Pré-programme
(Il a été établi suite à la visite des consultants Emmanuel Paris et Vincent Laborey, le 11 septembre 2012 à Boulogne-sur-Mer, et à la réunion du 19 septembre suivant à Paris avec Éric Legros, directeur de cette institution et commanditaire du séminaire.)
Objectif : « Humaniser davantage le travail socio-éducatif »… comment s’y prendre ?
Méthode : Co-construction d’un savoir-vivre
Le séminaire se déroule sur six jours, soit trois modules de deux jours – un mardi et un mercredi – s’enchaînant de novembre 2012 à janvier 2013.
Chaque module est mis en scène comme une ‘‘démo’’ scientifique :
– 1er jour : On formule une hypothèse (entre professionnels, avec les animateurs).
– 2ème jour : On s’efforce de la valider (entre professionnels et futurs adultes associés dans les mêmes activités, toujours avec les animateurs).
– 3ème jour : On tire les conséquences pratiques de l’expérience (entre professionnels, dans l’intérêt des futurs adultes, mais cette fois sans les animateurs).
Le terme « professionnels » désigne, non seulement les éducateurs, mais aussi tous les transmetteurs de valeurs, de modèles de comportement ou de savoir-faire qui sont à l’œuvre dans les différentes Maisons, bref tous les adultes au service de ceux qui doivent le devenir – enfants, adolescents, jeunes majeurs -, et qu’on qualifie donc de « futurs adultes » dans ce document.
L’ensemble de la Ferme est investi par plusieurs dizaines de participants, l’intérieur comme les extérieurs, car la pluralité des lieux et l’intervention de deux animateurs permettent de gérer un groupe important dans des configurations variées : toute la troupe de ce « théâtre » à la manière d’Ariane Mnouchkine est sur les planches, en coulisses ou dans la salle, mais chacun, au fil des actes, joue son rôle dans des scènes à plus ou moins de personnages. Pareil dispositif, qui évoque aussi un plateau de tournage de Fellini, rend possible l’association des professionnels et des futurs adultes – toutes classes d’âges confondues – pour tester ensemble le mercredi l’hypothèse du mardi.
Dans le droit fil des Maisons, dont les activités culturelles mobilisent le corps autant que l’esprit, la règle du jeu de ces journées sera précisément le jeu : rien dans les mains… sauf des mains (« égales et rivales de la pensée » selon Paul Valéry) ! Comme dans une conversation animée, on s’exprimera par des gestes ou un croquis, on improvisera une maquette en papier, un peu bâclée mais ça n’a pas d’importance du moment que c’est « expressif », et on bricolera des ‘‘manips’’ – attention à ne pas se faire mouiller au décollage de la « fusée à eau » (une simple bouteille plastique actionnée par une pompe à bicyclette) ! L’ambiance générale, on l’a compris, est celle d’un atelier où le travail d’équipe sur tel ou tel élément alterne avec des temps forts d’assemblage dans l’amphi ou la salle du conseil. (N’était-ce pas le rôle du théâtre au Familistère de Guise ?)
Titre du séminaire : « Tous transmetteurs ! »
Explication : Le monde socio-éducatif n’est pas coupé du monde, bien au contraire, puisqu’il s’inscrit dans une chaîne de transmission qui comprend trois maillons, dont les deux autres sont les familles et la société. Tout le personnel des Maisons d’Enfants de la Côte d’Opale – éducateurs comme assistants de vie – transmet déjà aux futurs adultes qu’ils entourent des valeurs, des modèles de comportement ou des savoir-faire, que ceux-ci pourront, pourquoi pas ? transmettre à d’autres à leur tour. Dans ce séminaire, en trois temps un seul mouvement, on va s’entraîner à faire la chaîne.
1er module : La science rend le monde plus simple
Mardi 27 & mercredi 28 novembre 2012
Hypothèse à valider : La science donne une prise sur le monde aux futurs adultes… Vrai ou faux ?
* Propos :
– La science commence par l’étonnement – « Pourquoi le sachet de thé tourne-t-il sur lui-même au sortir de ma tasse ?… » -, et elle éveille donc la curiosité, qui incite à se poser des questions, sur le monde comme sur soi-même.
– La science va du particulier au général par un simple raisonnement. (Une pomme tombe alors que Newton observe la Lune : « Pourquoi cette pomme tombe-t-elle, alors que la Lune, elle, ne tombe pas ? En fait, elle tombe aussi, mais quelque chose la retient… » La gravitation universelle, bien sûr, qui explique pourquoi tout tourne dans l’univers et qui permet d’aller justement sur la Lune en vaisseau spatial et de revenir sur la Terre presque sans carburant, en profitant de la force d’attraction de ces deux astres.)
– La connaissance commence par la connaissance de soi. (Par les options qu’il nous propose à tout instant, le cerveau se comporte comme notre meilleur ami, surtout quand il nous fait prendre du recul. Cette mise à distance, qui est la méthode de la science, nous permet de distinguer le ‘‘je’’ du ‘‘moi’’ et de considérer « soi-même comme un autre », selon l’heureuse formule de Paul Ricœur, et donc d’avoir une conduite.)
* Démarche :
– On va remettre à l’échelle humaine, avec une simple orange symbolisant le Soleil, l’effrayant « silence éternel des espaces infinis » de Pascal, ou avec une prosaïque lettre de vingt grammes, l’inaccessible mystère du nanomonde (c’est le poids que pèserait notre corps si les milliards d’atomes qui le composent perdaient soudain leurs noyaux où se concentre toute leur masse : on n’est guère que du vide !).
– On calculera son âge en milliards de kilomètres, puisqu’une année correspond au tour du Soleil accompli par la Terre dans l’espace avec ses six milliards de voyageurs intersidéraux (soit 900 millions Km et des poussières d’étoiles à chaque fois).
– On mélangera du sucre roux et du sable blanc dans une bouteille en plastique, qu’on secouera énergiquement, avant d’en verser le contenu dans un aquarium extra-plat au moyen d’un entonnoir, et on constatera un phénomène surprenant : en tombant, les grains de sucre et les grains de sable se séparent en stries rouges et blanches… qui permettent de comprendre comment se constituent, sur des millions d’années, des terrains géologiques géants où on a de bonnes chances de trouver du pétrole !
– Bref, par toutes ces expériences, on donnera raison à Protagoras, quand il affirme que « l’homme est la mesure de toutes choses », mais on n’oubliera pas son éternel rival, l’accoucheur Socrate – modèle de tous les éducateurs – qui dessine sur le sable avec un enfant illettré pour lui faire comprendre qu’on ne double pas impunément la surface d’un carré en doublant ses côtés et, mine de rien, le familiariser ainsi avec la notion de « limites ».
– Etc.
2ème module : Une bonne décision simplifie la vie
Mardi 11 & mercredi 12 décembre 2012
Hypothèse à valider : Prendre une décision permet aux futurs adultes de répondre à la question toute bête de Sartre : « Que fais-tu de ce qu’on a fait de toi ? »… Vrai ou faux ?
* Propos :
Il s’agit de convaincre les participants, grâce à des mises en situation, que la décision est le propre de l’homme ; qu’elle a quelque chose de primitif ; qu’elle penche plutôt du côté du singe que du trop logique ordinateur ; qu’elle est l’affaire d’un instant et de toute la vie ; qu’elle dépend plus de la volonté que des moyens ; qu’elle permet d’obtenir le plus avec le moins ; qu’elle se justifie moins par ses intentions que par ses conséquences ; qu’elle a donc valeur d’exemple ; qu’elle est, surtout, la force du faible, celle du roi nu ou de l’illustre inconnu, et la fronde de David… En décidant sans complexe, on devient « entrepreneur de soi-même », selon la forte formule d’Andy Grove, co-fondateur d’Intel, le n°1 mondial de l’industrie électronique.
* Démarche :
– On prendra conscience de notre « entourage invisible », ces personnages fictifs ou réels (Harry Potter, Gandhi, Aimé Jacquet ou un proche) qui influent sur nos petites ou grandes décisions. Par exemple Descartes pour Yves Le Tiec, un plongeur qui a trouvé un trésor sans le chercher, en 1982, par flemme d’emporter des bonbonnes et de jouer les rats de bibliothèque… Perdu dans une forêt, Descartes en sort par un simple raisonnement : Si la forêt n’est pas infinie, elle est limitée, et il me suffit donc de marcher droit devant dans n’importe quelle direction pour en sortir. De même, Yves Le Tiec observe que les Sept-Îles, au large des Côtes d’Armor, constituent une barrière pour un navire en fuite par fort coup de vent de Noroit, le vent dominant,… sauf un passage qui paraît franc entre deux îles mais qui est en fait pourri d’écueils ! Sur mille ans, il y a bien un pilote qui s’est cru sauvé en apercevant ce traitre chenal, pense-t-il. C’est là qu’il plonge, par quelques mètres de fond seulement, et trouve au bout de quinze jours une épave du IVe siècle chargée de lingots de plomb destinés aux canalisations de Rome.
– On s’exercera à penser « zéro moyens », en comptant d’abord sur soi, à la manière de Paul Feldman, un fonctionnaire américain qui a créé une entreprise aussi frugale que prospère à partir d’une valeur morale. Constatant que les petits pains qu’il offre chaque vendredi à son équipe devant la machine à café sont ‘‘piqués’’ sans vergogne par les collègues d’autres services, il bricole une boîte en papier avec une fente, où il écrit : « 1 petit pain = 50 centimes ». À sa grande surprise, neuf personnes sur dix paie leur écot sans réchigner, et la proportion varie peu sur plusieurs mois… Donc, les gens sont plus honnêtes que l’on croie d’ordinaire ! Et, avec des corbeilles et des tirelires en papiers pour tout capital, il crée une entreprise qui emploie vingt ans plus tard une trentaine de personnes pour alimenter les machines à café et la convivialité des grandes administrations de Washington.
– On plantera à l’envers des arbustes au potager, à l’exemple du botaniste Francis Hallé, qui explore la canopée amazonienne à bord de son « radeau des cimes », pour souligner que les innovateurs font souvent de même (Dyson en offre un bon exemple avec son « aspirateur sans sac ») : « La plasticité de l’organisme végétal se vérifie si un jeune arbre vigoureux, en période hivernal, est retourné de façon que ses racines soient en l’air et ses branches dans le sol. Lors de la période de croissance suivante, l’arbre retrouve sa silhouette normale. » La plasticité humaine est-elle moindre ?
– Etc.
3ème module : « J’ai fait les Maisons d’Enfants de la Côte d’Opale ! »
Mardi … & mercredi … janvier 2013
Hypothèse à valider : Le passage par les Maisons d’Enfants de la Côte d’Opale peut servir, à la fois, d’atout pour le CV des futurs adultes, de référence professionnelle pour leurs éducateurs, et d’encouragement pour les institutions qui les financent… Vrai ou faux ?
* Propos :
Au fond, qu’est-ce qui se transmet dans n’importe quel travail éducatif, dont le but est d’aider un futur adulte à confronter son monde personnel au monde tel qu’il est ? Sans préjuger du savoir-vivre co-construit au fil de ces six journées, on peut les placer sous l’égide du jeune fondeur de cloche du film Andrei Roublev de Tarkovski. On est au XVIe siècle, et le grand duc de Vladimir commande une cloche géante pour prévenir les paysans des incursions tartares. Comme la peste a emporté tous les fondeurs, il doit se résigner à confier ce chantier délicat à un adolescent qui prétend que son père lui a enseigné le « secret des fondeurs » avant de mourir. On le voit, pendant des mois, s’acharner à la tâche, multipliant les essais-erreurs, tâtant et humant l’argile, soupesant les métaux, comme à l’affût de la moindre réminiscence sur le savoir-faire paternel. Et lorsque la cloche est enfin fondue et qu’un colosse, en ébranlant son battant, lui fait rendre un son parfait, l’adolescent s’effondre en criant que son père n’avait pas eu le temps de lui apprendre le « secret des fondeurs ». Et pourtant, la transmission s’est quand même produite…
* Démarche :
– On fera des maquettes de radeau. (« Il est possible de traverser une rivière sur une poutre, non sur un copeau. » Dans ses Leçons VIII, Pierre Legendre cite ce mot de Dostoïevski pour justifier l’utilité du « radeau institutionnel qui permet à l’humain, dans toute culture, de traverser la vie » et souligner ainsi « l’entre-appartenance des règles de la construction subjective et des montages d’interdit que la société a pour fonction de soutenir par l’édifice symbolique des filiations. »)
– On fabriquera des heaumes de chevaliers, à partir de rouleaux de papier aluminium, en se choisissant un symbole héraldique et une devise personnelle pour être prêt à « entrer en lice », hardiment et loyalement.
– On bricolera des maquettes en papier ou en carton de la Maison des Enfants de la Côte d’Opale pour comparer les visions singulières qu’en ont les parties prenantes de ce lieu de vie où on apprend à vivre.
– On réalisera des « CV box », en remplissant des boîtes à outils en plastique dotées de multiples cases avec les objets liés aux animations du séminaire (expériences scientifiques, décisions créatives, références des Maisons d’Enfants), que les futurs adultes pourront utiliser pour se mettre en valeur lors d’un entretien d’embauche, ou dans les relations avec leur famille, ou encore dans leur vie privée. (Curriculum Vitae ne se traduit-il pas par « cours de la vie » ?)
– Etc.