Bonjour chers enfants,
Je viens d’apprendre par Emmanuel et Henri que vous venez toute juste de reprendre le chemin de l’école, du collège ou du Lycée. Cela m’étonne toujours, car ici, en Inde, les vacances scolaires sont en mai et juin, pendant la saison très chaude, et les enfants de Kurichithanam passent tous les jours, depuis début juillet, devant mon petit pré, tous fiers de leur uniforme et de leur cartable… ils me disent toujours des mots gentils.
J’ai appris que vous avez fait un film, où avec votre parrain d’association, Patrick Bourdet, certains d’entre vous ont pu s’exprimer sur plusieurs thèmes, bravo à vous, je suis très fière des belles réflexions que vous avez… L’une des réflexions porte sur le monde idéal que vous souhaitez construire.
Emmanuel m’a bien dit que c’est le thème de cette année 2023-2024, Utopia, et il m’a demandé de m’exprimer sur le monde idéal que je souhaiterais voir exister ou qui a déjà existé dans mon si beau pays, l’Inde.
Vous savez que je suis une éléphante philosophe et que j’adore réfléchir à tout cela…
J’ai beaucoup aimé vos réflexions sur un monde sans pollution, ça me parle, nous qui avons une capitale parfois irrespirable et de très grandes villes polluées… Un monde où il n’y a pas de différence de richesses, où elles sont partagées équitablement…. Un monde où le verbe aimer a toute sa place…tout cela me fait rêver… Merci les enfants pour vos si belles réflexions.
De mon côté, en voyant passer tous les jours de nombreux enfants se rendant à l’école, en excellente santé, je me suis dit que j’habite un petit pays de rêve, où la santé et l’éducation sont des priorités, où les arbres sont merveilleux, mais je suis toujours très chauvine, et mon Kerala est un peu mon Utopia, mon pays rêvé.
Comme c’est la rentrée scolaire, je veux vous présenter une école et une université, Shantiniketan, ainsi qu’une très ancienne université, Nalanda, qui sont ou ont été des modèles et qui restent des références en Inde et dans le monde.
Le premier exemple est l’école de Tagore à Shantiniketan, qui signifie “demeure de la paix“. C’est plutôt loin de mon petit village, à près de 2500 kms, dans l’état du Bengale Occidental.
“Situé à environ 158 km au nord-ouest de Calcutta, dans l’arrière-pays rural du Bengale, Santiniketan incarne la vision de Rabindranath Tagore d’un lieu d’apprentissage libéré des barrières religieuses et régionales. Fondée en 1863, par le père de Tagore, dans le but d’aider l’éducation à dépasser les limites de la salle de classe, Santiniketan est devenue l’Université Visva Bharati en 1921, attirant certains des esprits les plus créatifs du pays…
“L’éducation la plus élevée est celle qui ne se contente pas de nous donner des informations mais qui rend notre vie en harmonie avec toute existence.” Tagore
Située au cœur de la nature, l’école visait à combiner l’éducation avec un sentiment d’obligation envers la communauté civique dans son ensemble. Mélangeant le meilleur des systèmes éducatifs occidentaux et orientaux traditionnels, le programme s’articulait organiquement autour de la nature avec des cours dispensés en plein air. Tagore voulait que ses élèves se sentent libres malgré le fait qu’ils se trouvent dans l’environnement d’apprentissage formel d’une école, car lui-même avait abandonné l’école lorsqu’il se sentait incapable de penser et se sentait claustrophobe entre les quatre murs d’une salle de classe…
Des promenades et des excursions dans la nature faisaient partie du programme, une attention particulière était accordée aux phénomènes naturels et les étudiants étaient encouragés à suivre les cycles de vie des insectes, des oiseaux et des plantes. Outre ces matières quotidiennes, l’accent a également été mis sur l’enseignement professionnel. Des horaires de cours flexibles permettaient de s’adapter aux changements de météo et aux festivals saisonniers créés par Tagore pour les enfants.”
Shantiniketan compte parmi ses anciens élèves des personnes devenues célèbres : ” le peintre pionnier Nandalal Bose, le célèbre sculpteur Ramkinkar Baij, l’économiste lauréat du prix Nobel Amartya Sen, le cinéaste de renommée mondiale Satyajit Ray et le principal historien de l’art du pays, R. Siva Kumar. . L’Université compte également plusieurs anciens élèves internationaux éminents, parmi lesquels le peintre indonésien Affandi, l’asiatique italien Giuseppe Tucci, l’historien chinois Tan Chung, l’éminent indologue Moriz Winternitz et l’artiste sri-lankais Harold Peiris, entre autres.”
À sa fondation, Shantiniketan était un terrain de la même superficie que le jardin d’Élisabeth à la ferme de Bertinghen…
Je suis sûre que d’ici peu votre jolie petite forêt sera aussi une superbe école hors les murs, où vous pouvez apprendre et observer, vous rencontrer dans la clairière au beau milieu de ce lieu magique, c’est Utopia…
Le second exemple est l’université de Nalanda, l’une des plus vieilles université du monde, fondée en 427 de notre ère, plus de 500 ans avant l’université d’Oxford ou de Bologne, la plus ancienne université d’Europe !!
Elle se situe à 2700 kms de chez moi, dans l’actuel état du Bihar.
Nalanda est considérée comme la première université résidentielle au monde. Elle accueillait 10000 étudiants de toute l’Asie qui venaient là pour apprendre les maths, l’astronomie, la logique…, la médecine traditionnelle indienne, l’ayurveda, y était largement enseignée. Il y avait 2000 enseignants à l’époque.
L’université Nalanda possédait 9 millions de livres.
Aryabhata, le père des mathématiques indiennes, aurait dirigé l’université au 6e siècle de notre ère. C’est lui qui aurait découvert le chiffre zéro…il aurait été aussi le premier à attribuer l’éclat de la lune à la lumière du soleil réfléchie…
Malheureusement, Nalanda a connu une fin dramatique, attaquée par des envahisseurs sous le commandement de Bakhtiyar Khalji en 1193.
La grande bibliothèque de l’Université de Nalanda était si vaste qu’elle aurait brûlé pendant trois mois après que les Moghols y eurent mis le feu, pillèrent et détruisirent les monastères bouddhistes et chassèrent les moines du site.
Cette histoire nous montre malheureusement que cette université de rêve, avec son rayonnement international, a connu une fin dramatique. Cependant le rêve de faire revivre Nalanda est toujours d’actualité. C’est un peu comme Phénix, cet oiseau qui ressemblait à un aigle, avec un beau plumage rouge feu n’existait qu’en solitaire. Cet animal vivait 500 ans et il n’y en avait qu’un seul. En effet, c’est un oiseau qui ne pouvait pas de reproduire donc quand il était proche de la fin de sa vie, il se consumait donc dans les flammes pour renaître….
Aujourd’hui, l’université de Nalanda est en train de renaître, suite à la volonté du 11e président de l’Inde, Abdul Kalam, grand scientifique, il a proposé cette renaissance en 2006. L’université a revu le jour par la loi du 25 novembre 2010…
Cela signifie que l’utopie se prolonge au-delà de la barbarie et au-delà des siècles, c’est incroyable.
Mon rêve à moi, l’éléphante philosophe, reste quand-même plus terre à terre, et je vous rejoins dans vos préoccupations sur l’environnement …. Mon rêve rejoint la réalité, ici, dans mon village de Kurichithanam, où je suis à l’ombre d’arbres merveilleux, où mon cornac adoré, Kuttan, veille à ma nourriture de qualité et prévoit chaque année ma cure de médecine ayurvédique… Cependant s’il pouvait faire un effort en veillant à ce que je mange davantage de bananes, d’ananas et aussi de pousses de bambou, j’en rêve toutes les nuits…. Je rêve aussi de mes cousins, les éléphants sauvages dans la montagne, pour une cohabitation heureuse avec les humains, que les droits de tous soient protégés.
Mon bonheur aussi c’est l’amitié que me montrent les enfants et aussi les adultes qui me saluent tous les jours… C’est aussi mon cher pays du Kerala, où très souvent je vois les citoyens manifester pour faire avancer leurs droits à la liberté et à un bien être de tous… C’est mon Utopia.
Chers enfants, je vous fais de gros bisous et vous souhaite une très belle année pleine de rêves.
Shila