Note de rentrée Saison culturelle 2018-2019

Le thème de la saison culturelle de cette année 2018-2019 est : « Y’a d’la joie ! ».

Jeudi 5 juillet 2018. Des enfants et des jeunes de notre association ressortent de la salle de spectacle au terme d’une heure trente de prouesses et de beautés sur cette scène, espérant retrouver leur famille et constatent qu’elles ne sont pas venues.

Sentiment doux-amer : nous sommes joyeux, fiers de ces enfants présentant une année de travail à raison de deux séances par semaine d’ateliers en arts, en lettres, en sciences, en sports devant près de 350 personnes. Nous sommes tristes avec ces enfants, de les voir comprendre que celles et ceux pour lesquels ils ont consentis en premier lieu ces efforts, n’étaient pas là.

Qu’en penser ?

De la joie ou de la tristesse, nous choisissons tout bien pesé la joie.

Pour s’en convaincre, prenons au sérieux toutes celles et tous ceux qui, invités par notre institution à participer à son activité, sont étonnés de la qualité des regards et des paroles égayant les journées de notre association. Découvrant une Maison d’Enfants à Caractère Social, ils s’attendent en effet à y ressentir la chape oppressante de la tristesse.

Bien au contraire ; scène si concrète, si régulière dans le quotidien de nos Maisons, les enfants et les jeunes, les équipes, les intervenants artistiques et culturels jouent, blaguent, rient, sourient.

De fait, toujours en préambule des interactions et quel que soit l’âge, du plus jeune mineur au plus vieux majeur, les personnes avec lesquelles nous vivons recherchent les voies du jeu.

Tant et si bien qu’une des qualités professionnelles clés de nos métiers est sans doute d’être rusé : comprendre les codes du jeu que l’enfant, le jeune, le presqu’adulte, l’adulte souhaite établir avec nous – règles toujours changeantes selon la fantaisie de l’instant. Les accepter et réaliser ensemble cette manière de s’éduquer, c’est en effet aller au-delà de soi pour le meilleur de chacun et de tous.

Dans ces moments enjoués, tellement courants que nous n’y prêtons plus attention, il se trame pourtant quelque chose d’essentiel.

Réfléchissant aux principes du désir de vivre, un philosophe de la fin de la Renaissance a nommé ce je ne sais quoi pourtant si important pour le plaisir de se sentir vivant : la joie. Dans la lignée des stoïciens de la Rome antique, à la suite d’Hobbes et de Descartes, Spinoza a formulé l’essence du vivant en reprenant l’idée du Conatus (i.e « l’effort ») pour décrire l’universalité de ce phénomène. L’énergie vitale, c’est la capacité à persévérer dans son existence pour le meilleur de soi.

Et le penseur d’ajouter : tout ce que je puis faire pour m’améliorer dans ce que je suis génère en moi un sentiment de joie ; à l’inverse, mon impuissance à vivre provoque un sentiment de tristesse. Être de liberté doué de raison, c’est parce que je sais discerner le désir mien ou, a contrario, le désir qui m’est imposé, que je me donne la possibilité de tendre vers la joie.

« Tout ce que nous imaginons qui mène à la Joie, nous nous efforçons d’en procurer la venue ; tout ce que nous imaginons qui lui est contraire ou mène à la Tristesse, nous nous efforçons de l’écarter ou de le détruire. »
(Baruch Spinoza (1997), Traité théologico-politique. Œuvre 3 : Ethique [1670], Paris, Flammarion, proposition 28).

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« Il y a de la joie ! ». La première partie de cette exclamation, contractée en un « Y’a » par le poète chantant pour swinguer le refrain, retient notre attention.

C’est l’expression d’une observation précise, d’une qualité d’analyse ; au-dedans de tout ce que j’entends, de tout ce que je vois, de tout ce que je ressens, je repère quelque chose de remarquable que je dois retenir pour comprendre combien tout cela fait sens.

Les équipes éducatives de nos Maisons sont précisément à cet endroit de pensée privilégié à partir duquel, ni trop éloignées, ni trop proches ; à la juste distance, elles devinent l’effort ou le renoncement à vivre des enfants et des jeunes accueillis par notre association, parfois même sans que ceux-ci s’en aperçoivent.

Ces enfants et ces jeunes persévèrent cahin-caha dans le cours de leur vie, et ils aiment à jouer avec nous, même dans les moments les plus difficiles, pour tester les rouages de cette mécanique du mouvement, pour en être assurés.

Nous avions cette certitude au point d’organiser pendant plusieurs années un cycle de formations durant lequel il fut proposé d’être clowns, puis de s’amuser avec les savoirs, et enfin d’explorer les soubresauts de la joie et ses effervescences en arts, en lettres, en sciences, en sports et en technologie – soient les vecteurs de notre programme pluriannuel et pluridisciplinaire L’aventure de la vie.

Pour mieux vivre, les enfants aiment à jouer avec nous ; soucieux de leur épanouissement, nous aimons jouer avec les enfants.

Que cette joie soit notre demeure.