonne articulation avec les services sociaux, la famille d’accueil et l’institution se rencontraient pour parler des différents événements, ce qui rendait furieux Marcel. Il ne supportait pas ce partage et cette cohérence des intervenants, ne voulant pas mêler les personnes si importante pour son lien affectif, le père et la mère de la famille d’accueil, à ses comportements passagers dans l’institution. La cohérence que les adultes ont bien voulu donner à leurs actions pour Marcel a, de notre point de vue, contribué à éviter le clivage qui se constituait. Aujourd’hui, il est heureux que Marcel ait pu retourner vivre dans sa famille d’accueil, et soit inscrit dans un internat scolaire. La famille d’accueil, les travailleurs sociaux et Marcel savent pouvoir compter, le cas échéant,  sur notre disponibilité en cas de difficultés.

Que penser de Marcel et de son parcours au prisme des discussions qui viennent d’avoir lieu au Sénat ? La loi s’intéresse avec raison à la sécurisation du parcours de l’enfant aux fins de lui offrir une permanence des conditions d’éducation incluant la dimension affective, essentielle. Il est donc vraiment nécessaire de donner toute la place au lien de filiation fraternel. Ce qui pose problème, chacun le sait, est la prise en compte ou non des liens d’origine de l’enfant adopté par les parents adoptants. Est-ce d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, pour la majorité, en ce qui concerne précisément le lien de fratrie d’origine ? Pour rencontrer au sein du Conseil de Famille certains d’entre eux, je n’en suis pas certain. Les familles savent aujourd’hui devoir compter avec cette histoire, d’une manière ou d’une autre, aujourd’hui ou au temps de l’adolescence, et à la majorité. L’adoption ne peut se faire sur le dos du déni de la filiation d’origine, ni pour l’enfant, ni pour les parents. Sur le plan de la construction psychique, chacun sait que ce n’est pas souhaitable.

On ne choisit pas sa filiation, bien que lors de l’adoption on puisse choisir sa famille. C’est un montage institutionnel, au-delà de chacun, et qui garantit les places à chacun dans son histoire et sa génération. Il n’est donc pas question de choisir sa filiation.

La réalité, en fait, c’est tout de même : D’origine,  Fils de,  et devenu, par la loi et l’adoption, fils de. Ne sommes-nous vraiment pas encore prêts à faire ce pas pour tous ? N’en est-t-il pas ainsi lors des divorces et contrats de mariage lorsque les transcriptions sont faites dans le livret de famille ?

De pouvoir retrouver cette information à la majorité semble une avancée, y compris dans le cas où la mère et le père d’origine ne souhaiteraient pas renouer un lien, ce qui devrait être garanti. S’il choisissait d’en savoir plus, voire de désirer renouer des liens, le sujet devrait, certes, faire ce travail de deuil auquel il a déjà été confronté lors de l’abandon. Prendre la décision, de savoir et (ou) de renouer des liens, avec le risque de devoir faire un travail de deuil vaut mieux qu’un déni. Ainsi serait préservé pour les père et mère d’origine l’usage de leur droit d’abandon et d’accouchement sous le secret.

Dans ces conditions, élargir avant toute décision de placement chez un tiers le recours aux personnes de la famille ou connues de l’enfant et par ailleurs privilégier les conditions d’éducation, la sécurité affective et la cohérence du parcours d’éducation de l’enfant en diminuant les possibilités de déstabilisation par des parents dans l’incapacité de leurs donner, reste possible.

Il semblerait que lors des débats parlementaires l’on perde un certain systématisme qui aurait sans aucun doute marqué les pratiques et les esprits (voir d’ailleurs à ce sujet les propositions des parlementaires qui sont maintenues : constitution d’une commission, intervention du juge en cas de déplacement, projet pour l’enfant).

Dans la pratique, aujourd’hui, et autour de certaines situations parfois complexes, et nécessitant une belle articulation entre les acteurs sociaux, du soin, de l’éducatif et du pédagogique, l’on sent une réelle attention des travailleurs sociaux à la question du maintien du lien pendant la période de transition : entre famille d’accueil  et parents adoptants, en cas de passage d’une famille d’accueil à une autre, dans le cas d’un travail commun famille d’accueil et institution, mais cependant  moindre dans le cas d’une institution  vers une autre institution, comme si le lien affectif était moins en cause.

Et pourtant ce n’est pas toujours vrai, et dévalue la valeur du lien que les jeunes nouent avec leurs éducateurs. C‘est pourquoi je préfère parler de cette « bonne proximité » dans laquelle doit se nouer la relation éducative, plutôt que cette autre formulation : « bonne distance », qui a pu contribuer à une certaine déshumanisation du travail social.

Voici pour conclure quelques propositions d’accompagnement de la loi et des débats en cours que pourraient prendre les associations et les institutions pour en faire vivre le nouveau texte législatif à venir, à la lettre et dans l’esprit.

Propositions pour les associations et les institutions éducatives :

  1. S’engager sur le long terme est incontournable, avec les bénéficiaires et leurs parents, au-delà du seul temps de la mesure éducative, au sein de nos associations, après le temps de travail au sein de l’institution :

Parce que les difficultés rencontrées ont créé des fragilités qui peuvent ressurgir à un autre temps de vie, ce que nous savons.

Parce que les réponses qui ont apporté un mieux-être peuvent être mobilisées de nouveau.

Parce qu’en répondant sur la continuité, nous permettons la confiance et faisons un gain évident sur l’approche de nouvelles  difficultés.

Parce que nous évitons ainsi les ruptures et de fait, pour partie, diminuons le phénomène des rejets successifs.

Parce que le  présent a besoin de la confiance du long terme.

  1. Maintenir et élargir la sphère d’appui des liens et la permanence du lien dans une association inscrite sur le territoire :

En reconnaissant la place de ceux qui ont existé dans l’histoire de l’enfant.

En cherchant dans la famille élargie les possibles recours.

En privilégiant le lien et le maintien du lien avec la famille, la même famille d’accueil /et /ou l’institution, particulièrement pendant les temps où les difficultés ressurgissent, ou que de nouvelles naissent.

Ce dernier point trouvera des échos cliniques sur la nécessité pour certains enfants de vivre des alternances qui ne provoquent pas la rupture, mais permettent de redonner du sens au lien.

La diversification de la prise en charge permet l’adaptation par la décision de mettre en oeuvre la bonne mesure, en fonction des besoins. Mais la diversification, c’est aussi de s’appuyer sur différentes ressources en fonction de l’histoire. Mais maintenir et élargir la base des ressources relationnelles de l’enfant doit se conjuguer avec le développement de ses ressources sociales. S’il peut s’agir aussi d’initiatives propres du sujet, le développement des ressources sociales peut aussi trouver à se développer à partir des ressources et du projet associatif. Par son propre engagement sur le territoire pour ce dont elle est connue (nous sommes une association de protection de l’enfance), mais aussi par sa propre démarche transversale et non à partir de son seul objet sectoriel pour s’insérer dans la cité, démarche que l’on peut rapprocher du développement social territorial. De la sorte, le jeune et sa famille ouvrent leur champ social et apprennent la démarche collective et les valeurs associatives. Sur ce point, je me permets de renvoyer à l’approche décrite dans la dernière lettre d’information, ainsi que sur notre site Internet, par exemple, l’animation du Musée de Boulogne-sur-mer par notre association toute le 20 novembre 2014 dans le cadre de la journée internationale des droits de l’enfant. S’intéresser aux personnes, c’est s’intéresser au collectif et à la communauté à laquelle elles appartiennent.

  1. Diversifier les réponses pour les personnes :

Ce qui est fait, mais  aussi mieux les coordonner entre elles, particulièrement pour les plus en difficulté. La diversification permet aussi le passage d’une mesure à l’autre au sein d’une même association, ce qui est bénéfique à la permanence du lien, sauf en cas de difficulté particulière.

  1. Retrouver le sens des bienfaits de l’universel des mesures

En répondant aussi bien par les mesures communes que par les mesures spécifiques, inspiré des riches contributions exprimées lors du colloque « L’accès au droit : construire l’égalité », dont on pourra télécharger les actes ici. Par exemple, Il semble évident que la réponse à des carences éducatives passe aussi par la mise en oeuvre d’une bonne éducation, ce qui est commun à tous, aux côtés de mesures plus spécifiques.

 Eric Legros
 * Le prénom des personnes citées a été modifié pour le besoin de cette lettre du directeur.