Note de rentrée saison culturelle 2016-2017

Le thème de la saison culturelle de cette année 2016-2017 est : « Où est ton courage ? ».

C’est à l’automne 2015, sur le parking de la ferme, qu’est née l’idée du thème de notre nouvelle saison culturelle.

A un enfant, qui depuis plusieurs semaines renonçait aux efforts qu’il avait pourtant consentis lui-même pour bien grandir en nos Maisons (s’engager dans les apprentissages, participer à la vie collective, s’ouvrir à des activités hors de notre espace associatif), nous demandons avec insistance de se ressaisir, de mettre fin à ce cycle de mises en échec, de faire preuve de courage.

Cet enfant n’a pu y souscrire ; il a quitté peu de temps après notre institution. Les quelques nouvelles que nous avons pu avoir indiquent cependant que l’enfant s’épanouit de nouveau dans sa nouvelle vie. Notre interpellation n’a peut-être pas été vaine. Comme nous le constatons régulièrement dans nos métiers, les effets bénéfiques de nos paroles et de nos initiatives pour l’enfant peuvent se révéler bien après sa présence avec nous.

La deuxième étape de la formulation du thème de cette nouvelle saison fut la rencontre en février 2015 avec M. Patrick Bourdet, auteur de l’ouvrage « Rien n’est joué d’avance » et désormais parrain de notre festival « Les Journées d’Enfance ».

Le thème en gestation était alors dit de la façon suivante : « Quel est ton courage ? », et M. Bourdet nous a suggéré, en se référant à son propre parcours personnel, que cela ne correspondait pas tout à fait à ce que pense l’enfant affrontant les épreuves de la vie. La réponse à ces moments difficiles se fait en effet par l’expérience de ce qui a lieu ; l’enfant de lui-même ne se considère pas courageux au point de l’exprimer à celui qui lui demanderait d’en parler. Ce sont les situations vécues tour à tour qui amènent de fait à faire preuve de courage. Les ressources pour surmonter les difficultés sont en soi, mais elles sont bien souvent inconnues, ou peu conscientisées. Ce sont les épreuves de la vie qui nous les révèlent, et c’est bien souvent a posteriori.

Il faut, autrement dit, des lieux, des moments pour que cette révélation à soi-même du courage qui est en soi puisse se manifester. Et ceci nous conforte dans ce qui fait le sel de nos métiers, qui est d’être là, aux côtés de l’enfant, pour vivre ces découvertes et nommer avec lui ce qui est en train de se faire, de se défaire, les efforts personnels réalisés ou manqués.

La présence du tiers est donc essentielle, elle permet à l’enfant de vivre ces moments durant lesquels son découragement est surmonté tels des rites d’initiation à la vie, qui permettent sa socialisation, son grandissement, son devenir adulte, citoyen.

A la première formulation « Quel est ton courage ? » a par conséquent succédé celle-ci : « Où est ton courage ? », version définitive de notre thème annuel qui a l’avantage de mieux nommer l’importance des expériences vécues, ses lieux, ses moments et les enseignements que l’on peut en tirer pour soi-même sur le chemin de sa vie.

La philosophe Cynthia Fleury nous permet de confirmer cette importance du tiers, du travail de la société que nous représentons auprès de l’enfant, et des rites d’initiation que nous vivons avec lui lors de ces moments vécus de découragement et d’encouragement :

« J’ai perdu le courage comme on égare ses lunettes. Aussi stupidement. Aussi anodinement. Perdu de façon absolue, si totale, et pourtant si incompréhensible. (…) L’apprentissage de la mort, est-ce celui du courage ? Savoir qu’il va falloir tenir alors que rien ne tient. Est-ce cela la vie ? La vie digne ? Comment apprendre le courage ? Comment reprendre courage ? Comment nourrir le courage pour qu’il ne vous quitte plus ? J’ai perdu courage alors même que je voyais la société dans laquelle je vivais être sans courage. J’ai glissé avec elle. Glissé en elle. Me mêlant chaque jour à cette négociation du non-courage. Là, il n’y a pas d’eau. Seulement la corrosion. C’est Naples et ses ordures. Nous vivons dans des sociétés irréductibles et sans force. Des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n’est plus enseigné. Mais qu’est-ce que l’humanité sans le courage ? (…) Je crois que sans rite d’initiation les démocraties résisteront mal. Je vois bien qu’il faut sortir du découragement et que la société ne m’y aidera pas. Comment faire ? Qui pour me baptiser et m’initier au courage ? Qui pour m’extraire du mirage du découragement ? Car il me reste un brin d’éducation pour savoir que cela n’est qu’un mirage. Qu’il n’y a pas de découragement. Que le courage est là ; comme le ciel est à portée du regard. »

(Extrait de « La fin du courage. La reconquête d’une vertu démocratique » de Cynthia Fleury, Fayard Le livre de Poche, coll. « Biblio essais. », 2010, pages 7 et 8.)

Ce bel ouvrage nous permet aussi de confirmer ce que nous expérimentons tous les jours avec les enfants dans le cadre de notre politique d’établissement : la force du « parler vrai » est une forme de courage. C’est pourquoi nous invitons systématiquement les enfants à participer aux discussions qui le concernent ; que cela soit de manière formelle (les réunions de concertation dans chaque Maison, les réunions des Conseils et des comités de pilotage) ou de manière informelle, comme nous l’écrivions en introduction avec cette scène vécue sur le parking de la ferme. Les grecs nommaient cette force la parrêsia, et y voyaient la condition élémentaire du bon fonctionnement des démocraties.

Autre idée forte travaillée dans le livre de la philosophe Cynthia Fleury ; l’acte de courage est toujours un commencement, les courageux sont, pour reprendre le terme choisi par Vladimir Jankélévitch, des « commençants »[1]. Il n’y a, autrement dit, aucune continuité, aucune assurance dans ces épreuves surmontées avec courage. Il n’est pas possible de s’appuyer sur des expériences antérieures durant lesquelles l’on a fait preuve de courage pour aborder sereinement l’épreuve qui vient. Chaque acte de courage est une première fois.

C’est précisément ce qui se passe tout au long de notre saison culturelle ; les séances d’atelier en arts, en lettres, en sciences, en sports, sont autant d’espace-temps programmés chaque semaine au cours desquels l’enfant, sous le regard du groupe, des adultes, et parfois lors de nos événements organisés dans le territoire, du public, doit trouver en lui la motivation pour accepter de s’exposer, de dépasser sa peur du qu’en dira-t-on ?, sa crainte de mal faire, de décevoir les autres et soi-même.

Pour conclure ces quelques considérations sur notre thème, retenons qu’on ne peut penser le courage, l’espérance sans leur antonyme : le découragement, le désespoir. Il ne s’agit pas d’attendre des enfants qu’ils fassent preuve d’héroïsme, ressource en soi que l’on puise à l’extrême pour faire acte de courage, mais de leur tendre sans cesse ce miroir réflexif leur permettant de nommer durant leurs moments de profond découragement, voire de désespoir, la possibilité permanente de trouver en soi les ressorts pour les surmonter.

[1]Vladimir Jankélévitch,  Les vertus et l’amour. Traité des vertus II. Tome 1, Flammarion, coll. « Champs Essais », 2011.